Fresques murales à Redon (2)

En repassant par Redon récemment, j’ai eu la surprise de constater que les fresques murales que j’avais critiquées dans mon article du 22 mai avaient été recouvertes. Mais je ne crie pas victoire car je sais n’y être pour rien d’autant que les nouvelles peintures, même si elles sont moins nettement régressives et violentes, sont encore nettement marquées par une vision irrationaliste et mortifère du monde.

 

Sur un fond noir évoquant les espaces infinis et glacés qui effrayaient Pascal, un chaos de signes forme des groupes hostiles qui s’affrontent. Au sommet, là où pouvait se voir le symbole religieux du triangle et de l’œil divin, c’est une sorte de capsule spatiale qui contemple un monde voué à la violence destructrice. L’emploi de couleurs claires atténue l’effet mais certaines formes blanches évoquent des fantômes. La destruction veut se croire une fête.

 

La mort se fait séductrice. Elle invite au néant. Comment comprendre cela dans un moment où la guerre nous encercle de toutes parts et de toujours plus près. Elle est à nos portes à Gaza et en Ukraine. Nous sommes invités à l’admirer sous la forme du « sacrifice » des poilus par les commémorations de la « grande guerre ».

 

Dans cette autre peinture, l’impression est celle d’une architecture détruite. On croit voir une citadelle éclatée, des pierres disjointes emportées toutes ensemble dans une sorte de panique. Encore une fois les couleurs vives contrastent avec le dessin.

Là c’est un duel, une charge meurtrière qui est représentée. Des mots ou plutôt un fatras de signes qui furent alphabétiques se jettent l’un sur l’autre. L’idée même de sens semble abolie. Il ne s’agit ni de dire, ni d’exprimer mais d’exulter au spectacle de la destruction. C’est tantôt une sorte de pingouin ennemi de Batman, tantôt la mort mécanisée qui préside à la lutte sans merci de l’insensé contre le délirant. Toute raison a disparu dans la joie malsaine de détruire.

 

C’est sous la forme d’un sinistre pitre que la mort et la folie triomphent.

 

Là où l’image a un sens clair, c’est pour représenter notre avenir sous la forme du ricanement de la mort. Rien de positif ne parait pouvoir s’envisager. Dans ce monde, c’est le pire qui parait certain !

Il restait des anciennes peintures, une jolie fresque représentant un oiseau mouche volant au-dessus d’une fleur. Un mot qui semble être « fame » l’a piétinée. Un oiseau (à droite) est pris dans le mot et broyé par ses formes tranchantes.

Je remarque l’usage exclusif de l’anglais (ou plutôt de quelques mots anglais) comme on peut le constater aussi dans nos banlieues. C’est la marque de la soumission aux idées dominantes et souvent même de la servilité : on copie ce qui se fait dans les villes américaines. La graphie est la même, les thèmes et surtout ces signatures qui masquent leurs auteurs au lieu de les faire connaitre se retrouvent partout. On lit « mother crew ». Il s’agit parait-il d’un collectif. Je doute qu’il soit composé d’anglophones. Il est juste composé de quelques personnes dont je ne nie pas le talent mais qui me paraissent manquer de créativité et d’originalité. Sans doute n’ont-elles pas pleinement conscience du contenu du message qu’elles répètent et qui correspond à ce qu’on leur a vanté comme art de la rue.

Je ne constate donc aucune véritable amélioration du contenu des fresques, juste une atténuation de leur aspect par l’emploi de couleurs claires. J’en appelle par conséquent aux habitants de Redon : est-ce là votre vision du monde ? Est-ce comme cela que vous voyez l’avenir ? Est-ce un tel avenir qui vous tente ? Pourquoi ne demandez-vous pas aux artistes à qui vous confiez vos murs d’exprimer vos désirs de bonheur et d’émancipation, vos protestations contre la dévastation des paysages, des environnements, contre la violence et la régression.

 

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J’ajoute cette image aujourd’hui 20 septembre. Cette fresque daterait de 2003. Elle est d’un des auteurs des dernières apparues (signée « la rouille »). Je remarque que, comme les plus récentes, elle est accompagnée d’un texte en anglais. Ce qui a toujours le don de m’agacer. Pourquoi s’exprimer en anglais quand on est francophone et qu’on s’adresse à un public presque exclusivement francophone ? J’y vois la marque d’une servilité devant la « culture de la rue américaine », la manifestation d’un suivisme qui s’incline devant tout ce qui vient de « l’empire ».

Quant au contenu, il est on ne peut plus clair : il exprime le mépris de soi. Une femme, sa maîtresse, invective « la rouille » pour lui dire combien il est indigne d’être aimé, quel dégoût il inspire et combien elle se dégoûte elle-même de son attachement à lui (parler d’amour parait peu approprié). L’image suivante est un auto-portrait du dit « la rouille ». Le voici :

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On voit là un homme négligé, presque halluciné, qui manifeste son addiction au tabac et le peu d’estime qu’il se voue. Ce qui m’a frappé, c’est son regard. Celui d’un homme horrifié mais surtout borgne. Ce « la rouille » ne voit les choses que d’un œil : celui qui voit la noirceur, la décadence, la ruine d’un monde et que ce spectacle laisse impuissant, replié sans doute sur la recherche de quelques paradis artificiels. Peut-être même cet œil se complait-il au spectacle de l’horreur.

Ne voir les choses que d’un œil, c’est faire l’aveu de son insuffisance ! L’œil qui manque est le gauche, c’est symptomatique et bien en phase avec cette résignation, ce mépris de soi et cette allégeance servile à « l’empire ».

Ce thème du borgne se retrouve sur une autre fresque que voici :

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L’auteur est sans doute un autre artiste que « la rouille » car le style est complétement différent. On voit à gauche deux personnages. Le plus à gauche symbolise l’homme des addictions : au tabac, au téléphone portable. L’autre semble représenter les tenants du « principe de précaution ». Il veut arracher sa cigarette au premier (lequel répond par l’insulte). Mais que tient dans sa main le tenant d’une vie saine ? Une pilule. Il représente donc une autre forme d’auto-empoisonnement : celui par la médecine.

Les deux personnages sont borgnes : chacun ne voit les choses que d’un œil : pour le premier, c’est le droit, pour l’autre, c’est le gauche. L’auteur se tient donc hors de l’affaire, il renvoie les deux belligérants à leur vision tronquée. A droite, une sorte de vers sort d’un cadre. Peut-être représente-t-il la maladie qui est seule à triompher d’une lutte de borgnes.

Si mon interprétation est correcte, cette fresque me parait donc intéressante.