Concepts pour penser l’Histoire des sociétés

Une société est une communauté humaine solidaire, organisée autour d’institutions communes (économiques, politiques, juridiques, etc.) dans le cadre d’une civilisation à un moment historique défini. Cette communauté regroupe non pas directement des individus mais des groupes unis par des liens familiaux et des relations de parenté réelle ou fictive par lesquels les individus s’identifient.

Partant de cette définition nous pouvons développer, dans une première partie, la base conceptuelle d’un marxisme actualisé, puis en seconde partie, nous pouvons l’appliquer à la société et au capitalisme contemporain, pour en déduire, dans une troisième partie, les grands axes des luttes sociales et politiques qui devraient s’imposer au 21ème siècle .

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Toute société est organisée en vue d’assurer sa pérennité par la production et la reproduction et se structure  selon deux axes qui sont le rapport social de sexe et le rapport social de production.

  1. Autour du rapport social de sexe se construit la vie commune mais aussi l’opposition des hommes et des femmes qui se reconnaissent comme à la fois différents et complémentaires par leur rôle dans la mise au monde puis l’éducation de leur descendance.  Chaque individu est appelé à se rattacher à l’un des groupes, à s’en approprier les valeurs (valence différentielle), et doit apprendre à modeler son comportement selon qu’il est reconnu de sexe masculin ou de sexe féminin.
  2. Le rapport social de production organise les groupes occupant un rôle distinct dans la production des biens, leur distribution, leur consommation. Les groupes ainsi distingués s’appellent des classes sociales. Elles ont en commun d’être productives. Selon le degré de développement des sociétés ce peut être les chasseurs, cultivateurs, éleveurs, commerçants, transporteurs, apprêteurs – bouchers – boulangers etc.). S’ajoutent à ces classes productives les classes non productives (souvent qualifiées de moyennes)  qui assurent des rôles d’organisation et de direction, de transmission, d’élaboration dessavoirs.

Rapport social : Un rapport social peut se définir (selon la sociologue Danièle Kergoat) comme une contradiction, une relation antagonique, une tension qui scinde et fonde une société en groupes qui prennent conscience d’eux-mêmes, de leur place et de leurs intérêts réciproques et antagoniques à partir de leur vécu et en le dépassant. Danièle Kergoat exprime ainsi ce dépassement : « Les relations sociales sont immanentes aux individus concrets entre lesquelles elles apparaissent. Les rapports sociaux sont, eux, abstraits et opposent des groupes sociaux autour d’un enjeu » (ex. la domination d’un sexe sur l’autre). Les relations sociales sont donc des interactions de personne à personne. Les rapports sociaux sont des liens institutionnalisés et idéologisés  de groupe à groupe (entre les sexes ou entre les classes). Pour que la société soit stable les rapports sociaux doivent être régulés par des institutions stabilisatrices.                                                                                                                                               

Les institutions stabilisatrices : Les deux rapports sociaux fondamentaux, de sexe et de production  sont stabilisés et pérennisés par des institutions qui sont de ce fait les plus fondamentales dans toute société car elles en assurent la stabilité. Ces deux institutions sont la famille (le système familial) et le régime de propriété.

  1. Les systèmes familiaux : Pour le rapport social de sexe l’institution stabilisatrice est la famille. Son importance fondamentale a été mise en évidence par les travaux d’Emmanuel TODD. Elle assure la stabilité dans le temps de la société, son renouvellement continu. Elle modèle l’ensemble de la société, de ses institutions politiques à la culture commune. C’est dans et par la famille que chacun se voit assigné son identité sociale (nom et prénoms) ainsi que sa place dans la succession des générations (ascendants et collatéraux), ceci principalement selon son sexe.
  2. Les régimes de propriété : le partage des fruits du travail et des ressources naturelles, de ce qui peut ou ne peut pas être l’objet d’une appropriation, ne se fait pas de la même façon dans toutes les sociétés. Dans la société esclavagiste l’homme peut être objet de propriété. Dans la société féodale la propriété se pense comme un droit de domination et de possession dans le cadre de relations de vassalité et de suzeraineté. Dans la société bourgeoise elle est considérée comme un droit naturel de possession exclusive sur les biens acquis de façon reconnue légitime. Dans la société capitaliste le capitaliste est propriétaire des fruits du travail de ceux qu’il emploie. La possession collective se développe dans les sociétés modernes pour permettre la maitrise des sources d’énergie et des réseaux de transport. La question de la propriété et des institutions qui l’organisent sont, à toutes les époques, au centre des luttes politiques.

L’État : L’ensemble institutionnel est scellé et organisé, harmonisé, et assuré dans sa perpétuation par une institution régulatrice : lÉtat. Souvent l’Etat s’appuie sur les croyances collectives proposées par les religions et les grandes idéologies. C’est à travers ces croyances collectives appuyées sur une histoire commune, une unité de territoire et de langue et une unité économique que la société devient Nation.

La dynamique des institutions stabilisatrices : C’est la libération des conditions de vie permise par le développement des forces productives associée à la dissolution des croyances collectives qui a permis l’ébranlement des systèmes familiaux et la grande amélioration contemporaine de la condition féminine (comme le montre l’ouvrage de Vera Nikolski « Féminicène »).

Comme l’a montré Marx, c’est le développement des forces productives qui est le principal moteur de l’ébranlement du régime de propriété. Alors, d‘organe de régulation l’Etat se mue en instrument de  possession collective et donc d’évolution du régime de propriété quand s’amorce le passage historique du mode production capitaliste au mode de production socialiste. Ce processus est actuellement en cours. Il amorce un passage au socialisme selon des modalités nouvelles (à la chinoise).

Engels s’est intéressé à l’apparition de cet ensemble institutionnel fondamental dans « l’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État »

Les temporalités : A l’échelle de l’histoire, l’évolution des rapports de production et de sexes se fait selon des temporalités  différentes. Le rapport de production évolue rapidement et par sauts sous l’impulsion des forces productives tandis que le rapport social de sexe et les systèmes familiaux semblent figés puis se modifient soudain pour s’ajuster au rapport de production et à son régime de propriété.

Les normes : La norme, qu’elle soit pensée comme religieuse, morale ou juridique, est dès l’origine au cœur des rapports sociaux de sexe et de production. La norme est inséparable des rapports sociaux. Elle est ainsi inhérente à l’essence humaine. L’interdit et son envers le droit sont constitutifs de l’humanité et des droits fondamentaux que l’homme se proclame. C’est dans les rapports sociaux propres à l’humanité que les droits de l’homme et les droits fondamentaux trouvent leur fondement

Si nous exprimons cette évolution en termes marxistes, nous pouvons distinguer différents niveaux : — la superstructure constituée, en particulier du système législatif, — l’idéologie dont la fonction est d’assurer l’homogénéité sociale (conscience de classe et pensée dominante), — la morale ou les morales et religions qui répondent pour chacun au besoin de non-contradiction avec soi-même. Nous avons enfin l’infrastructure composée des rapports de production, de la forme de propriété et des institutions qui leur sont liées et qui structurent les rapports sociaux. Marx dit que c’est l’infrastructure qui est l’élément moteur de l’ensemble social. C’est le développement des forces productives qui, par des médiations complexes, impulse l’évolution du corps social.

On voit bien cependant que la superstructure ne réagit pas mécaniquement aux mouvements de l’infrastructure. Les religions, les idéologies ont une forme d’évolution plus vaste que celle des forces productives. Et l’on croit avoir réfuté Marx en faisant cette observation. Mais c’est oublier l’élément essentiel qui fait le ciment de la société : le code culturel.

Le code culturel : le passage de l’infrastructure à la superstructure se fait avant tout par le biais du code culturel. Une couche sociale nouvelle apparait, (par exemple la bourgeoisie de robe dans l’ancien régime, la classe des travailleurs intellectuels dans la société contemporaine). Cette couche sociale nouvelle, qui vit quelque chose de nouveau au niveau de son rapport à la base matérielle de la société, fait évoluer le code culturel de l’ensemble social. L’ancien code subsistant souvent sous une forme « zombie » dans une partie de la société. Cela donne les Lumières pour l’ancien régime et la libéralisation des mœurs, la diversification des modes de vie, pour la période contemporaine, le catholicisme ou le nazisme zombies (Todd – Chapoutot). Le système législatif et l’idéologie s’adaptent à cette réalité nouvelle. La société évolue et le code culturel fonctionne comme son point nodal, comme la glande pinéale dans la représentation cartésienne de l’être humain. C’est par lui que se fait le lien entre infrastructure et superstructure.

La cohérence interne de l’infrastructure, quant à elle, est assurée par la parenté des modes de pensée que requièrent ses différents domaines (droit, philosophie, art, religion). Ces domaines doivent s’adapter au nouveau code culturel. Ils connaissent ainsi des périodes d’équilibre et des périodes d’inadéquation et de crise. Pour illustrer une période d’équilibre, on peut citer le travail de Erwin Panofsky : Selon cet auteur, au 12ème siècle, architecture gothique et pensée scolastique ont évolué de concert car les architectes de la grande époque gothique se sont armés des instruments intellectuels qu’ils devaient à la scolastique. D’où des homologies structurales entre la cathédrale et une œuvre comme la Somme théologique de Thomas d’Aquin

Lorsque l’équilibre entre infrastructure et superstructure est bouleversé, comme avec l’apparition de la bourgeoise de robe, ou pour la période contemporaine avec l’essor rapide du classe de travailleurs des sciences et des techniques,  le code culturel se modifie et met sous tension le régime de propriété et le système familial. Se manifestent des résistances mais toujours un domaine de l’infrastructure s’adapte et modifie son mode de pensée pour légitimer de nouvelles valeurs. La philosophie souvent connait un renouvellement, l’art et le droit suivent. La religion finit par être entraînée. Un nouvel équilibre s’installe.

Le hors norme : Ainsi, dans toutes les sociétés il se trouve des groupes et des individus qui ne trouvent pas leur place. Pour le rapport social de production ils forment le « lumpenprolétariat » sous ses différentes formes (misérables, sans domicile, ou délinquants, mafieux etc.). Pour le rapport social de sexe il s’agit de tous les individus qui ne peuvent assumer leur sexe. Les groupes ainsi formés sont l’objet d’étude des idéologies dites « études de genre » qui les regroupent sous le sigle LGBTQI+. Le rôle politique de ces milieux LGBT très actifs est sans commune mesure avec leur importance numérique car leur idéologie est relayée par les institutions dans tout l’occident depuis les grandes universités des USA. Mais cette idéologie ne résiste pas à la critique marxiste si celle-ci s’appuie sur les concepts matérialistes et historiques de rapports sociaux (de sexe et de production) et d’institutions stabilisatrices (systèmes familiaux et régime de propriété).

La théorie du genre est philosophiquement idéaliste et anhistorique en ce qu’elle combat une domination universelle anhistorique « le patriarcat » et qu’elle refuse ce qu’elle appelle, selon les termes du manuel « introduction aux études sur le genre », les « visions essentialistes de la différence des sexes » et qu’elle substitue ainsi le discours (la construction) au réel en s’appuyant sur quatre affirmations : « le genre est une construction sociale; le genre est un processus relationnel; le genre est un rapport de pouvoir; le genre est imbriqué dans d’autres rapports de pouvoir » pour arriver à soutenir que « le sexe peut être analysé comme le produit du genre, comme le résultat d’un système de division qui renforce continuellement sa pertinence en donnant à voir les sexes comme les éléments naturels et pré-sociaux constitutifs du monde dans lequel nous vivons ». La théorie du genre dénie ainsi la capacité humaine à accéder au réel et brouille  le concept de « rapport social ». Alors que pour le marxisme les rapports sociaux se  fondent sur des différences réelles telle que la différence des sexes avec ce que cela induit dans la mise au monde et l’éducation des enfants, ou sur le rôle producteur ou consommateur, et qu’ils se constituent et organisent la société autour des enjeux vitaux et universels que sont la production et la reproduction, la théorie du genre qualifie de « rapport social » toute forme de domination  entre groupes sociaux. A un triptyque de base (genre/race/classe) elle joint des rapports de sexualité, d’âge et de handicap. Ce qui la conduit à théoriser leur consubstantialité ou leur intersectionnalité dans le cadre d’une société kaléidoscopique faite de groupes et sous groupes pris dans des relations de domination et de fusion. Tout cela aboutit à effacer le réel pour lui substituer le discours dans la lignée des philosophies post-modernes et particulièrement de Michel Foucault. L’idéologie du genre a cette négation du réel en commun avec le néo-libéralisme (pensons à cette affirmation bien connue de Margaret Thatcher : « There is  no such thing as society »). Selon E. TODD, ce déni de la réalité (sexuel aussi bien que politique) est la forme achevée du nihilisme du monde occidental.

Le concept de rapport, dialectique et essence humaine: Le concept de rapport tel que nous l’avons utilisé ici fait référence au mode de penser dialectique. Penser une dialectique telle que celle de l’évolution des sociétés humaines, c’est penser en termes de devenir, de rapport et de système. Le rapport premier étant la contradiction (moteur de l’auto dynamisme des systèmes) (1)

De même, dire « l’essence humaine n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux. » c’est dire que l’humain ne peut se comprendre que dans un cadre social dynamique assurant la production et la reproduction avec ses institutions premières (système familial et mode de propriété) et dans son historicité (la réalité humaine c’est l’histoire). Cette affirmation est au fondement de l’anthropologie marxiste.

Aux rapports sociaux s’ajoute et se combine le rapport de l’homme au monde. Georg Lukäs parle ici de « reflètement » (wierderspiegelung). Ce rapport se déploie dans le cours de l’humanisation entre quotidienneté, religion, art et science.

Cela fait du concept de rapport le socle de l’édifice conceptuel du marxiste. C’est pourquoi nous avons commencé par lui pour en arriver à notre réalité présente : la société capitaliste et ses rapports sociaux conflictuels. Le but étant d’en déduire les axes de lutte sociale que cette réalité conflictuelle impose au 21ème siècle.

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les modes de production : Les classes sociales productives ont un statut différent selon le mode de production auquel a accédé la société, en fonction de son développement économique généré par le progrès de ses forces productives. Les producteurs peuvent ainsi être esclaves, serfs, ou hommes libres dans les sociétés qui n’ont pas encore accédé au machinisme. Ils peuvent être artisans ou ouvriers (loueurs d’ouvrage ou salariés) dans les sociétés disposant d’outils simples. Ils peuvent être indépendants ou en coopérative ou encore sous la dépendance de ceux qui dépossèdent les moyens de production. A des moyens de production différents correspondent des modes de production et des classes dominées ou dominantes différents. Il y a cependant une constante à tout mode production, c’est la nécessité d’assurer sa stabilité et celle de sa structure de classes.

Le mode de production capitaliste : Les différentes situations institutionnelles permettent de distinguer les modes de production.  Spécifier quel est le mode de production d’une société c’est indiquer son régime de propriété et comment y sont combinés les facteurs de production du fait de leur niveau de développement. Le facteur de production premier étant le travail humain dont le renouvellement doit être assuré par un système familial adapté.

La particularité du mode de production capitaliste sous lequel nous vivons actuellement c’est qu’il produit de façon industrielle des biens, qui sont la propriété du capitaliste, pour un marché sur lequel la marchandise a une valeur d’échange qui est fonction du travail socialement nécessaire incorporé. La valeur de la marchandise est exprimée sous une forme monétaire modifiée par des situations comme le développement inégal ou la publicité.

Le mode de production capitaliste se développe en phases successives.  Permis par une phase d’accumulation du capital marchand ou esclavagiste, et stimulé par une mutation intellectuelle favorable à l’innovation il apparait sous sa forme manufacturière, puis dans sa forme classique avec machinisme et une maitrise de l’énergie mécanique (machine à vapeur). Il prend sa forme développée avec les réseaux électriques et les énergies fossiles. Il est dans sa phase ultime avec l’impérialisme et la globalisation.

L’appropriation capitaliste est possible car la force de travail est alors elle-même une marchandise  que le capitaliste achète sur le « marché du travail » et dont la valeur est exprimée sous forme monétaire comme salaire. Dans le mode de production capitaliste le surplus social a une nature particulière : il prend la forme d’un profit, d’un capital qui s’accumule et est accaparé par la classe capitaliste propriétaire des moyens de production. C’est cette appropriation qui est appelée « exploitation capitaliste ». Elle a pour « secret » le fait que le travailleur, dans le temps qu’il travaille, produit plus de valeur qu’il n’en coûte, qu’il produit un surplus social dont il est dépossédé.

Dans les sociétés développées le surplus social est l’expression actualisée et médiatisée par la monnaie, de la plus-value ou survaleur générée par le travail productif. Il prend des formes différentes selon les sociétés, les civilisations et les époques. Il se dissout en progrès de la civilisation quand il prend la forme de productions artistiques comme en Égypte ancienne. Dans les sociétés développées il fait partiellement retour au producteur car il permet le financement des systèmes de santé, de l’éducation, de la culture, et des moyens de transports etc. Mais il peut aussi être dilapidé en construction d’apparat comme des pyramides ou des châteaux, dans des festivités et de la vie de cour et leurs équivalents modernes. Il est accaparé aussi par le capital financier sous forme de capitaux spéculatifs et est alors amassé dans des « paradis fiscaux ».

Les sociétés complexes : L’activité d’une société complexe ne se réduit pas à la production et à la reproduction. Sa structure ne se limite donc pas aux sexes et aux classes. Peuvent s’y ajouter d’autres groupes comme des castes ou des ordres (noblesse, clergé) des groupes plus ou moins stables comme les gens de guerre ou les intellectuels. L’ensemble classes, castes, groupes est en constante évolution et se modifie sous l’impulsion du développement des forces productives qui passent de l’outil manuel à la machine mue par l’énergie éolienne ou hydraulique des moulins, à la machine à vapeur puis au moteur à explosion et à l’électricité, de la force musculaire humaine et animale, du vent et de l’eau courante à la combustion du bois et du charbon, puis aux énergies fossiles pétrole et gaz, puis à l’énergie nucléaire et aux énergies renouvelables – ces dernières énergies pouvant être transportées sous forme d’électricité). Ces différentes formes d’énergie se cumulent plutôt qu’elles se remplacent. 

Les différents composants de la structure sociale interagissent  entre eux pour former un système c’est-à-dire une unité complexe dotée d’un mouvement propre résultant des interrelations entre ses différents éléments. Ce mouvement, qui peut-être continu et progressif ou connaitre des sauts évolutifs soudains, des révolutions, affecte les deux grands rapports sociaux – en premier lieu le rapport de production, puis principalement avec l’industrialisation le rapport social de sexe. Dans le cadre de ce mouvement de fond, de cette « tectonique », des classes ou des groupes apparaissent et cherchent leur place, d’autres régressent et perdent leur influence.

La classe montante : C’est le développement des forces productives qui est le moteur des changements institutionnels. Ainsi dans les sociétés modernes, capitalistes ou socialistes, la classe de la petite paysannerie régresse en nombre et en influence tandis que la classe des ingénieurs et techniciens mettant en œuvre les technologies de l’information, des communications, des réseaux, de la robotique et de l’intelligence artificielle croissent en nombre et en influence. J’appelle classe montante, cette classe mettant en œuvre ces nouveaux moyens de production. Dés-lors que les forces productives se développent, que des innovations les modifient, il apparait une classe nouvelle qui les met en œuvre. Cette classe lutte pour être reconnue et recevoir sa part de son travail.

Universalité des conflits de classe : Tout rapport met en relation deux termes complémentaires qui s’opposent. Le rapport social de production est donc un rapport polarisé. Dans le cadre du mode de production capitaliste, il oppose prolétariat et bourgeoise. Le prolétariat et la bourgeoise ne sont  pas à proprement parler des classes sociales mais des pôles du rapport social de production dans le cadre du mode de production capitaliste. A chacun de ces pôles se regroupent des classes qui trouvent leur répondant au pôle opposé. Les capitalistes capitaines d’industrie emploient la classe des ouvriers d’industrie. La classe des propriétaires fonciers trouve son complément dans celle des fermiers qui travaillent ses terres, etc. Ces classes, occupant des pôles opposés, sont en lutte pour le partage des fruits du travail et pour le pouvoir politique (pour le partage du surplus social et pour faire évoluer l’institution fondamentale qu’est la propriété). Elles défendent leur position ou s’efforcent de s’imposer si elles sont montantes. Dans cette lutte, qui fait l’histoire des sociétés, elles s’organisent politiquement et cherchent à s’allier.

Une société sans classes ? Quand on parle de société sans classe, il ne s’agit évidemment pas, dans un avenir prévisible, de voir disparaitre la distinction entre les travailleurs de l’industrie ou des champs, ou avec des travailleurs des autres secteurs comme les mines, les transports ou la distribution. Il s’agit d’en finir avec la domination bourgeoise sur les classes productives et de voir disparaitre la polarisation du rapport de production par la disparition de son pôle bourgeois. Cela est possible dans la mesure où la bourgeoisie possède les moyens de production et en tire profit mais en délègue la mise en œuvre à une classe managériale qui lui est rattachée. Car la propriété privée des moyens de production n’est pas une condition de leur mise en œuvre mais le plus souvent un obstacle : elle règle l’allocation des ressources (les investissements) non en fonction des besoins mais selon leur profitabilité. Elle accumule des actifs financiers (des créances sur la production) au lieu de les investir productivement.

La nature des moyens de production : Les moyens de production ont une double nature : ils sont matériels mais aussi immatériels. Ils incorporent des biens issus du travail productif antérieur comme des machines, les installations, des sources d’énergie. Mais ils sont aussi immatériels et consistent alors en savoir : sciences, techniques, expériences, organisation raisonnée etc. Il y a donc, dans les sociétés, deux types de classes sociales productives: celles qui mettent principalement en œuvre les instruments de la production et celles qui mettent en œuvre les savoirs pour développer ces moyens de production et en améliorer l’efficacité. Cela n’est en rien une nouveauté : l’apparition de l’agriculture et de l’élevage a vu, à l’aube de la civilisation, se développer les classes des cultivateurs et des éleveurs. L’invention de l’écriture a permis l’apparition de la classe des scribes. Ces classes se sont disputées le surplus social et ont lutté pour le pouvoir. Elles se sont, dans cette lutte, dotées d’institutions sociales adaptées et ont développé un monde d’idées et de représentations.

La modernité a vu l’apparition de formes d’énergie impropres à l’appropriation privée (donc inadaptées au régime de propriété bourgeois). L’électricité et l’atome nécessitent des investissements gigantesques à la rentabilité lointaine. Ces énergies exigent une gestion planifiée et centralisée et d’importantes normes de sécurité. Elles se déploient à travers des réseaux qui couvrent un pays entier. Ces énergies s’accordent mal avec la gestion capitaliste qui exige une rentabilité rapide. Elles imposent de fait une gestion socialiste. (2)

Les industries du numérique vont encore plus loin. Elles connectent le monde entier et ne connaissent aucune frontière. Elles exigent un déploiement matériel rapidement obsolète toujours plus important, leur consommation électrique est gigantesque, leur consommation minière est insoutenable, elles mobilisent en conséquence d’importants capitaux fixes. Leur rentabilité directe est donc faible.  Elles ne génèrent d’énormes profits financiers et sont des sources de pouvoir que par le biais d’une obsolescence rapide des matériels et, pour leur partie immatérielle, par la perception de recettes publicitaires, par la vente des données qu’elles collectent et vendent. Elles se trouvent de ce fait au centre des luttes politiques modernes. Ces industries numériques sont animées par une classe sociale nouvelle aux caractéristiques particulières. Cette classe qui met en œuvre les nouveaux moyens de production matériels et immatériels de la révolution scientifique et technique, que j’ai définie comme la classe montante, est composée principalement des travailleurs de la science. Cette nouvelle classe montante est internationalisée dans sa partie la plus qualifiée (cela se constate dans l’usage presque exclusif de l’anglo-américain comme langue de travail). Son influence sur nos sociétés est énorme.

Les modalités de la lutte des classes au 21ème : Dans ces processus de développement des forces productives, caractérisées par le passage d’une source d’énergie à une autre plus puissante, les hommes sont les agents de processus qui les dépassent. Avec le machinisme c’est la classe des ouvriers loueurs d’ouvrage des ateliers et des manufacture qui domine. Sa partie la plus active est proudhonienne ou anarchosyndicaliste. Avec le charbon et le pétrole et l’essor de la grande industrie, la classe la plus puissante au pôle prolétarien est celle des mineurs de fond, des ouvriers d’usine, des chemins de fer et des ports. Son avant-garde s’exprime par la deuxième internationale, puis, stimulée par l’exemple de la révolution russe, par la troisième internationale. Le passage à des formes plus scientifiques encore d’énergie, pétrole, électricité et atome, accompagné d’une désindustrialisation des pays d’Europe et des USA, voit le communisme de la troisième internationale décliner. Une nouvelle classe montante apparait et avec elle des idéologies nouvelles encore confuses.

La domination du capital (des classes bourgeoises) sur la nouvelle classe sociale des sciences et des techniques, se heurte à la nature particulière de la richesse que crée cette classe montante. En effet, cette classe sociale, pour sa partie « software », ne produit pas des marchandises mais directement des produits directement consommables et des moyens de production dont elle fait commerce sous forme de service ou de droit d’usage. Il y a certes une lutte pour le partage des fruits du travail qui vaut autant pour les fruits du travail intellectuel des ingénieurs et techniciens qui développent les outils numériques modernes et assure leur maintenance que pour les ouvriers qui produisent des marchandises. Mais ce n’est guère le temps passé qui fait la valeur des produits du travail intellectuel. Une découverte scientifique n’a pas la nature d’une marchandise malgré tous les efforts pour la plier à cette logique par le biais du système des brevets. Elle ne vient pas s’ajouter à cette « immense accumulation de marchandises » qui caractérise les marchés capitalistes. Elle se prête mal à une appropriation privée. Une innovation est par nature un bien public que capitalisme a beaucoup de mal à maîtriser. Son application industrielle modifie la structure sectorielle de l’économie (par le développement du secteur tertiaire au détriment des secteurs primaires et secondaires), ainsi que les spécificités, la répartition et la qualification des emplois (les emplois qualifiés plutôt que les emplois d’exécution). Elle appelle par sa nature même l’apparition d’un nouveau régime de propriété et partant d’un autre mode de production fondé sur le partage et la mise en commun des produits du travail et sur la démocratisation des choix économiques allant vers plus de durabilité.

Une classe révolutionnaire ?  Bien qu’on puisse identifier une classe montante et des classes en déclin, gardons nous pourtant de croire qu’il y aurait une classe ou des classes qui seraient révolutionnaires par nature. Il n’y a pas de classe qui « n’aurait à perdre que ses chaînes ». Il faut se garder de cette vision quasi religieuse du monde ouvrier. Moins les travailleurs possèdent de biens, plus ils sont dépendants du revenu de leur travail, plus ils ont à perdre à une interruption de la production qui les contraindrait à l’inactivité, au chômage. Ils ne deviennent révolutionnaires politiquement que lorsque leur situation ne leur permet plus la vie décente auxquels ils aspirent, lorsque leurs droits sont bafoués et qu’ils subissent une oppression insupportable. Cela se traduit actuellement par l’aspiration à la restauration d’une situation ancienne pensée comme plus favorable. Ce n’est que par l’expérience de l’échec de cet espoir de restauration qu’une classe se résout à rechercher une issue politiquement révolutionnaire et progressiste à sa situation. De même la classe des travailleurs de la science et de la technique, si elle a besoin de se libérer des carcans que les soucis de rentabilité immédiate des financiers mettent à son travail, n’aspire pas pour autant spontanément à un bouleversement des structures sociales.

La révolution malgré soi ! Une classe est révolutionnaire, non par une espèce de prédestination, mais d’abord parce qu’elle révolutionne de fait la société et modifie le régime de la propriété. Les classes sociales modernes (bourgeoises et prolétariennes) ont ainsi été des classes révolutionnaires tout au long du 19 et du 20ème siècle mais l’étaient déjà de fait à l’intérieur de la société féodale. Les classes liées à l’industrie ont transformé la société par le machinisme, l’électricité, l’automobile etc. Pendant cette période de révolution industrielle la classe montante des ouvriers était à la fois la classe révolutionnaire et la classe montante.

La révolution aujourd’hui : La classe qui révolutionne les modes de vie est aujourd’hui de plus en plus la classe de la science et des techniques. C’est par elle que se fait l’informatisation de la société, le développement des communications, des outils de calculs et d’organisation ultra performants. Cette classe est donc une nouvelle classe révolutionnaire. Mais son mode de vie, ses revenus confortables, ses aspirations, sa conscience, diffèrent de celles de la classe ouvrière. Elle est révolutionnaire d’une autre manière, avec d’autres outils, d’autres idées et d’autres aspirations. Elle cherche confusément à imposer un nouveau régime de propriété. Elle ne peut devenir révolutionnaire politiquement que différemment, en prenant conscience que la science et la technique qu’elle développe, sous la domination capitaliste, desservent et oppressent l’humanité au lieu de la servir et de l’émanciper, qu’ils sont accaparés indûment pour servir à l’accumulation financière plutôt qu’à l’amélioration de la vie, qu’ils sont dilapidés dans des productions ludiques aliénantes, que leur développement exponentiel est insoutenable et  contribue même à la destruction du vivant et au dérèglement du climat et font du capitalisme un système mortifère, un exterminisme.

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Nouvelle lutte des classes, nouveaux acteurs : La classe montante (ouvrière au 19ème siècle, scientifique au 21ème) est toujours une classe minoritaire. C’est aussi une classe sans passé et qui ne peut donc pas aspirer à une restauration. C’est une classe qui a une faible conscience de sa nature de classe. Elle a donc besoin d’une avant-garde qui l’organise et lui apporte les outils intellectuels de sa prise de conscience, qui lui ouvre des perspectives.

C’est le rôle du mouvement communiste et ce qui le définit. Il apporte à la classe productive montante, aux classes révolutionnaires (pratiquement) les outils de leur prise de conscience pour en faire des classes révolutionnaires politiquement. Le mouvement communiste au 21ème siècle doit donc s’adresser à la classe productive  montante, ou plutôt aux classes productives montantes anciennes et nouvelles et leur apporter les idées qui leur permettront de s’émanciper de l’influence bourgeoise en leur sein.

Une classe montante étant toujours minoritaire a besoin d’alliés. Elle ne peut les trouver qu’en rompant avec son pendant bourgeois et en se tournant vers la classe productive qui achève sa montée : la classe ouvrière. Cette classe ouvrière est certes en repli mais reste puissante car elle ne peut pas disparaitre puisqu’elle produit tous les biens matériels nécessaires à la vie. Elle a en son sein un secteur qui développe les sources d’énergie nouvelles et les matériels indispensables au développement des réseaux informatiques (principalement le nucléaire).

Le mouvement communiste doit concilier les aspirations de ces deux classes productives et les harmoniser. Il doit tenir un discours audible des uns comme des autres. C’est son rôle historique pour hâter la transformation d’une société qui se heurte aux excès du capitalisme qui mettent en danger l’humanité « en épuisant les deux seules sources de toute richesse : la Terre et le travailleur »,  dans une course au profit qui dérègle le climat et l’équilibre du vivant.

Unité de classes : Un parti communiste moderne doit s’ouvrir à la classe des travailleurs de la science, avec un langage adapté et sans vouloir la mettre à la remorque d’une classe ouvrière idéalisée. Comme la révolution russe n’a pu réussir que par l’alliance des ouvriers d’industrie, minoritaires mais classe productive montante, avec la masse innombrable de la paysannerie voulant posséder la terre qu’elle travaillait, la révolution du 21ème siècle ne peut se faire que par l’alliance de la classe ouvrière (principalement celle des sources d’énergie moderne et de la classe des travailleurs de la science (nouvelle classe montante) entrainant derrières elles les autres classes et groupes sociaux du pôle prolétarien. Elle répétera ainsi le geste de la révolution française célébré ainsi par Marx : « La bourgeoisie française n’abandonna pas un instant ses alliés, les paysans. Elle savait que la base de sa domination était la destruction de la féodalité à la campagne, la création d’une classe libre, possédant des terres« . Elle aura ainsi suivi, en l’adaptant à notre temps, le conseil de Staline dans « Matérialisme dialectique et matérialisme historique » : « Il faut fonder son action non pas sur les couches sociales qui ne se développent plus, même si elles représentent pour le moment la force dominante, mais sur les couches sociales qui se développent et qui ont de l’avenir, même si elles ne représentent pas pour le moment la force dominante. »

Un communisme renouvelé et adapté : Les luttes de classes au 21ème siècle ont toujours le même objet, qui est la maitrise du surplus social mais elles sont plus complexes. Elles exigent un renouvellement institutionnel et de la pensée. Elles impliquent de nouveaux acteurs, une nouvelle classe productive montante, des objets nouveaux (immatériels). Elles se portent de plus en plus à l’international et se présentent sous la forme d’une lutte d’influence entre nations prolétaires, c’est-à-dire celles qui produisent l’essentiel du surplus social et les nations impérialistes qui le captent par le biais du système monétaire international et par les mécanismes de la finance. Les premières menées par la Chine sont des pays qui exportent massivement leur production et développent les réseaux d’échange nouveaux (nouvelles routes de la soie) tandis que les seconds menés par les USA les consomment et, pour faire durer cet avantage, doivent lutter pour leur hégémonie. L’objet de cette lutte internationale passera par le renversement de la domination du dollar et du monde de la finance. Il se doublera d’une lutte pour le contrôle de l’information et des réseaux sociaux internationaux. Ces luttes seront menées sous la contrainte des crises multiples : financière, écologique et de civilisation. Elles devront prendre en compte la perspective, très proche à l’échelle de l’histoire, de l’épuisement de certains métaux nécessaires à l’industrie et des énergies fossiles. Ces luttes porteront sur les deux axes identifiés (le système familial et le régime de propriété). Elles passeront nécessairement par la prise de contrôle de l’institution régulatrice étatique comme principal outil de maîtrise du surplus social (budgets sociaux, éducation, santé etc.) . Le contrôle étatique aura aussi pour but l’instauration d’une démocratie réelle (populaire) de citoyens éduqués et bien informés.

En ce qui concerne le système familial, la lutte aura pour objectif de réguler la croissance démographique. Elle devra se mener sur deux fronts à la fois contre le conservatisme misogyne et contre le wokisme en ce qu’il travaille à détruire l’institution régulatrice des rapports en les sexes qu’est la famille, qu’il rejette l’universalisme et les luttes de classes pour promouvoir une société « arc-en-ciel » faite de groupes multiples victimes de « discriminations » et dotés chacun d’une culture propre etc. Cette lutte contre le wokisme est fondamentale sinon les économies développées seront de plus en plus confrontées à la contrainte d’une population active en diminution. Avec pour conséquence une réduction du surplus social et un blocage des bases du développement donc des capacités à innover et à faire face aux défis environnementaux. Elle doit permettre de libérer les potentialités féminines tout en assurant la stabilité nécessaire à l’épanouissement des nouvelles générations.

Pour la question de la propriété, le point central sera la lutte de classe pour un partage raisonné des ressources limitées, pour la maitrise du surplus social par l’impôt et les prélèvements sociaux, pour une propriété collective adaptée au développement des technologies du numérique, et pour une maitrise de l’usage des énergies primaires émettrices de gaz à effet de serre. La propriété nouvelle sera celle d’un socialisme moderne, qui ne sera ni étatiste ni collectiviste.

Nous entrons donc dans une époque de luttes sociétales et de classes intenses et nouvelles auxquelles il faut nous préparer intellectuellement et organisationnellement.

  1. voir l’article du 16 juin 2013
  2. Lire : « une histoire du travail de la préhistoire à nos jours » de Paul Cockshott – Éditions critiques

Comment on tue l’artisanat

images1Nous devions changer notre porte de garage. Elle fermait mal et difficilement. Je cherche donc dans l’annuaire un artisan de la ville qui ferait cela. Le premier et d’ailleurs le seul qui se présente est tout près : ETS PERIER et FILS. Il travaille avec les plus grandes marques de serrurerie (Fisher et Anker).

J’appelle, il me dit qu’il envoie son technicien pour prendre les mesures. Nous fixons un rendez-vous. Je suis un peu étonné par la difficulté du technicien pour trouver l’adresse. Il connait mal la ville. Mais je ne cherche pas plus à comprendre. Il finit par trouver, prend les mesures et me fait un devis : cher, très cher même. Mais, bon, la qualité ça se paie ! Je verse des arrhes.

La porte doit être posée d’ici la fin du mois (de décembre) au plus tard la première semaine de janvier. Les fêtes passent, puis la première semaine de janvier. Je rappelle, c’est la même personne qui répond. Ils n’auraient pas mon adresse ! Je redonne cette adresse. Mais finalement, il semblerait qu’il y ait eu un problème lors de la fabrication de la porte. Elle n’est pas prête. Elle le sera pour la semaine suivante.

Tout cela parait confus ! Je commence à m’intéresser aux ETS PERIER et FILS. Je vois que leur adresse correspond à un bureau d’achat et de vente de métaux précieux ! Une  officine d’usurier, si ce n’est un organisme de blanchiment de capitaux ou de recel ? Le siège social est à Deuil la Barre. Je regarde sur google street : rien qui ressemble à un siège social. Tous les autres établissements sont également fictifs. Ils correspondent à des hôtels, des cinémas, des cafés etc. Ils ont tous le même numéro de téléphone. C’est celui qui est supposé être à Deuil la Barre. Mais l’annuaire pour ce même site donne un numéro surtaxé qui serait celui d’une conciergerie d’entreprise. En l’occurrence, dans le cas d’espèce, c’est celui d’un routeur qui renvoie les appels sur le numéro indiqué ailleurs dont je ne sais pas en final où il aboutit. Je commence donc à avoir de gros doutes. Les arrhes ont été encaissées. Je ne sais pas à qui j’ai affaire.

Mes recherches me font découvrir que le nom ETS PERIER et FILS est une dénomination commerciale. La société s’appelle en fait ATOUT DEPANNAGES. Elle s’occupe de  » travaux de menuiserie métallique et serrurerie ». C’est une société par actions simplifiée au capital de 200 euros. Son dirigeant a quatre sociétés toutes montées de la même façon : conciergerie d’entreprise, adresses fictives, capital inexistant. Lui-même n’a pas d’adresse. Son nom laisse supposer qu’il peut être aussi bien israélien que français, peut-être les deux.

Une semaine s’est encore écoulée. Je rappelle mon interlocuteur. Il dit s’appeler monsieur Philippe. Il refuse de donner son nom de famille. Je lui demande de me passer le dirigeant. Il refuse d’abord, j’insiste, je me fâche. Il finit par me donner un numéro de portable. J’appelle et c’est lui qui répond. Il se paie clairement ma tête. Je le menace de porter plainte. Il finit par me dire qu’il y a eu un problème, l’explication est confuse mais il en ressort qu’il faut reprendre les mesures. Il me renvoie son technicien : M. Hamed.

Ce nommé Hamed arrive enfin. Il me raconte que tout vient du fait qu’il a eu un accident de travail. Il est tombé d’une échelle et c’est un miracle qu’il soit encore en vie. Il a eu un mois d’arrêt maladie. Je ne crois rien de tout cela et je le laisse reprendre les mesures. Je remarque que son véhicule, une camionnette hors d’âge, ne porte aucune enseigne, aucun signe distinctif.

Il se passe encore une semaine : toujours rien ! M. Philippe me dit que c’est normal, la porte est en fabrication. Je lui dis que je vais porter plainte contre lui et son patron pour abus de confiance. Je vais voir à l’adresse du bureau d’achat et vente de métaux précieux. Il est fermé. A la brasserie à côté, on me dit qu’il est fermé depuis un mois et demi pour travaux. Il y avait là des boîtes aux lettres. Il n’en reste qu’une à l’extérieur qui correspond à une société de restauration rapide.

Je me rends à la police pour signaler l’affaire. Ils me disent qu’il faut porter plainte car cela a tout l’air d’une escroquerie. Nous commençons à rédiger la plainte jusqu’à ce qu’ils se ravisent et me disent que cela relève plutôt du civil. Il faut s’adresser au tribunal d’instance. C’est bien ce que je pensais, c’est pourquoi je parlais de signalement et non de plainte.

Je rappelle monsieur Philippe pour lui dire que je me suis rendu au commissariat, que j’ai fait un dépôt de plainte et qu’il a intérêt à réagir rapidement s’il ne veut pas d’ennuis. Dans le même temps, je me dis qu’il serait étrange qu’une société créée en 2013 qui a une vingtaine d’adresses sur la région parisienne et autant sur 52 sièges en province puisse être montée pour escroquer les gens du montant des arrhes sur des affaires de portes et de serrures. On ne peut tout de même pas escroquer tout le monde, sur toute la France, sur plusieurs années. C’est trop.

Je harcèle monsieur Philippe. Il me dit que la fabrication de la porte est faite. Il reste à la transporter. Il refuse de me dire d’où elle vient. C’est « dans le sud » mais il ne sait pas où. Il ne s’occupe pas de cette partie-là de l’affaire. Je ne sais vraiment pas quoi penser de ce micmac ! Il m’assure, me jure, met sa tête à couper : la porte sera posée le jeudi suivant, soit le jeudi de cette semaine.

Le jeudi je l’appelle. Il me dit qu’il envoie une équipe pour démonter l’ancienne porte. La nouvelle  sera livrée aussitôt. Je lui dis qu’il est hors de question de démonter quoi que ce soit tant que je n’aurais pas vu cette porte. Je  veux me garder la possibilité de la refuser quitte à avoir des difficultés à me faire rembourser les arrhes.

images2L’équipe de démontage arrive. C’est M. Hamed. Il me dit qu’il est d’accord avec moi. L’usine s’est déjà trompée une fois dans les cottes, il veut vérifier avant de faire quoi que ce soit. La porte arrive. Elle est aux bonnes mesures et semble de bonne qualité. J’assiste au montage. Je ne lâche pas l’équipe une seconde. Je vois rapidement, qu’ils sont compétents et expérimentés, qu’ils ont les outils qu’il faut. Tout se passe bien.

Hamed me parle politique. Il me dit qu’il va voter pour Macron. Je lui oppose la loi Macron : travail le dimanche, travail précaire, à la tâche. C’est justement ce qu’il veut. En fait, je comprends que c’est sa situation. Il est soit artisan, soit autoentrepreneur, peut-être salarié à la tâche. Je comprends qu’il rencontre M. Philippe dans leurs bureaux à St Ouen (adresse qui ne figure nulle part mais qui est en fait la seule non fictive).

Toute l’affaire se résume finalement à cela : une société a des bureaux fictifs dans tout le pays. Elle se présente sous une dénomination qui la fait passer pour un artisan local, pour une affaire familiale. Elle occupe tout l’espace sur internet et paie très cher pour cela (selon M. Hamed). Cela lui permet de capter l’ensemble de toutes les commandes. Elle a ainsi le pouvoir. Elle est à la fois patron et client unique de ceux qui travaillent pour elle. Ils auraient pu être artisans, ils ne le sont pas ou ne le sont plus. Ils sont tenus par cette société qui les fait travailler si elle veut et quand elle veut. Ils n’ont aucune prise sur elle d’où leur incapacité à expliquer les problèmes rencontrés. La société capteuse fait travailler également le fournisseur (le fabriquant des portes) et en obtient vraisemblablement les prix les plus avantageux. Ce qui est ainsi organisé c’est la mort de l’artisanat local et familial qui repose sur la renommée et la clientèle constituée. L’artisanat se fait prendre sa clientèle et se trouve captif de celui qui l’accapare. C’est d’ailleurs ce que me disait dans son discours politique M. Hamed : l’artisanat, c’est fini. Rien ne sert de le regretter selon lui. Il faut s’adapter et c’est ce qu’il a fait. C’est ce que font tous les autres quitte à couvrir les cafouillages de leur donneur d’ordre comme cela s’est produit pour ma commande.

Cela pourrait être risible, c’est en fait très grave : ce à quoi nous assistons ici, semble-t-il, c’est à un retour au capitalisme du 19ème siècle dans le cadre du capitalisme financiarisé ! Il faut lire à ce sujet « L’institution du travail. Droit et salariat dans l’histoire » de Claude Didry. Ce sociologue et historien rappelle que le capitalisme du 19ème siècle ne connaissait pas le salariat mais le « louage d’ouvrage » (d’où vient le terme « ouvrier ») autrement appelé le travail à façon.   Dans ce cadre très peu réglementé, qui était par exemple celui des canuts lyonnais, les ouvriers sont considérés  comme un groupe   hétérogène, libre de travailler pour qui bon lui semble, et d’embaucher pour cela des subalternes (notamment des membres de la famille des ouvriers). L’ouvrier marchande son  ouvrage. L’exemple donné par E. Zola dans Germinal est celui de la figure du haveur, immortalisée par le Maheu qui emploie sa famille et éventuellement d’autres personnes (en l’occurrence E. Lantier) et qui prend l’ouvrage à travers la mise aux enchères des veines de charbon par la compagnie. On retrouve le même rapport dans des usines où le chef d’atelier (le « tâcheron ») est désigné comme l’employeur des ouvriers par le propriétaire des installations, en vue de décharger ce dernier de toute responsabilité en matière de contrôle des embauches et des conditions de travail. Ce « marchandage » qui fait échec aux lois sociales est condamné, surtout par des acteurs du mouvement ouvrier, des socialistes, des républicains, des catholiques sociaux, car il engendre une exploitation entre ouvriers mêmes, le travail des enfants et des femmes dans des conditions inadaptées, un brouillage de la lutte des classes… Il faudra attendre 1892 pour qu’une loi remette explicitement en cause ce phénomène. Il est progressivement remplacé par le salariat.

L’institution progressive du salariat est ainsi une conquête du mouvement ouvrier et non la caractéristique première du capitalisme. Le salariat lie le travailleur et son employeur par un contrat qui fixe les conditions du travail : son paiement, sa durée,  sa mise en œuvre par les moyens fournis par l’employeur. Dans le cadre du salariat, le travailleur a des droits qui vont toujours croissants pendant tout le 20ème siècle et l’employeur des responsabilités qu’il ne peut pas déléguer. Ces droits et ces responsabilités  sont remis en cause par les nouvelles formes de travail auxquelles on assiste qui ne sont rien d’autre qu’un retour à la situation du 19ème siècle.

 

God is gay !

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J’ai photographié ce graffiti vu près de chez moi car il me parait symptomatique de l’offensive idéologique actuellement adressée à la jeunesse. Il se trouve à deux pas du lycée, il est l’œuvre vraisemblablement de lycéens et témoigne admirablement d’une triple voire quadruple aliénation.                                                                                                                                                                                                                        1) il est rédigé en anglais, comme le « rape me » qu’on voit à côté, bien que ce qu’il dit pourrait tout aussi bien  s’exprimer en français. Seulement la pression de la langue de l’empire est telle que ceux qui y recourent ont l’illusion de faire la nique à cette chose désuète et vulgaire que serait le français. Malheureusement  en utilisant cette langue du commerce et de la publicité, ce qu’ils bafouent c’est leur culture, c’est l’instrument de leur liberté et de leur indépendance. J’avais déjà dénoncé ce réflexe servile sous le masque de la rébellion dans les articles consacrés aux fresques murales vues à Redon, j’y renvoie le lecteur.

Ce graffiti témoigne aussi d’un goût pour l’imitation. Il répète un slogan ou les paroles d’une chanson du groupe Punk Nirvana. Il aurait valu au chanteur du groupe, alors adolescent, quelques ennuis avec la police de sa ville parce qu’il en couvrait les murs. Ce chanteur, Kurt Cobain, est moins connu pour son talent que pour son penchant pour l’autodestruction qui l’a finalement conduit au suicide (en 1994). Longtemps après sa mort il semble encore fasciner de nombreux jeunes en proie à des idées morbides et au mépris de soi. La même tendance pouvait en effet se voir dans les fresques que j’ai photographiées à Redon et n’est sans doute pas qu’une posture mais semble la marque d’un profond désarroi. Ce que manifeste ce slogan est réitéré et même hurlé par le tag « rape me » c’est-à-dire « violez-moi » qu’on peut craindre n’être pas du tout une plaisanterie mais l’expression d’un sentiment d’indignité masochiste comparable à celle du pêcheur face à son dieu.

 2) En effet, le graffiti « god is gay » témoigne  clairement de l’offensive du religieux. Il ne dit pas que l’homosexualité est une chose naturelle tout autant que l’hétérosexualité, qu’elle est normale pour autant qu’il y ait lieu ici d’invoquer une norme c’est-à-dire la conformité à un principe ou un idéal. L’affirmation que dieu est homosexuel réussit à bafouer  la conception traditionnelle de la religion tout en se pliant à ce qui en fait le fond : la projection dans un au-delà, sur un sujet transcendant de ce qui devrait être l’attribut de la personne humaine : sa capacité à choisir librement sa vie, à déployer toutes ses potentialités. Cela n’atteint pas plus son but que la transgression de celui qui met sa casquette à l’envers, c’est encore une fois une fausse rébellion ! La religion la plus traditionnelle fait bien plus fort. Son dieu n’y apparait que flanqué d’un double inversé : le diable. Il n’y a pas pour elle de dieu sans démon (1). Elle le maintient en dépit de tout comme le montre la présence dans chaque évêché d’un prêtre exorciste. Elle n’a pas attendu Nietzsche pour oser la transvaluation de toutes ses valeurs. Elle en fait même le piment de ce qui agite la vie intérieure du croyant. Sans enfer et sans diable, pourquoi prierait-il ? de quoi voudrait-il être sauvé ? Il vivrait dans une douce quiétude ! (voir le commentaire ajouté à l’article « religion et sport de combat« )

3) Enfin, pourquoi cette promotion de l’homosexualité ? C’est ici qu’est le plus remarquable dans cette offensive idéologique. Si l’homosexualité est naturelle, si elle n’est rien d’autre que l’acceptation d’un penchant, pourquoi vouloir la présenter comme une transgression ? L’homosexuel n’est pas plus ni moins émancipé qu’un autre et dans les sociétés avancées ses droits, quoi qu’il en dise, ne sont pas plus contestés que ceux du fumeur (peut-être moins d’ailleurs parfois). J’ai dit longuement tout ce que je pensais de tout cela et de ses présupposés idéologiques dans mes articles consacrés au « genre ». Particulièrement ceux qui vont de mai à juin 2014. J’y renvoie le lecteur.

Non, il ne s’agit pas de défendre les droits d’une minorité discriminée mais de tout autre chose. Il s’agit d’égarer la jeunesse !

A quoi sert désorienter la jeunesse  ? Pourquoi en rajouter dans l’anarchie ambiante ? — Mais c’est simple : il faut occuper la jeunesse, l’inviter à user ses forces, les dévier, l’opposer aux autres classes d’âge, en faire une cible commerciale et publicitaire particulière. Il s’agit, plus généralement, d’utiliser les questions sociétales pour diviser les peuples et dissocier couches moyennes urbaines et couches populaires. Voilà des décennies que de multiples efforts sont faits dans le monde entier pour cela, avec toujours plus d’insistance.

En France, dans les années 60 après la guerre d’Algérie, la jeunesse bouillonnait. On lui propose le yéyé : Cloclo, Sheyla et Johny (décrété idole des jeunes !). On contribuait ainsi à l’écrasement de la culture populaire pour faire place aux produits venus des usa dans le sillage du plan Marshall. Dans le même temps on proposait à la jeunesse une libération de pacotille : dans la tenue vestimentaire, la coiffure, le vocabulaire, la façon de danser…. bref là où elle n’avait nul besoin !

Après mai 68, il faut faire plus fort : on ouvre en grand les vannes de la drogue. Droguez-vous, partez élever des chèvres ou soyez révolutionnaires. Quelle merveille que ces jeunes révolutionnaires qui luttent contre les stalinos/collabos et autres révisionnistes ou bureaucrates. Le modèle c’est Che Guevara. Il a eu la bonne idée de vouloir créer deux ou trois Vietnam pendant que la totalité des communistes dans le monde se battaient pour la paix ! S’il avait réussi, il aurait permis le sursaut patriotique des USA mais il est mort juste à temps pour être canonisé. Et ces gauchistes sont tellement intelligents ! (Ils l’ont d’ailleurs prouvé comme le montre mon article du 12 novembre 2015 « la voie de passage du gauchisme au néo-conservatisme »). C’est beau aussi ces jeunes qui partent pour Katmandou comme leur en ont donné l’exemple les Beatles et les autres chanteurs à la mode. La drogue, c’est la créativité. Aujourd’hui on en est à parler de légalisation, on a créé un fléau, eh bien ! on va en faire une source de profits !

Et tout cela continue de plus belle car la crise du capitalisme exige un redoublement des efforts !  Seul le thème principal a changé. Il vient s’ajouter aux autres. On lutte à présent pour les droits des homosexuels, victimes de l’hétérosexualité obligatoire et du phallocentrisme. Il faut que la jeunesse s’investisse dans cette lutte d’une importance primordiale. Autrement, elle pourrait bien se préoccuper de ses conditions d’étude, de son accès au logement et à l’emploi etc. Et cela réussit au-delà de tout ce qu’on aurait pu imaginer : il n’existe quasiment plus d’organisations de jeunesse capables de se faire entendre. Ainsi, j’ai vu il y a quelque temps que les fenêtres de ce qui était auparavant le local de l’UNEF à Nanterre sont aujourd’hui celles d’un local utilisé par une association LGBT ! Le genre est aussi la grande affaire de sciences po et à Paris 8 (voir mon article « Mœurs attaque« ). Le féminisme est mort quand il regarde en dessous du nombril, quand il se réduit, comme je le voyais récemment, à la promotion de la masturbation ! ( et va même jusqu’à démarcher pour l’industrie du sexe en vantant et en proposant des sextoys !  voir ici). A ses débuts outil d’émancipation (2), le féminisme s’est transformé en instrument de division (3).

Ces associations LGBT croient lutter contre les idées les plus rétrogrades. Elles ne font que diffuser une idéologie de division venue USA (d’où l’usage du globish !). Ceux de « la manif pour tous » leurs donnent efficacement la réplique en restant dans le même cadre mental : normes contre normes (variantes du classique dieu contre diable). Mais la vision réductrice de la société est la même :  réduction à l’individu, ses affiliations à la famille ou la communauté, leur « culture ». Le genre efface la classe. Sauf que la lutte des genres ne menace pas le capital. C’est une lutte sans fin et qui introduit la division là on aurait tant besoin d’unité  !  (4)

1 – c’est une chose singulière à méditer :  ce qui ruine les religions ce n’est la perte de la croyance en dieu mais la perte, beaucoup plus fréquente, de la croyance au diable. Beaucoup croient en dieu ou du moins n’en sont pas encore à ne pas croire mais refusent de croire au diable. Cette croyance-là leur parait ridicule. Leur croyance en dieu sera tiède, tranquille et comme de confort. Ils pratiqueront peu et sans zèle et ne seront jamais des radicaux.

Les programmes de déradicalisation devraient porter là-dessus : rendre ridicule la croyance au diable : car qui sera pressé de rejoindre le paradis s’il ne craint pas d’échouer en enfer. Ce qu’on est assuré de recevoir pourquoi voudrait-on  souffrir pour l’avoir ! Les jihadistes suicidaires sont souvent d’anciens voyous: ils veulent troquer leur billet pour l’enfer (qu’ils pensent mériter !) contre un billet pour le paradis !

2 – lire : Les féministes de la CGT Histoire du magazine Antoinette (1955-1989) Paris, Editions Delga 2011

3 – il remarquable que les vastes manifestations, qui ont fait suite aux USA à l’élection de Trump et visaient essentiellement son sexisme, ne trouvent aucun équivalent pour dénoncer l’industrie du sexe qui est une plus des plus ignobles et des plus florissantes !

4 – la seule voie pour en finir avec la domination mondiale du capital (dite « mondialisation ») est d’unir les couches populaires et leur élite les ingénieurs, techniciens et couches moyennes travaillant des les secteurs de pointe. Voir la série de mes articles intitulés « qu’est-ce que la mondialisation ?« 

 

 

 

 

 

 

 

La décennie fatale

decennie-fatale-1La rencontre entre Jean-Paul II et Ronald Reagan, au plus fort de la deuxième guerre froide, est passée relativement inaperçue. Dans cette rencontre s’est dessiné une collusion entre l’Église catholique et les États-Unis pour affaiblir l’empire soviétique. Mais la politique qui a été planifiée à ce moment-là n’aurait eu aucune chance de succès si elle n’avait bénéficié de deux ordres de circonstances favorables qui avaient mûris au cours de la décennie précédente. Le premier est bien-sûr un terrain propice dû à la crise du socialisme réel (exacerbée par le choc pétrolier) ; le second est le début de la désécularisation du monde.

Cette désécularisation du monde s’est manifestée sans que personne n’en prenne la mesure depuis la fin des « trente glorieuses » et du mythe de l’amélioration progressive et incessante des conditions d’existence d’une génération à l’autre. L’industrialisation des pays en voie de développement avait déraciné des millions de personnes qui sont passées brutalement d’un mode de vie et de traditions séculaires à des réalités le plus souvent incompréhensibles et hostiles. Le cycle mondial libre échangiste a provoqué un profond séisme géopolitique qui a fini par effacer les équilibres internationaux nés de la dernière guerre et toutes les superstructures idéologiques qui ont été brodées autour de ces équilibres internationaux. Depuis lors, progressivement dans les sociétés avancées, et brutalement dans les pays en voie de développement, les points de repères autour desquels se structurait la vie sociale des individus et des communautés, ont été affaiblis, transformés, voire détruits (parmi ces points de repère, on peut citer : l’État nation, l’identité nationale, les idéologies politiques, la sécurité sociale, la solidarité, la famille, les traditions ancestrales, les habitudes liées à la vie agricole ou nomade).

dennie-fatale-2La rapidité des événements a amené les individus et les communautés à la recherche parfois désespérée, parfois effrénée de  nouvelles identités  ou à la réaffirmation des vieilles identités qui semblaient avoir été balayées par l’inhumanité de la société industrielle.

Ce mouvement s’est manifesté aussi bien en Europe que sur les autres continents. En 1970, quand il y a eu une très grande mobilisation politique et syndicale qui a fait tomber le régime de Gomulka, les ouvriers de Dansk et de Potsdam sortaient des usines en chantant la Marseillaise et l’Internationale. En 1980, dix ans plus tard, ils quittaient les chantiers navals en chantant des hymnes à la Vierge Marie. La force de la mobilisation avait changé de nature. Le politologue Gilles Kepel, dans son livre « la revanche de dieu », fait le même constat pour le monde Islamique : au moment de la guerre des six jours, en 1967, les soldats Égyptiens partaient à l’attaque en lançant des slogans pour Nasser, pour l’Égypte et pour la nation arabe. En 1973, au moment de la guerre du Kippour, ils montaient au front en criant « allah wakbar ». Donc, là aussi, il y avait une force de mobilisation qui avait changé de registre – ce n’était plus la force de mobilisation du nationalisme politique, c’était la force de mobilisation de la religion. Sans ce changement de nature qui intervint au cours des années 70  (cette décennie fatale !), toutes les tentatives de Ronald Reagan ou de n’importe qui d’autres auraient été destinées à l’échec..  

bascule-1Les circonstances m’ont amené alors à faire partie de la délégation française au Festival Mondial de la Jeunesse et des Étudiants de 1973 à Berlin (Berlin Est à ce moment-là et capitale de la DDR). Ce festival a été un moment important pour toutes les forces démocratiques dans le monde à cette époque. Il donnait l’impression d’une puissance invincible. La guerre du Vietnam  était quasiment gagnée. Les américains allaient devoir capituler tôt ou tard.  A Berlin, en ce début août, presque tous les pays étaient représentés et les 20.000 délégués étaient enthousiastes et se voyaient  libérer leur pays prochainement d’une dictature, de la domination coloniale ou comme en France et en Italie, imaginaient pouvoir gagner rapidement les élections.

Dans ces premières années de la décennie fatale 70, nous n’avions pas encore conscience que le monde ne basculait pas en notre faveur. Nous n’avions pas compris que le tournant idéologique pris en mai 68 par la petite bourgeoisie intellectuelle allait contribuer au recul des deux grandes forces issues de la Libération : le Parti Communiste et le gaullisme. Nous étions tous plus ou moins influencé par ce « libéralisme libertaire » qui semblait devoir faire souffler un vent si favorable. Nous n’avions pas vu que ce gauchisme tapageur qui nous harcelait sur notre gauche était en fait une force contrerévolutionnaire.

La délégation chilienne partageait l’optimisme général même si elle redoutait une tentative de coup d’État. Elle était loin d’imaginer ce qui allait se passer. Personne n’avait pensé qu’un coup d’État aussi sauvage que celui de 11 septembre 1973 pouvait avoir lieu dans un pays développé et dont le gouvernement était arrivé au pouvoir  régulièrement par les urnes (un gouvernement qui d’ailleurs pouvait être renversé de la même façon). Le Chili a été le premier laboratoire de la nouvelle politique des États-Unis : stratégie du choc, c’est-à-dire la destruction délibérée de toutes les institutions d’un pays,  l’application violente d’une politique ultra libérale poussant la population dans la misère et provoquant un accroissement exponentiel des inégalités. De ces jeunes qui défilaient dans le stade de Berlin au premier jour du festival, peu ont survécu. Sans doute la quasi-totalité était morte moins de deux mois plus tard.

bascule-2Gladys Marin, la secrétaire générale de la jeunesse communiste chilienne, qu’une photo montre en conférence de presse,  a pu se réfugier dans l’ambassade d’Allemagne. Elle est devenue plus tard la présidente du Parti Communiste dans la clandestinité. Son mari a été arrêté et assassiné en 1976. Elle est morte en 2005 après une vie de combat. Angela Davis, qu’on voit aussi en conférence de presse, avait été rendue célèbre par la campagne mondiale pour la libérer de prison où elle a séjourné seize mois en 1970 et 1971 à la suite d’accusations mensongères. Elle a mené ensuite une carrière universitaire et une action politique dont les échos ne sont jamais venus jusqu’en France.

bascule-3En octobre 1973 éclatait la guerre du Kippour qui a vu une nouvelle défaite du nationalisme arabe. Après quelques succès les armées  syriennes et égyptiennes subirent un revers qui a amené l’Égypte à passer un accord avec Israël et à basculer dans le camp des États soutenus par les États-Unis. C’était la fin du nationalisme arabe. Les États laïques ont vu l’installation de dictatures qui subsistent encore ou qui ont été remplacées par pire encore : le chaos et la guerre. 

Dans toutes nos discussions au cours de la semaine de Festival, il ne s’est trouvé personne pour voir la montée des vagues qui allaient nous submerger : à l’international, l’ultra libéralisme et ses stratégies du choc, et la montée des courants religieux, qui pourtant se manifestaient déjà l’un et l’autre ; en interne, ce libéralisme libertaire qui allait dévier sur le sociétal les force indispensables à notre succès (la jeunesse et la petite bourgeoisie intellectuelle). En fait, il semble que peu de gens aient pris la mesure du phénomène et du revers historique qui ne faisait que s’annoncer alors. Très peu avaient imaginé que les forces de progrès seraient les premières victimes de la crise générale du capitalisme exacerbée par l’augmentation brutale du prix du pétrole et des matières premières et par la répétition des crises monétaires et le flottement du dollars libérant les vannes de la spéculation. Nous n’avions pas vu ce que recelait de danger le flottement du dollars détaché de l’étalon or (15 août 1971). Il faudra sans doute attendre encore de longues années avant que les esprits sortent de la confusion, que l’histoire reprenne son cours et que ceux qui ont détruit tout ce qui s’annonçait de bien aient eux-mêmes sombré dans leur propre crise. La renaissance viendra mais elle est bien longue à venir !

Elle viendra, j’en suis convaincu. Nous connaitrons une décennie magnifique comme le fut la décennie 1920 après la guerre de 14 – 18. La jeunesse était alors avide de nouveauté. Elle voulait tourner le dos à tout ce qui avait conduit à la catastrophe et s’est entichée de tout ce qui était révolutionnaire : le communisme en politique, le surréalisme et le modernisme en art, la théorie générale de la relativité et la physique quantique en  science, le freudisme en psychologie et bien au-delà. Tout ce qui était nouveau était reçu avec avidité comme aujourd’hui les meilleurs tournent leurs regards anxieux vers l’avenir et recherchent une issue, un espoir, une nouveauté absolue d’où pourrait venir le salut. Tout cela n’est encore que balbutiements, essais avortés (mouvements des indignés en politique, essais vite récupérés par le marché en art, théorie des multivers ou des super cordes en science etc.). Il faut être patient car il est plus difficile de renaitre que de naitre.

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La voie de passage du gauchisme au néo conservatisme

image 1Dans les années soixante-dix apparut une série d’intellectuels qui avaient comme caractéristique commune au départ d’être classés à gauche voire à l’extrême gauche et qui se sont mués très rapidement en intellectuels de droite. Ils sont passés du gauchisme au néo conservatisme. Cette trajectoire, ce cheminement, ne s’explique ni par l’opportunisme ni par leur personnalité. Pour le comprendre il faut le replacer dans un contexte de classe.

Effectivement, toute production intellectuelle ne peut être comprise qu’en la replaçant dans le contexte socio-économique, politique et culturel de son époque. Or, ces intellectuels étaient les représentants les plus en vue d’une classe, la petite bourgeoisie intellectuelle, qui s’est trouvée dans une situation bloquée dans l’Europe du sud (c’est-à-dire en France, Espagne, Portugal et Grèce). Elle n’a pas pu, comme ses homologues de l’Europe du nord trouver sa place tout naturellement dans les appareils d’État, qu’il s’agisse de l’université, la recherche ou même dans la classe dirigeante par le biais des partis sociaux-démocrates et des syndicats.

Pourtant cette classe n’avait jamais été aussi numériquement importante aussi bien en pourcentage de la population que qualitativement. Cette classe donnait le « la » en matière d’innovations culturelles mais elle était sur le plan politique réduite à l’impuissance.  Cela explique sa radicalisation. Seul un changement radical pouvait lui offrir des perspectives.

En France il y avait la Vème République, un régime centralisé, autoritaire, technocratique, sous la direction d’un dirigeant plébiscité bien qu’issu d’un coup d’État. Ce dirigeant très « vieille France », le général de Gaulle, régnait sur une assemblée largement monocolore qui ne laissait aucun espace politique à cette nouvelle classe montante. Une constitution taillée sur mesure assurait la pérennité de son pouvoir et réduisait à l’impuissance toute opposition.

Du côté de la classe ouvrière, la porte était également fermée dans la mesure où un fort parti communiste et des syndicats puissants occupaient le terrain et n’avaient nul besoin des services d’une intelligentsia qu’elle produisait déjà en son sein. Ainsi, la classe intellectuelle était-elle sans contact aucun avec les classes populaires et était tenue à l’écart par la bourgeoisie capitaliste. Ses représentants les plus éminents n’étaient, selon l’expression d’un des leurs (Jacques Julliard) que « les intellectuels organiques de leur propre classe ».

Enfermée dans le ghetto de l’université, bloquée par le mandarinat, cette classe intellectuelle s’est radicalisée. Cette radicalisation a conduit à mai 68 (au mai 68 étudiant à distinguer du mai 68 ouvrier). Tout en utilisant la peur créée par un déchainement « révolutionnaire » qu’elle savait mettre en scène, la classe dirigeante capitaliste a bien compris ce qu’était l’enjeu des événements. Selon le témoignage du sociologue Jean-Pierre Garnier, le premier ministre du Général de Gaulle, Georges Pompidou, a bien vu que mai 68 était la révolution d’une jeunesse aisée, cultivée, qui aspirait au pouvoir mais qui ne pouvait pas réaliser ses aspirations. Il a vu que la solution n’était pas la répression contrairement à ce que croyait le Général de Gaulle (lequel était prêt à faire appel à l’armée et au général Massu) mais qu’elle exigeait un jeu politique subtil. Soutenu par le ministre de l’éducation et par le ministre de l’intérieur, il a fait comprendre à de Gaulle que les gens qui étaient en train de brandir des portraits de Che Guevara, de Lénine ou de Mao, réclamaient « du pouvoir » mais pas « le pouvoir » et qu’il fallait répondre à leur demande pourvu qu’ils veuillent bien infléchir suffisamment leur discours.

image 2La voie leur a été ainsi ouverte pour la conquête des appareils culturels sous le sceau de la « nouvelle société » ou du « libéralisme avancé ». Ils ont su comprendre cela et donner des gages sur lesquels je reviendrai. Un des effets les plus immédiats de la nouvelle politique du pouvoir a été la création de l’Université de Vincennes, qui tout à la fois permettait de créer des postes et de laisser libre cours à l’expérimentation tout en cantonnant les plus déterminés dans une espèce de champ clos. Grâce à des prêts bancaires largement ouverts, d’autres ont pu se lancer dans la presse (création du journal Libération), dans la librairie (la FNAC) et plus généralement dans toutes les industries culturelles.

La voie du pouvoir s’est encore ouverte plus largement après mai 81 sous la houlette de Jack Lang. Les révolutionnaires d’hier sont alors devenus les intellectuels dominants. Ils ont acquis une place prépondérante dans les médias à tel point qu’on pourrait parler, en paraphrasant Eisenhower, de complexe médiatico-intellectuel. Ils se sont ainsi trouvés mués en porte-paroles de la classe dominante et ont dû adapter leurs discours à cette nouvelle situation.

Il leur a fallu, dans cette situation inédite, devenir les producteurs d’une idéologie justifiant l’ordre établi. Cela a donné lieu à des « retournements de veste » acrobatiques dont le plus spectaculaire a été l’avènement de « la nouvelle philosophie » : une philosophie plus que médiocre mais fondée sur le support de la presse dite de gauche (Libération – Le Nouvel Observateur) et sur la télévision. Cela a fait des gens qui ont réussi cette métamorphose des gens extrêmement influents qui ont réussi à formater l’opinion publique tout en agissant sur les dirigeants capitalistes avec le « new management ».

Relayé très largement par les médias qu’ils contrôlaient, leur discours anti-marxiste (dit anti-totalitaire) est parvenu à rendre obsolètes les concepts marxistes qui permettaient aux classes populaires d’exprimer leurs souffrances, leurs revendications et de se mobiliser. Le rôle des nouveaux intellectuels est ainsi devenu fondamental dans la mobilisation de la classe dirigeante pour défendre ses intérêts. A tel point qu’on a pu voir un ancien dirigeant maoïste devenir conseiller du MEDEF !

Les tenants de ce qu’on appelle aujourd’hui « la pensée 68 » n’ont pas peu contribué à l’affaiblissement des organisations ouvrières. On peut même dire qu’ils ont très activement occupé le flanc gauche d’une offensive concertée. Leur activisme forcené, mais sans base sociale réelle, complaisamment relayé par les médias, leur a permis d’acquérir un poids intellectuel et culturel considérable. On se souvient par exemple comment les gesticulations de la Gauche Prolétarienne, comme l’attaque des magasins Fauchon, étaient illustrées au journal télévisé comme une épopée révolutionnaire. Leur dénonciation tonitruante des directions syndicales en faisait les ténors dans le concert d’imprécations contre le nouvel épouvantail agité sous le nom de « totalitarisme ». Elle s’est soldée par un rapprochement avec la CFDT au moment où celle-ci opérait son recentrage. De là sont sorties des trajectoires divergentes et erratiques dont la seule constante était une dénonciation virulente du Parti Communiste inspirée tout à la fois par des thèmes libertaires et par leur antithèse absolue sous la forme de la révolution culturelle chinoise.

Pour ne retenir que les plus sérieux, des nouveaux philosophes à Lyotard le retournement a été complet : ce dernier par exemple, après avoir joué le rôle de l’aiguillon de gauche du socialisme, est allé jusqu’à annoncer qu’il voterait pour Giscard d’Estaing contre Mitterrand. Plus subtilement, Foucault se sert des thèses néolibérales et s’appuie sur elles pour promouvoir les luttes secondaires contre les luttes de masse. Il fait de l’esprit de parti une menace contre la démocratie et accompagne la dépolitisation en cours en valorisant les questions sociétales.

Deleuze fait de la critique de l’idée de totalisation une arme contre le marxisme. Il rejoint Foucault dans la critique de l’engagement. Critique de la totalisation, critique de l’organisation et critique de la représentation, convergent pour définir un nouvel espace politique : celui de la micro politique. La classe ouvrière est désormais présentée comme apathique, réactionnaire, toujours prête à céder au fascisme. A l’intellectuel, allié des exploités, se substitue le penseur qui ne parle que pour lui-même et procède à une critique généralisée de la « représentation ». Deleuze peut ainsi dénoncer les « instances dites représentatives à la PC ou à la CGT ». Il théorise avec Guattari le refus des organisations partisanes et syndicales classiques et se fait le promoteur d’un militantisme décalé et l’apologiste utopiste des « subversions douces » : «A travers un décentrement systématique du désir social, des subversions douces, d’imperceptibles révolutions [… ] finiront par changer la face du monde, par le rendre plus souriant ce qui, avouez-le, ne serait pas un luxe ». Tous deux se font les chantres du « devenir minoritaire » c’est-à-dire de l’action groupusculaire et locale qui devrait toujours être préférée à l’action de masse. Ils objectent emphatiquement aux politiques majoritaires, quelles qu’elles soient : les minorités révolutionnaires « parce qu’elles portent un mouvement plus profond qui remet en question l’axiomatique mondiale ». Et pour couronner cette invitation à se saborder adressée aux organisations ouvrières, ils défendent le libéralisme comme voie pour accélérer la fin du capitalisme. Il faut, selon eux : « Non pas se retirer du procès, mais aller plus loin, ‘accélérer le procès’ », ce qui consiste à toujours plus déréguler les flux financiers et marchands.

Mais ces subversions, ces dérégulations, c’est le libéralisme qui a menées et nous savons où elles ont abouti. Les organisations ouvrières ont été effectivement ramenées au niveau de l’action groupusculaire. Chacun a joué sa partition pour atteindre ce but, mais qui peut s’en féliciter ?

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Trois événements internationaux ont facilité ce virage général à droite : la parution de l’archipel du Goulag de Soljenitsyne en 1974, la crise des SS 20 entre les États-Unis et l’URSS, la crise des Boat peoples consécutive à la fin de la guerre du Vietnam.

A vrai dire, le livre de Soljenitsyne, traduit en 1974, n’a pas eu d’effets dans l’immédiat. Son auteur paraissait trop clairement être un réactionnaire qui militait pour la réhabilitation du général Vlassov qui avait trahi son pays en s’alliant à Hitler. Le même Soljenitsyne soutenait le général Pinochet bourreau du Chili. Ce n’est que vers 1977 que son livre a pu être utilisé comme un thème majeur de la lutte contre le nouveau danger : le totalitarisme.

La crise des SS 20 déployés en Europe de l’Est en réplique aux menaces de l’OTAN a été le second alibi du retournement d’une classe intellectuelle qui savait ne pouvoir prospérer qu’en rompant avec toute forme de marxisme. Elle a permis le passage de la critique de l’impérialisme américain à celle de l’URSS.

Enfin, le troisième prétexte à la volteface a été l’affaire des boat peoples. A la fin des années soixante-dix quelques centaines de milliers de personnes ont fui le Vietnam communiste dans des conditions dramatiques. Cela a donné lieu à une mobilisation sans précédent des intellectuels en France et dans d’autres pays d’Europe. La situation étant attribuée à la répression communiste et non à la misère d’un pays sous embargo menacé par son puissant voisin.

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image 3J’ai repris  l’idée de Jean-Pierre Garnier que la clairvoyance de Georges Pompidou avait facilité le passage des intellectuels gauchistes à la droite. Il me faut maintenant revenir sur ce point pour faire valoir certains aspects du gauchisme aujourd’hui complétement occultés au profit d’une imagerie complaisamment répandue – aspects qui permettent de comprendre que le gauchisme n’a pas été manipulé mais s’est prêté avec zèle au marché qui lui était proposé.

La politique initiée par Georges Pompidou a eu d’autant plus de succès que le gauchisme le plus extrême s’y est prêté. Ses dirigeants ont bien compris le marché qui leur était proposé et ont clairement fait la preuve qu’ils étaient prêts à donner des gages. Cela s’est joué autour de la liquidation du mouvement étudiant et en particulier du syndicat étudiant l’UNEF. Les deux acteurs de cette affaire ont été, d’une part, la Gauche Prolétarienne maoïste dont les dirigeants ou les sympathisants occupent les premières place aujourd’hui dans les médias et, d’autre part, les trotskystes de la IVème internationale Lambertiste dont les militants sont aujourd’hui très bien placés dans le PS (voir Jospin et Cambadélis).

Je peux d’autant mieux parler de ces deux moments du passage du gauchisme au service du pouvoir que j’en ai été le témoin direct. Ce que j’ai a raconter à ce sujet est suffisamment éclairant pour devoir être dit en détail.

Le premier moment de la liquidation du mouvement étudiant est le fait des maoïstes. Il se situe en 1970 à l’université de Nanterre. On y voit l’organisation maoïste la Gauche Prolétarienne faire ce que n’auraient pas pu réussir les groupes d’extrême droite.

Voici les faits : nous sommes en 1970 à la fac de Nanterre. A la rentrée de septembre, l’université était sous tension. Les halls étaient occupés par des tables tenues par une multitude d’organisations allant de l’extrême droite à la gauche la plus écervelée. De violentes bagarres éclataient régulièrement, des « tribunaux populaires » siégeaient, les cours étaient régulièrement interrompus par des « prises de parole » dictées par l’urgence d’une révolution imminente. Des cars de CRS, toujours plus nombreux, stationnaient aux entrées ; leurs occupants n’avaient pas le droit d’en descendre. Ils enrageaient la journée entière sous les quolibets des étudiants qui passaient. L’atmosphère était explosive.

Au début décembre le groupe maoïste, la Gauche Prolétarienne, est arrivé avec toutes ses troupes pour organiser un meeting. Les leaders, entourés de leurs gardes, sont arrivés vers 14 heures. Sur la pelouse quatre individus masqués avaient posé une nappe et préparaient des cocktails Molotov en faisant semblant de ne pas voir une équipe de télévision qui les filmait, cachée sur les toits. Il était clair que quelque chose de grave se préparait. J’étais alors membre du Conseil d’Administration de l’UNEF mais non connu comme tel. Je suis donc parti aux nouvelles. Dans l’amphi qu’ils avaient investi les leaders gauchistes étaient à la tribune. Geismar tenait un discours véhément et excitait ses troupes au combat. Il y avait un nombre invraisemblable de flics ; il était impossible que les organisateurs ne le sachent pas. J’ai rapidement rendu compte de ce que j’avais vu ; après une courte discussion nous avons décidé d’évacuer le campus de crainte que certains ne profitent de la confusion pour nous faire un sort. Pendant que les autres partaient je suis allé à la fac de lettre où se trouvaient encore certains de nos militants. Je devais les avertir et leur demander de quitter le campus au plus vite. Je venais juste de les retrouver quand les premiers heurts ont éclatés. On entendait les clameurs et les explosions, de la fumée montait. Nous avons quitté précipitamment le campus en allant à l’opposé, vers la bibliothèque.

Le reste, je ne l’ai pas vu, je ne l’ai appris que les jours suivants par les étudiants qui se sont trouvés pris dans l’affrontement. Les CRS ont été lâchés au moment où les participants au meeting sortaient en masse pour en découdre. L’affrontement a été bref mais extrêmement violent. En à peine un quart d’heure les CRS ont balayé tout le campus. Les gauchistes, vrais et faux, se sont réfugiés dans les bâtiments. Des centaines d’étudiants s’y sont trouvés piégés avec eux. Les CRS ont alors été regroupés au centre du campus et formaient un carré. Il s’abattait sur eux une pluie de projectiles. Toutes les chaises, toutes les tables ont été cassées et leur étaient lancées des fenêtres. Cela a duré jusqu’au soir (très précisément jusqu’à l’heure du journal télévisé). A ce moment ils ont reçus l’ordre de charger. Les portes ont volées en éclat et ça a été la curée. Les choses ont si mal tourné que les gardes mobiles ont été appelés pour s’interposer et calmer la fureur meurtrière des CRS.

On m’a raconté que la résidence universitaire a été investie. Un jeune qui avait été au lycée avec moi et qui n’était pour rien dans cette affaire a vu la porte de sa chambre défoncée. Il a été roué de coups et s’est retrouvé avec le foie éclaté. Ses études se sont arrêtées là.

Le lendemain, la fac était déserte. Il ne restait pas une chaise, pas une table pas un pupitre. Les portes et les fenêtres étaient brisées. La fac était déserte, dévastée. On m’a dit que quelqu’un avait ouvert des vannes dans les sous-sols et qu’un transformateur avait été inondé. Cela aurait pu provoquer un incendie. La présidence a annoncé que tous les cours étaient suspendus jusqu’aux vacances de Noël et que le rentrée de janvier était retardée jusqu’à une date indéterminée.

Notre réunion a été courte : s’en était fini des franchises universitaires, il était inutile de tenter de s’en réclamer. Depuis le moyen-âge l’université était lieu d’asile, la police ne devait pas y pénétrer. Mais comment défendre cela quand elle était le lieu d’une bataille rangée. Les cours ont repris à la mi-janvier dans une atmosphère morne : plus de propagande, plus de tracs, plus d’interventions. Les étudiants ne voulaient plus rien en entendre.

Il est clair que la malfaisance gauchiste ne s’arrêtait pas au domaine des idées. Ils ont contribué très fortement à l’affaiblissement des organisations étudiantes et rendu ainsi un service remarqué au pouvoir. Après le saccage de la fac, les étudiants ne voulaient plus rien entendre. Ils avaient une aversion totale pour tout ce qui ressemblait à une organisation politique ou syndicale. Ils voulaient de l’ordre, des vigiles, des contrôles. Chaque organisation était victime de cela à proportion de son audience. La plus affaiblie était l’UNEF même si elle ne cessait de répéter qu’elle condamnait les violences et n’y avait absolument pas participé.

Ainsi affaiblie, coupée de la masse des étudiants, l’Unef était prête pour la deuxième étape de sa liquidation : la scission organisée par les Trotskystes.

Cela s’est passé en 1971. Pour le raconter je dois d’abord camper le décor : les différents groupuscules gauchistes et anarchistes qui s’étaient disputé le contrôle de l’UNEF perdaient toute influence. Les étudiants les supportaient de moins en moins. En janvier, les rocardiens sont mis en minorité et quittent le syndicat (en laissant un énorme trou financier). Un congrès doit être organisé pour élire un nouveau bureau. Deux listes sont en compétition : la tendance « renouveau » animée par l’UEC et la tendance « unité syndicale » d’obédience trotskiste. Le rapport est d’environ 5 à 1 c’est-à-dire que la tendance « renouveau » est cinq fois plus nombreuse que la tendance trotskiste. Elle devait donc l’emporter et la question est celle de la place de la minorité.

Une réunion est organisée dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Je revois la scène : je suis dans la salle. Un type avec des béquilles est assis à côté de moi. Sur la tribune il y a Guy Konopnicki pour la tendance renouveau, entouré des deux leaders trotskistes : Serac et Berg. Les deux sont très élégants, ils ont des airs de cadres supérieurs : costumes anthracites et manteaux bleus, cravates et boutons de manchette brillants. Je m’étonne qu’ils puissent être étudiants. Ils semblent plus proches de quarantaine que de leurs vingt ans.

Je ne sais rien de Sérac. Mais Charles Berg continue à faire parler de lui. Son vrai nom est Charles Stobnicer mais il se fait appeler aujourd’hui Jacques Kisner ; il est réapparu vers 1980 comme producteur de cinéma et scénariste. Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez nulle part sa date de naissance, ni aucune biographie sérieuse le concernant. Il dirige alors l’AJS qui est la reconstitution d’une des organisations dissoutes en 68 pour sa particulière violence(le CLER). L’AJS se présente comme le mouvement de jeunesse de OCI (lequel se fait appeler aujourd’hui le POI et se prétend la véritable IVème internationale). Le dirigeant suprême est un certain Lambert (mort en 2008, de son vrai nom Pierre Boussel). Ses partisans le présentent comme un ancien compagnon de Trotski. En fait c’est un permanent de FO, qu’il a représenté à la direction de la Sécurité Sociale depuis sa création. (FO a été créée sous l’impulsion de la CIA, il faut s’en souvenir).

Berg est donc à la tribune. C’est un orateur extrêmement brillant. Il se lance dans un long discours, commence doucement, puis hausse le ton à chaque nouvelle stance pour finir sur un ton véhément, qui passe à la fureur quand il se met à hurler : « on tue, on tue ».

image 5Konopnicki plonge aussitôt sous la table et se retrouve entre ses gardes du corps. Le type à côté de moi se met à faire tournoyer ses béquilles et frappe tous ceux qui sont à sa portée. Des coups pleuvent de partout. Nous nous réfugions dans un coin de la salle car les portes sont barrées par le service d’ordre trotskiste. Un énorme malabar bloque à lui tout seul la porte du fond. Cette situation périlleuse m’a paru durer un siècle.

Pendant ce temps, les trotskistes investissent le siège de l’UNEF rue Soufflot. Ils font ouvrir le coffre par un serrurier (de leurs amis) et détruisent les listes d’adhérents et tous les documents qui pourraient établir qu’ils sont minoritaires, accessoirement ils s’emparent des espèces qui s’y trouvaient. Ils font paraître un communiqué dans la presse qui prétend que la direction du syndicat leur a été confiée

Pour compléter son coup de force, l’AJS a pris la contrôle de la MNEF de la même façon et avec l’aval, là aussi de la justice. L’affaire a été encore plus simple. La réunion devait se tenir dans un gymnase de Nanterre. Le service d’ordre de l’AJS nous en a interdit l’accès avec l’appui des CRS (qui veillaient à ce qu’aucune violence ne soit commise !). La suite on la connaît et l’on sait ce qu’ils ont fait de la MNEF !

La droite ne pouvait rêver plus efficaces supplétifs. Elle avait la preuve qu’elle pouvait compter sur eux pour mettre hors d’état le mouvement étudiant et accessoirement le mouvement ouvrier. Pompidou avait vu juste et sa politique pouvait être poursuivie. Elle l’a été avec les résultats que l’on sait. Consulter l’annuaire des dirigeants gauchistes des années 70, c’est consulter l’annuaire des soutiens de l’OTAN et des chantres du néo conservatisme aujourd’hui ! Le passage de ces intellectuels de l’extrême gauche au néo conservatisme n’est pas le fruit d’aberrations individuelles, c’est le fruit d’une politique.

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Les étapes de la guerre et du mensonge (2)

image 6Cinquième étape : Au moment de l’affaire du golfe du Tonkin cela faisait plus d’une décennie que les américains intervenaient au Vietnam. Cela nous donne la mesure de leur acharnement et devrait nous inciter à la méfiance chaque fois que nous avons l’impression qu’ils sont sur le point de lâcher prise. En fait, eux et leurs pareils n’abandonnent que défaits, vaincus et réduits à l’impuissance.

Johnson était aussi tenace que ses prédécesseurs mais il était en campagne électorale ; il redoutait d’être « mal compris de l’opinion » et semblait jouer l’apaisement. Tandis que son état-major disait qu’il fallait frapper un grand coup et étendre les bombardements, il semblait considérer que la guerre devait être confiée à une force d’intervention asiatique « soutenue » par les forces américaines. Nous assistons aujourd’hui au même genre de détour dans toutes les guerres périphériques.

Johnson considérait que l’extension de la guerre au sol exigeait le renforcement du gouvernement du sud-Vietnam. Son secrétaire d’État McNamara insistait « pour que la voie reste ouverte à des actions plus fortes, même si le gouvernement du Sud-Vietnam n’arrive à améliorer sa situation ». La marine américaine continua ses patrouilles toujours plus proches des côtes Nord-Vietnamiennes. La CIA intensifia ses opérations de sabotage. Il s’agissait d’être prêt à lancer des opérations punitives de grande envergure dès qu’on parviendrait à créer à créer une mobilisation de l’opinion analogue à celle qu’avait permis l’affaire du golfe du Tonkin.

C’est ainsi qu’on arriva le 12 septembre à ce que la presse appela « le troisième incident de Tonkin ». Les incursions sur le territoire laotien et les opérations aériennes sur le Laos furent intensifiées car, disait le Pentagone « un cessez-le-feu actuel au Laos était incompatible avec le concept actuel de l’intérêt national des États-Unis ». La crainte était de voir s’organiser une conférence internationale qui parviendrait à une neutralisation du Laos et aurait risqué en contrecoup de provoquer l’effondrement du régime sud-Vietnamien. Pour parer à cela, le projet de propager l’incendie de la guerre à toute l’Indochine se profilait.

Mais l’opinion politique mondiale commençait à se mobiliser et l’URSS faisait savoir qu’elle ne pouvait pas « rester indifférente ». Elle se déclarait prêtre à apporter l’assistance nécessaire à un « pays frère ». Les États-Unis réagirent en élaborant d’urgence de nouvelles mesures de propagande. Il s’agissait « d’utiliser au maximum les explications de l’incident dans le golfe du Tonkin » et de gagner ou de renforcer la « sympathie » de l’OTSASE et de l’OTAN, et de s’appuyer sur l’amitié de la Grande-Bretagne, de l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Thaïlande.

L’opération « Rolling Thunder » se préparait. Elle fut précédée par « des ripostes isolées » qui en fait figuraient de longue date dans l’agenda du Pentagone. Les capitales amies en étaient informées à l’avance. Le comportement « scissionniste » des Chinois était observé avec attention.

L’opération « Rolling Thunder » démarra le 2 mars 1965. Les forces US était autorisées à utiliser le napalm. Les 14 et 15 mars furent les jours des bombardements les puissants depuis le début de la guerre aérienne. Plus de cent avions y participaient. L’étape suivante prévoyait l’utilisation des bombardiers lourds B-52.

image 7Sixième étape : En fin 1964 et au début 1965, malgré leurs provocations et les intenses bombardements sur le Nord, la situation n’était pas en faveur des États-Unis. Le gouvernement du sud s’effondrait. Les plans stratégiques avaient besoin d’être revus.

Les Nations-Unies proposaient leur médiation. Ho Chi Minh y était favorable. Lyndon Johnson laissa croire qu’il les accepterait mais il laissait passer le temps. Il attendait le printemps 1965 pour lancer une nouvelle étape vers une grande guerre au sol avec la participation d’unités militaires régulières des USA. Simultanément avec le déclenchement des attaques aériennes systématiques contre la R.D.V., au début mars 1965, la direction américaine prit la résolution de lancer dans l’offensive deux bataillons de Marines qui se trouvaient déjà au Sud-Vietnam. 3.500 fusiliers marins débarquèrent le 8 mars à Da Nang pour les soutenir. Le prétexte avancé dans les médias était qu’il s’agissait de renforcer la sécurité de la base aérienne. Une campagne fut lancée « pour informer l’opinion publique » en ce sens.

Les effectifs réguliers américains au Viêt-Nam étaient de 27.000 hommes mais cela ne suffisait pas. Les militaires réclamaient qu’ils soient portés à 70.000. Cela fut acté par Johnson lors d’une conférence tenue à la Maison Blanche les 1er et 2 avril 1965 malgré les doutes de l’Ambassadeur US à Saigon. Une nouvelle extension de la guerre s’annonçait mais il fallait parvenir à la cacher l’opinion publique américaine.

La 173ème brigade aéroportée fut ramenée de Honolulu. Mais cela ne suffisait pas encore. L’état-major réclamait que les effectifs terrestres soient portés à 82.000 hommes. En mai le Vietcong passa à l’offensive et prit la ville de Song Be. Il encercla un bataillon près de BaGia. Ce fut une défaite totale pour les américains : deux bataillons furent anéantis. Les désertions se multipliaient. Le général Westmorland réclama que les effectifs soient portés à 200.000 hommes. Johnson donna son accord, ce qui signifiait encore une nouvelle étape dans l’escalade. L’opinion publique commençait à s’alarmer des nouvelles qui filtraient. Elle ne pouvait plus croire que les troupes n’avaient pour mission que de garder la base de Da Nang et d’effectuer quelques patrouilles comme on voulait lui faire croire.

Le 4 mai le président demanda au Congrès l’attribution de 700 millions de dollars supplémentaires pourtant il « ne pouvait garantir que ce soit la dernière demande ». Il était désormais difficile de dissimuler l’ampleur des envois de troupes mais la version officielle persistait à ne reconnaitre que la présence de 75.000 ou 125.000 hommes. En juillet les effectifs réels étaient déjà de 184.000 hommes, soit 44 bataillons de ligne.

En novembre 1965, Westmorland demanda 154.000 hommes supplémentaires. Il ne cessait d’élever ses mises dans ce qui devenait pour l’opinion « une sale guerre ». En octobre 1967, c’étaient 525.000 hommes qui étaient engagés.

image 9Septième étape : En 1965 ne s’agissait pas pour les américains de menacer de bombarder puisqu’ils le faisaient massivement. La ruse consistait à marquer des « pauses » en proposant bruyamment des conditions de paix inadmissibles pour prouver la « mauvaise volonté de Hanoï ». La première « pause » débuta le 12 mai 1965. Elle ne concernait en fait que le Nord et ne dura que jusqu’au 18 ; elle s’accompagnait d’ailleurs d’une intensification des bombardements sur le Sud.

La deuxième « pause » fut un peu plus longue. Elle dura du 24 décembre 1965 au 31 janvier 1966 ; il s’agissait de calmer l’opinion mondiale et américaine qui protestait violemment contre l’agression en Indochine. Le 7 janvier, le Département d’État publiait les « 14 points » c’est-à-dire les prétentions que l’administration Johnson voulait faire avaliser par les autres capitales occidentales. Mais tout cela ne servit à rien : la reprise des bombardements déclencha une indignation plus vive que jamais.

Une troisième « pause » débuta à la mi-février 1967. Elle ne fut qu’un prétexte pour justifier une nouvelle escalade de la guerre. Elle fut réalisée d’après un scénario déjà au point et s’accompagna d’un flot de déclarations sur la volonté de « paix » du gouvernement des États-Unis qui assurait tapageusement de son souci d’arriver à un « règlement » alors qu’il savait très bien qu’il n’avait fait que lancer un ultimatum : la capitulation ou plus de bombardements encore.

Alterner les « tours de vis » supplémentaires et les moments de relâchement est une technique bien connue des tortionnaires pour briser les nerfs de leur victime. Appliquée à tout un peuple, elle se révélait inefficace. Le peuple Vietnamien avait compris qu’il n’avait rien à attendre d’un belliciste comme McNamara qui écrivait au même moment que le risque de cette tactique était « de tomber dans le piège d’un statu quo sous forme de cessez-le-feu ou de négociations qui […] pouvaient rendre politiquement difficile l’arrêt de la pause » et qui donc n’avait nullement l’intention de faire la paix.

image 10Huitième étape : Quand un matin de février 1971, des troupes de Saigon, appuyées par les Américains, envahirent le Laos, elles suivaient des chemins tracés dès 1964, c’est-à-dire au début de l’agression américaine au Vietnam. Cette invasion n’était que l’aboutissement d’un long processus d’ingérence qui avait commencé en 1956. Elle avait été longuement préparée. Un mémorandum adressé au secrétaire d’État Mcnamara proposait dès 1964 d’ « amener le gouvernement du Sud-Vietnam à entreprendre une opération au sol au Laos à une échelle suffisamment large…. »

Au Laos l’agression se déroula selon le même scénario que l’intervention au Vietnam. Au début, ce furent des attaques secrètes par des groupes de 25 à 40 bombardiers T-28 qui opéraient sous une identification laotienne avec des pilotes, souvent de nationalité Thaïlandaise, appartenant à la compagnie Air America dirigée par la CIA. Mais Washington s’obstinait à nier la participation de l’aviation américaine à ces opérations.

Ces attaques aériennes furent bientôt suivies de raids de commandos américains et saïgonnais organisés à une grande échelle. Elles furent suivies par la décision d’entreprendre une agression ouverte contre le Cambodge. Le 30 avril 1971 les troupes américano-saïgonnaises traversèrent la frontière du Cambodge pour prendre le contrôle de cet État indépendant.

Après vingt ans d’effort, les plans américains aboutissaient à la guerre générale. Une vaste opération se déroulait à laquelle participaient plusieurs centaines de milliers d’hommes dans toute l’Indochine. Des groupes formés de la tribu Kha encadrés par les américains se déplaçaient au Sud Laos pour aider les Sud-Vietnamiens à couper les lignes de ravitaillement. Des groupes de la tribu Méo, également encadrés par des Américains, lançaient une attaque dans le Nord du Laos. Dans certaines régions, des opérations offensives étaient réalisées par les forces royales laotiennes. Au Cambodge, les troupes sud-vietnamiennes et cambodgiennes intensifièrent leur action. Au Sud-Vietnam, le gouvernement lança une offensive générale contre les positions fortifiées des partisans.

On peut craindre qu’une opération de même nature se prépare contre la Syrie. On ne s’explique pas autrement l’installation de rampes de missiles à la frontière turque. Comment dire à la fois que l’armée syrienne recule partout et prétendre que, dans le même temps, elle menace ses voisins ? On voit bien que les États-Unis ont inscrit les principaux groupes armés opérant en Syrie dans leur liste des organisations terroristes mais que c’est un pays membre de l’Otan, la Turquie, qui en abrite les bases arrières. On voit que des renforts en mercenaires et djihadistes viennent de partout (en particulier d’Europe) et que leur acheminement et leur armement est assuré par l’Arabie Saoudite et le Qatar qui sont les principaux alliés des USA dans la région. Un groupe terroriste est apparu l’été dernier tout armé, avec des troupes entrainées, et l’on veut nous faire croire qu’il est venu de nulle part. On lit qu’il contrôle 24 banques en Irak et personne n’est parvenu jusqu’à présent à empêcher ces banques de faire de opérations avec d’autres banques hors d’Irak (sans possibilité de compensation internationale, une banque est vouée à faire faillite). Une centaine de camions chargés de pétrole passerait les frontières chaque jour et en un an aucun n’a été intercepté. Les terroristes reçoivent des munitions (comment pourraient-ils autrement poursuivre leur offensive ?) et personne n’est parvenu à en intercepter un seul chargement. Chaque fois que les États-Unis ont largué des munitions au Kurdes, leurs adversaires en ont reçu exactement autant (et ceci à chaque fois par erreur !).

Pourtant les choses étaient claires dès 2013 ; Un plan d’invasion était prêt selon ce qu’on lisait : « La France, le Royaume-Uni, Israël et le Qatar ont préparé un énième plan d’intervention en Syrie. 6 000 nouveaux djihadistes, dont 4 000 en provenance du Liban, devraient attaquer incessamment le quartier résidentiel de Mazzeh, au sud de Damas, qui abrite de nombreuses ambassades et où résident plusieurs hauts responsables civils et militaires. Un incident impliquant des armes chimiques à l’autre bout du pays devrait augmenter la tension. Un général félon devrait alors prétendre avoir pris le pouvoir et appeler les Occidentaux à l’aide, donnant ainsi un prétexte à une intervention militaire hors mandat de l’ONU». L’incident impliquant des armes chimiques a bien eu lieu mais trop vite éventé.

L’affaire n’est que remise ; la suite est prévisible : sauf si la diplomatie russe et chinoise parvient à l’éviter, comme dans le sud-est asiatique, une bataille générale va avoir lieu.

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Source : les étapes de la guerre et du mensonge – éditions de l’agence de presse Novosti – Moscou 1971

Les étapes de la guerre et du mensonge (1)

image 1Au début d’août 1964, le monde fut bouleversé par les événements en Indochine : l’aviation américaine commençait des bombardements féroces des villes et des villages de la République démocratique du Vietnam. Les porte-parole des États-Unis prétendirent qu’il s’agissait d’une action « défensive », d’une riposte à l’attaque de certaines vedettes de la marine de guerre américaine dans le golfe du Tonkin. Ainsi se justifiait l’intervention directe et massive des États-Unis dans la seconde guerre du Vietnam : par un mensonge planétaire. Plus près de nous, pensons au soudard américain, Colin Powell, agitant une petite fiole d’Anthrax à la tribune de l’ONU pour justifier le déclenchement de la guerre contre l’Irak : mensonge éhonté, venant après d’autres mensonges et combien de manœuvres en coulisse.

Aujourd’hui des bruits de bottes se font entendre au Moyen-Orient : en Syrie, en Irak et autour de l’Iran. Une bonne partie de l’Afrique Sud saharienne est en proie à la guerre contre des bandes armées aux origines douteuses. Le feu vient de prendre au Yémen. En Ukraine un coup d’État provoqué en sous-main par l’OTAN a conduit à la guerre civile. Alors que nous voyons ce qu’il en a été de la « libération » de la Libye, soyons sur nos gardes. Le mensonge est la première étape de la guerre. Le mensonge annonce la guerre. Nous n’avons aucun moyen de savoir qui a tiré des obus sur un village de Turquie ou qui a organisé un attentat à Beyrouth, qui a usé d’armes chimiques dans les faubourgs de Damas mais nous pouvons apprendre du passé. Revenons donc au début de la guerre du Vietnam. Apprenons du passé pour mieux voir clair dans le présent.

En 1964, si nous avions écouté, nous aurions su que d’agence TASS qualifiait l’incident du golfe du Tonkin de « provocation délibérée ». Mais comme l’américain moyen croit qu’il vit dans un pays démocratique, nous croyons que la presse nous informe sans rien nous dissimuler. Peut-être croyons-nous que personne n’a intérêt à la guerre, puisqu’elle n’apporte que misère et désolation. Naïveté ! Certains chiffres sont éclairants : les revenus des cinq principaux fournisseurs du Pentagone (Lockheed, General Electric, General Dynamics, McDonnell Douglas, United Aircraft) sont passés de 395 millions de dollars en 1964 à 587 en 1968. Une pluie de bénéfices de guerre s’est épanchée sur les compagnies étroitement liées aux politiciens de Washington ; c’est ainsi qu’a été financée la carrière politique de Lyndon Johnson. Inutile de rappeler les fabuleux bénéfices tirés par les compagnies directement liées aux amis de Bush au cours de la guerre d’Irak. Chacune de ces guerres ne s’est arrêtée que lorsque la tendance s’est inversée et que le coût exorbitant de la guerre a menacé l’économie du pays. En 1971 les Etats-Unis ont dû renoncer à la parité du dollar avec l’or. Ils se sont endettés plus que tout autre pays au monde mais ce risque suffira-t-il à préserver la paix maintenant que l’exploitation désastreuse des gaz et pétroles de schiste permet de gagner un peu de temps ?

***

Revenons donc aux faits, à ce qui a rendu nécessaire et permis l’intervention directe des États-Unis.

image 2En 1964 personne ne pouvait dire exactement quand les États-Unis avaient commencé à intervenir au Vietnam. Nous savons aujourd’hui que la France recevait déjà une aide dans sa guerre contre le Vietminh dès 1954, mais la défaite française était consommée à Dien Bien Phu. Les États-Unis ont commencé alors à s’ingérer directement dans les affaires du Vietnam et un mot nouveau est apparu dans le vocabulaire politique : l’escalade. Ce fut la première étape du mensonge et de la guerre. Le but de cette « escalade » avait été annoncé dès 1953 par Eisenhower : « Imaginons que nous perdons l’Indochine…. L’étain, le tungstène qui sont si précieux, cesseront de parvenir de cette région…. C’est pourquoi lorsque les États-Unis votent 400 millions de dollars d’aide à cette guerre, il ne s’agit pas de voter un programme sans valeur. Nous votons pour le moyen le moins cher d’empêcher des événements qui auraient pour les États-Unis des conséquences terribles ». Comment les États-Unis auraient-ils pu se satisfaire d’élections libres au Vietnam dont ils prévoyaient qu’elles s’accompagneraient presque à coup sûr du passage sous contrôle communiste du Vietnam, du Laos et du Cambodge ? Ils estimaient que leur hégémonie était en jeu.

A ce moment la doctrine américaine se présentait comme elle se présente encore aujourd’hui. « Nous envoyons des unités logistiques, mais pas de troupes terrestres » disait le secrétaire d’État adjoint Smith. En fait dès 1952, cent mille tonnes d’équipements américains étaient déjà livrés à Saigon. Les dépenses atteignaient en 1953-1954 un milliard de dollar par an. Ce n’était là que l’application du programme du Conseil de la sécurité nationale adopté en 1951 dont il nous reste la célèbre théorie des dominos. Les discussions secrètes portaient, non sur l’intervention, mais sur l’éventualité d’utiliser l’arme atomique. La crainte était d’entraîner dans la guerre la Chine et l’URSS alors que l’opinion publique américaine n’était pas prête. Des avions transportant des armes atomiques survolaient déjà le Vietnam mais, au dernier moment, le président Eisenhower les a rappelés. Il fut donc décidé d’envoyer des troupes au sol. Mais comment le faire accepter ? C’est ici que commença la deuxième étape de la guerre et du mensonge.

Cette seconde étape vers la guerre fut le torpillage, par le secrétaire d’État américain, Dulles, des accords de Genève de 1954 dont il pensait qu’ils auraient risqué d’ouvrir la voie du pouvoir aux communistes vietnamiens si des élections avaient lieu. Ce torpillage lui permit ensuite de justifier chaque phase de l’escalade en prétextant de « l’inefficience » d’un accord, que les États-Unis avaient refusé de signer bien qu’il n’ait abouti qu’à la signature d’un armistice, les élections étant repoussées à juillet 1956.

Alors que les termes de l’accord étaient débattus, les porte-avions américains avaient quitté Manille et se dirigeaient vers l’Indochine, les commandos de la CIA conduits par un certain Colonel E. Lansdale commençaient au Vietnam même leurs actions de terreur et de sabotage. Dans le même temps, Dulles travaillait à convaincre le ministre britannique des Affaires Étrangères Lord Avon (Anthony Eden) d’organiser une intervention commune. Celui-ci, aussi bien qu’un belliciste comme Churchill, résistèrent car ils comprenaient que Dulles voulait avant tout les utiliser pour faire avaliser son intervention par le Congrès des États-Unis. Ils craignaient aussi, non sans raison, que leur allié utilise la bombe atomique et les entraine dans une confrontation avec la Chine.

Le 8 septembre 1954, les efforts américains aboutissaient à la création de l’OTASE ou pacte de Manille qui réunissait tous les pays non communistes de l’Asie du Sud-Est. Le Pentagone était chargé d’élaborer un programme pour former et entrainer les armées de ces pays tandis qu’à la CIA était confié la mission de travailler au renversement du gouvernement de la RDV (nord-Vietnam). Au Sud-Vietnam, malgré les protestations de la France, « l’empereur » Bao Dai était écarté au profit d’une créature des États-Unis (Ngo Dinh Diem), ceci à l’occasion d’un référendum grossièrement truqué. Le nouveau chef d’État s’empressa d’annuler les élections prévues, consacrant ainsi la partition du pays et la transformation du sud en protectorat américain. Malgré une politique de répression féroce le pouvoir de cette marionnette des États-Unis et de son gouvernement honteusement corrompu restait fragile et constamment menacé. Le Vietcong ne cessait de gagner en influence.

image 4Kennedy, entré en fonction en janvier 1961, essaya de consolider le gouvernement Diem en allouant des fonds pour augmenter de 20.000 hommes l’armée du Sud Vietnam et de 32.000 les effectifs de la « garde civile ». Il autorisait officiellement le Comité des chefs d’états-majors à agir sans passer par l’ambassadeur américain à Saigon. Il entérinait ainsi l’intervention directe des USA dans les affaires intérieures du Vietnam. En mai 1961, le vice-président Lyndon Johnson fut expédié sur place pour « encourager » Diem à solliciter l’envoi de troupes terrestres américaines. Celui obtempéra officiellement en Octobre. Entre-temps les généraux Maxwel Taylor et Walt Rostow avaient été dépêchés sur place pour élaborer des plans concrets ; des forces spéciales, composées de mercenaires et de « conseillers » américains, commençaient un travail de subversion et s’infiltraient par le Laos ; des réseaux de « résistance » étaient créés et des tracts étaient largués sur le pays par l’aviation ; de grandes quantités d’armes et d’équipements militaires modernes étaient acheminées sur place. Ainsi avait commencé ce que les américains ont appelé la « guerre spéciale ».

Au début 1961, mille soldats américains se trouvaient au Sud-Vietnam. Le nombre de « conseillers » était estimé à 16.000 en 1963 au moment où Kennedy fut assassiné, mais tout cela était tenu secret. Les généraux s’appliquaient à prouver qu’une intervention directe était indispensable et qu’elle n’exigerait pas plus que l’envoi de dix divisions, soit environ 205.000 hommes. Les archives montrent que Kennedy acceptait l’ensemble de ces recommandations. Un coup d’État était envisagé et son plan finalisé le 17 septembre 1963. Il aboutit le 2 novembre 1963 au renversement et à l’assassinat de Diem. Kennedy était lui-même assassiné le 22 novembre 1963. L’étape suivante de la guerre et du mensonge échouait au Vice-Président Johnson.

Troisième étape : Nous le savons déjà : l’action agressive des États-Unis contre la République démocratique du Vietnam a commencé bien avant 1963. L’opération Haylift dirigée par la CIA a consisté dès 1961 à acheminer au Nord des agents sud-vietnamiens qui s’y livraient au sabotage des voies ferrées, des ponts etc. Les inondations au sud avaient été aussi le prétexte pour donner un aspect humanitaire à la venue de troupes qui ont atteint l’effectif de 8000 hommes. A la mort de Kennedy, le président Johnson se trouva ainsi placé devant le choix : étendre les opérations militaires ou partir.

Les élections étaient prévues pour novembre 1964 et Johnson ne pouvait pas apparaitre comme un belliciste. Il décida de renforcer encore plus la guerre secrète tout en commençant dès le printemps à établir le plan d’une guerre ouverte. Ce plan, connu comme « plan tactique 34-A », comportait quatre points principaux : 1) survol de reconnaissance ouvert du Nord-Vietnam (donc violation de l’espace aérien de la R.D.V.) – 2) bombardement aérien et attaque de commandos parachutistes saïgonnais pour frapper les objectifs nord-vietnamiens – 3) minage aérien des principaux ports du nord-Vietnam – 4) pression militaire ouverte et croissante exercée par les troupes de Saigon et les troupe américaines avec pour objectif de frapper les « objectifs économiques industriels dont dépend le bien-être du Nord-Vietnam ». L’ensemble de ces opérations était dirigées par le département d’État et la CIA ; la coordination était assurée par l’adjoint du secrétaire d’État William Bundy et les opérations étaient contrôlées par le général P. D. Harkins.

Pour parachever ce plan, Johnson avait besoin de son Pearl Harbour et il l’eut avec l’affaire du golfe du Tonkin en août. La marine américaine avait multiplié les opérations de patrouillage dans le golfe. Ces patrouilles avaient à la fois pour objectif de faire une démonstration de force et de récolter des renseignements sur les radars nord-vietnamiens du service d’alerte et sur la défense côtière, tous renseignements susceptibles de servir aux commandos chargés des opérations de sabotage. Mais le but ultime était, selon ce qu’écrivait Johnson, de provoquer les « circonstances extraordinaires » susceptibles de « créer une base militaire et politique aussi solide que possible pour prendre à l’avenir les dispositions qui pourraient s’imposer ». Son espoir était que tout cela soit facilité par « un affrontement décisif entre les partis communistes chinois et soviétiques ». Dans le même message à son état-major, il se prononçait catégoriquement contre la proposition de Gaulle sur « la neutralisation du Sud-Vietnam ». Rien ne lui paraissait plus important que de mettre fin par tous les moyens à toutes les conversations sur la neutralisation. Il suivait en cela la thèse de Dulles, à savoir que « la neutralité est immorale ». Son seul problème était de trouver le moyen de présenter l’agression comme justifiée. Il lui fallait tromper le peuple américain, au nom de qui il se préparait à lancer des milliers de vies humaines dans le chaudron d’une nouvelle guerre d’agression.

Le 23 mars 1964, l’état-major proposa un scénario pour intensifier la guerre avec comme point culminant un « vaste bombardement du Nord ». Dans ce scénario les mesures propres à assurer le côté « moral et politique » de l’agression jouaient le principal rôle. Parmi celles-ci figurait l’idée d’une résolution commune des deux chambres du Congrès américain qui bénirait le président pour l’escalade. Ce scénario comportait les mesures suivantes : retarder toute conférence sur le sud-est asiatique jusqu’au jour J – discours présidentiel proposant une résolution conjointe du Congrès (dont le texte avait été établi dès le 23 mai)– directives aux forces du pacifique pour la préparation du déploiement pour le jour J. – obtenir « l’accord » des Sud-vietnamiens qui demanderaient l’arrêt de « l’agression du nord » puis constatation que tous les efforts se seraient révélés vains – évacuation des familles des américains – consultation des alliés – et pour finir : premiers raids au jour J sur les 94 objectifs dont la liste avait été établie. En complément, le plan tactique 37-64 prévoyait combien d’avions et quel tonnage de bombes réclamait chaque phase des attaques sur les objectifs énumérés.

Tout cela fut facilité par l’attitude du challenger de Johnson aux élections, le sénateur Goldwater, qui connaissait les plans et ne cessait de lancer les plus sinistres appels à la guerre. Tout concourait donc à l’exécution de l’affaire du golfe du Tonkin (quatrième étape de la guerre et du mensonge).

image 3Quatrième étape : Le 23 juillet 1964 un destroyer de l’US NAVY quitta le Japon pour aller patrouiller « dans les eaux côtières du Vietnam ». Il fit escale à Taïwan pour s’équiper en matériel électronique de surveillance. Le 2 août, ce destroyer ouvrit le feu sur « des vedettes lance torpilles qui le poursuivaient » alors qu’il était entré dans les eaux territoriales du nord-Vietnam. Le même jour, sept chasseurs-bombardiers américains bombardèrent un poste frontière nord-Vietnamien sur lequel ils avaient lancé des roquettes la veille. Le 30 juillet des navires de guerre sud-vietnamiens avaient quitté leur port pour aller canonner des iles nord-Vietnamiennes.

Mais cela ne faisait que préparer le jour J fixé au 4 août. A cette date, alors qu’il faisait déjà nuit noire, les américains déclarèrent que leurs radars avaient repéré une flottille de vedettes lance-torpilles patrouillant dans les eaux du golfe du Tonkin. Malgré une suite de messages contradictoires, les uns faisant état de tirs, les autres les démentant, les destroyers ouvrirent le feu après en avoir reçu l’ordre de Washington (où il était encore midi). Le porte avion « Ticonderego » fit prendre l’air à ses avions chargés de bombes. Les premières bombes furent larguées à minuit (heure de Washington). Dans le même temps, le président prit la parole à la télévision pour justifier cette riposte « à une attaque non provoquée ». Un pas décisif était donc franchi dans l’extension des hostilités.

Dès le 5 août, l’administration Johnson déposa le projet de résolution (déjà rédigé) pour examen préliminaire par les commissions du Sénat. Bien que les débats fissent apparaitre de multiples contradictions et invraisemblance dans la présentation des circonstances, le 7 Août, la résolution fut votée à l’unanimité à la Chambre des représentants ; au Sénat, elle fut adoptée avec deux voix contre. Elle autorisait le président « à prendre toutes les mesures nécessaires pour repousser toute attaque armée contre les forces des États-Unis », ce qui équivalait à une déclaration de guerre.

La presse lança une campagne d’agitation chauvine bien qu’il apparaissait de plus en plus clairement que la flottille repérée ne pouvait être que celle des navires sud-Vietnamiens partis le 30 juillet attaquer les iles nord-Vietnamiennes. L’enquête menée plus tard (en 1968) montra que les destroyers américains n’effectuaient pas une mission de routine comme il avait été dit mais une mission de combat destinée à contraindre le nord-Vietnam et la Chine à brancher leurs stations de radars, alors que l’un des navires de la patrouille sud-vietnamienne était équipé du matériel nécessaire pour les repérer.

Il avait été dit que le destroyer le Maddox opérait dans les eaux internationales. La publication des documents secrets du Pentagone en 1971 prouva qu’il avait reçu l’ordre de pénétrer dans les eaux territoriales nord-vietnamiennes pour effectuer sa mission de repérage. Il fut prouvé aussi que la mission de la flottille sud-Vietnamienne devait être connue de la marine américaine, puisqu’elle était en fait organisée par la CIA dans le cadre d’un plan dit 34-A. Enfin, l’enquête a montré que l’opérateur du sonar, à bord du destroyer Maddox, avait été trompé par les mouvements faits à son insu par le navire : de brusques changements cap du navire à vitesse élevée (30 nœuds) font le même bruit que le passage d’une torpille. Enfin, le destroyer n’a subi aucun impact de torpille. Les autorités nord-Vietnamiennes ont démenti toute attaque. La patrouille nord-Vietnamienne n’a fait que suivre les destroyers américains jusqu’à ce qu’ils aient quitté leurs eaux territoriales. Dès le 5 août l’agence de presse nord-Vietnamienne avait dénoncé la manipulation et le crime commis contre la paix.

Les étapes qui ont suivi cette entrée officielle dans la guerre seront l’objet du prochain article.

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Les gros sabots de la propagande de guerre

image 1Voici un exemple presque soft de ce dont on nous abreuve ces derniers temps. L’affaire Nemtsov vu par les informations matinales de France Culture le 9/03/2015

Journal de 6h30 : L’enquête avance en Russie à propos de l’opposant Boris Nemtsov, tué devant le Kremlin il y a une semaine. Les autorités ont annoncé ce week-end l’arrestation de cinq suspects dont un russe d’origine Tchétchène. Ce dernier aurait reconnu son implication mais les défenseurs de la démocratie restent sceptiques et demandent à Moscou d’avantage de transparence. Nous avons interrogé Alexis Prokofiev le président de l’ONG « Russie liberté » : « il faut que les preuves de la culpabilité de ces personnes qu’on a arrêtées soient présentées au grand public. Aujourd’hui c’est ça la question qui se pose : est -ce que les enquêteurs, est-ce que la police russe a arrêté des suspects un peu par hasard ou est-ce que c’est véritablement des personnes dont on peut prouver la culpabilité ? Mais au-delà de ça, il y a la question des commanditaires. Qui sont les personnes qui ont ordonné le meurtre de Boris Nemtsov ? C’est ça aujourd’hui la question clé, c’est ça que nous attendrons des enquêteurs, c’est ce qu’attendent des enquêteurs les proches de Boris Nemtsov . Aujourd’hui Naiachine un opposant russe et un fin proche de Boris Nemtsov a demandé aux enquêteurs de continuer à rechercher les commanditaires. Il faut malheureusement rappeler qu’il y a eu l’assassinat d’Anna Politkovskaïa il y a presque dix ans ; c’était à peu près le même scénario c’est-à-dire qu’il y a eu des personnes qui ont été arrêtées et qui ont été condamnées pour ce meurtre mais les commanditaires n’ont jamais été retrouvés, n’ont jamais été jugés. C’est la même chose même chose malheureusement pour Nathalie Estemirova. c’est la même chose pour beaucoup d’autres assassinats politiques en Russie – donc nous ce que nous demandons : nous demandons à ce que les commanditaires soient trouvés et jugés selon la loi. »

Voilà : toute l’apparence d’une parfaite neutralité. On ne dit rien qui puisse être contesté. Non, on laisse dire le président d’une obscure ONG qui le lundi matin (ou même le dimanche dans la journée) voudrait que l’enquête qui a donné lieu à une arrestation le jour même soit bouclée ! Le fait qu’elle ne le soit pas lui permet d’instiller le doute.

Journal de 8 h : « A l’étranger toujours : la Russie a trouvé ses coupables. Cinq suspects ont été arrêtés ce Week-end dans l’enquête sur le meurtre de l’opposant Boris Nemtsov il y a une semaine devant le Kremlin. Parmi eux un Tchétchène. Il aurait reconnu avoir participé à l’assassinat mais les opposants au président Poutine dénoncent une nouvelle manipulation. Récit à Moscou de Caroline Gaujard-Larson : «Cinq hommes, cinq Tchétchènes, les meilleurs ennemis de Poutine, les Tchétchènes sont décidément bien souvent impliqués dans les meurtres d’opposants russes. La liste serait longue mais le seul exemple de la journaliste Anna Politkovskaïa, critique acharnée du Kremlin suffit pour comprendre : assassinée en 2006 ses bourreaux sont Tchétchènes a fini par trancher la justice russe : des bourreaux bien commodes qui ne sont évidemment pas les commanditaires au final jamais vraiment inquiétés. En réaction à la mort de Politkovskaïa Vladimir Poutine déjà expliquait pour sa défense que le crime était plus préjudiciable à Moscou que ses activités de journaliste. C’est aujourd’hui le même argument qui est repris à l’envie par les partisans russes dans l’affaire Boris Nemtsov et les mêmes coupables qui sont désignés : les Tchétchènes – de potentiels exécuteurs d’un ordre qui vient de plus haut sans compter que pour le russe moyen et fidèle téléspectateur des chaînes gouvernementales le Tchétchène est souvent un terroriste en puissance. Bref tout se tient ! »

image 2Voilà : à 6h30 on instillait le doute en laissant un « président d’ONG » distiller son venin. On ne faisait que rappeler que la victime a été « tué[e] devant le Kremlin ». A huit heures, le doute n’est plus permis. D’ailleurs ce n’est plus un Tchétchène parmi cinq autres suspects qui a été arrêté, c’est « cinq hommes, cinq Tchétchènes, les meilleurs ennemis de Poutine ». Autrement dit s’il n’avait pas les Tchétchènes il aurait dû les inventer. Rien ne dit d’ailleurs que le « Russe d’origine Tchétchène » de 6h30 ait été islamiste ou même musulman et non pas au contraire un partisan du pouvoir pro-russe ou même un simple délinquant. Mais ce genre de détail n’a pas d’importance : il faut le présenter comme un bouc émissaire facile – pour finir par le bien senti « bref tout se tient ». Pour arriver là on est passé par la présentation de Poutine en position de défense « Poutine expliquait déjà pour sa défense… ». Or, ce sont les coupables ou les accusés qui se défendent. Le meurtre de la journaliste ne s’est pas passé « devant le Kremlin » mais elle était une « critique acharnée du Kremlin ». On finit par laisser penser que le téléspectateur moyen russe est manipulé et ce au moment où on manipule l’auditeur français avec toute la lourdeur et le cynisme de la propagande de guerre.

Sur une campagne de presse

image 1Toutes les radios font en chœur depuis ce matin leur « une » sur la parution simultanée d’articles dans le journal français « Le Monde » et le journal britannique « the guardian » pour dénoncer un vaste système de fraude fiscale mis en place par la banque HSBC (banque qui a son siège social à Londres et dont il est dit qu’elle est la deuxième au monde).

Cette parution simultanée et tout ce battage signale une campagne de presse – campagne forcément préparée de longue date et orchestrée par quelqu’un. Par qui donc ? et pour quoi faire ?

Il y aurait plus de cent mille clients impliqués. Cent quatre-vingt milliards dissimulés. Vingt mille sociétés offshores concernées.

C’est en écoutant, sur RFI, le journal de midi quinze (heure locale) que j’ai appris le plus de choses. La journaliste fait parler Serge Michel, grand reporter au Monde, responsable pour l’Afrique. Ce monsieur nous apprend qu’il a reçu « différentes listes » puis il dit (et je le cite exactement) : « une source est venue nous trouver et nous a remis une clé USB avec l’ensemble de la liste, c’est-à-dire cent mille comptes et avec beaucoup plus de détails parce que sur ces listes là (c’était plusieurs fichiers informatiques) il y avait …. Ça couvrait la période de 2005 / 2007, il y avait à la fois les transactions bancaires mais aussi des notes que les banquiers prenaient à chaque entretien avec leur client et qui étaient extrêmement intéressantes »

« Donc on a reçu cela en janvier 2014 ; on a traité d’abord nous-mêmes le sujet pour voir quelle était l’ampleur et ensuite on a partagé ces documents avec le consortium d’investigation ICIJ à Washington, qui lui-même a monté un réseau de cinquante-cinq médias autour de la terre pour que chacun travaille sur les noms de son pays. Donc cela a pris du temps, on a commencé à travailler concrètement en 2014, on a travaillé sept mois là-dessus et aujourd’hui on commence la publication des articles ».

Serge Michel dit que les pratiques qu’il décrit assez vaguement ont cessé et qu’à la suite de ce retour à l’ordre « la banque a perdu 70% de sa clientèle ». Alors, encore une fois, pourquoi lancer maintenant une campagne de presse contre cette banque si c’est avec des informations « réchauffées » ?

Parmi les bénéficiaires du système, le journaliste cite « le sultan d’Oman, le sultan de Brunei, le roi du Maroc, le roi de Jordanie ». Il ajoute « c’est des chefs d’État qui ont sans doute la possibilité de mettre leur argent à droite et à gauche ». Curieuse dénonciation effectivement ! En quoi ces gens-là fraudent-ils le fisc français ? Il y aurait eu aussi des « trafiquants d’armes et tous les restes de l’affaire Elf en Afrique ». Étaient-ils français ? Il n’est rien dit de cela. Le seul français qui soit cité est le comédien Gad Elmaleh qui doit être quand même du menu fretin.

Ce qui est clair, et c’est la seule chose qui le soit, c’est qu’une campagne est orchestrée par une ONG qui s’est déjà signalée pour sa lutte contre l’évasion fiscale, les paradis fiscaux et les centres de torture secrets de la CIA. C’est sans doute une excellente chose. Ce n’en est pas moins une curieuse campagne de presse qui va sans doute se solder une nouvelle fois par une amende record infligée par la justice des États-Unis à une banque qui fait de l’ombre au système bancaire états-unien. Ce qui m’étonne le plus dans ces affaires, c’est toujours le contretemps et le bénéfice induit pour le système bancaire le plus agressif du moment. Mais sans doute que je verse dans la « théorie du complot ».

Ce que je peux dire pour ma part, c’est que HSBC private bank, puisque c’est d’elle qu’il s’agit et non de HSBC comme « retail bank », a pris le relais du CCF banque suisse qui a été créée dans les années 80 sous la forme d’une filialisation et un déplacement en Suisse d’un service de la banque CCF. (L’essentiel du personnel restant en fait à Paris et occupant un étage de la banque). Au moment de cette création, on a assisté à une chose curieuse : des cadres du service filialisé se sont vus signifier leur licenciement au retour de leurs vacances. Rien n’a jamais filtré des ressorts de tout cela. Déjà le secret entourait cette opération. Il n’a cessé de s’épaissir.

Ce que je comprends du QE

image 1Un bon gestionnaire, comme un bon joueur d’échec, a toujours plusieurs coups d’avance. Mario Draghi est de ceux-là. C’est aussi un homme qui sait rendre service à ses amis dans la discrétion, sans le dire et sans en tirer avantage.

Ses amis banquiers se sont empiffrés de dettes souveraines, avec d’autant plus de gloutonnerie qu’elles avaient des taux d’intérêt élevés. Mais voilà le temps de l’indigestion. Certains en Grèce et ailleurs risquent de faire défaut et de léser gravement les amis de M. Draghi. Il vole à leur secours.

Son plan est simple (même si tout est fait pour qu’il paraisse trop compliqué pour être expliqué au contribuable). Il s’agit de faire racheter toutes ces créances douteuses pour 80% par les banques centrales des pays concernés et pour 20% par la BCE. Les pays concernés ne sont pas ici ceux qui sont accablés par les dettes mais ceux chez qui sont les banquiers qui les ont achetées. Aucun risque d’erreur à ce sujet puisque M. Draghi a prévu que les rachats seront faits au prorata de la part du capital de la BCE soit 26% pour l’Allemagne (pays de la Deutsche Bank) et 20% pour la France (pays de Société Générale et du Crédit Agricole). Ainsi, les amis de M. Draghi se voient débarrassés de risques excessifs. Ils n’en gardent que les bénéfices qu’ils ont engrangés toutes ces dernières années. C’est le contribuable de chacun des pays qui devra éponger l’ardoise quand la banque centrale de son pays sera en défaut de paiement.

Un nouveau sauvetage des banques aurait été difficile à faire accepter par les électeurs sans qu’ils n’exigent une contrepartie comme une nationalisation. Mais le problème ne se pose pas avec la banque centrale (la Banque de France pour la France) pour la simple raison qu’elle est déjà nationalisée. On ne peut pas non plus la supprimer puisque cela équivaudrait à supprimer la monnaie. Comme il a souvent été répété : il n’y a pas d’alternative.

TINA ! : Le contribuable paiera puisque ce sera lui l’heureux propriétaire de la dette publique. S’il dit qu’il ne veut pas payer, que cette dette n’est pas la sienne : pas de problème, il paiera la dette de la banque centrale puisque celle-là c’est la sienne.

Donc les banques vont se retrouver avec un nouveau pactole tout frais et la lancinante question : que faire avec tout ce fric ? Sachant qu’en 2007 l’économie réelle représentait environ 2% de l’économie globale et que l’économie financière faisait les 98%, que depuis ce temps le masse monétaire a doublé tandis que l’économie réelle stagnait, que les taux de rendement des investissements dans l’économie réelle sont faibles au regard de ceux qu’on peut tirer de spéculations audacieuses, il y a fort à parier que cette manne ira nourrir de nouvelles bulles qui menaceront à leur tour d’éclater.

Ainsi non seulement on sauve les banques mais on leur offre les moyens de repartir vers de nouvelles aventures. Elle n’est pas belle la vie ?