Les étapes de la guerre et du mensonge (2)

image 6Cinquième étape : Au moment de l’affaire du golfe du Tonkin cela faisait plus d’une décennie que les américains intervenaient au Vietnam. Cela nous donne la mesure de leur acharnement et devrait nous inciter à la méfiance chaque fois que nous avons l’impression qu’ils sont sur le point de lâcher prise. En fait, eux et leurs pareils n’abandonnent que défaits, vaincus et réduits à l’impuissance.

Johnson était aussi tenace que ses prédécesseurs mais il était en campagne électorale ; il redoutait d’être « mal compris de l’opinion » et semblait jouer l’apaisement. Tandis que son état-major disait qu’il fallait frapper un grand coup et étendre les bombardements, il semblait considérer que la guerre devait être confiée à une force d’intervention asiatique « soutenue » par les forces américaines. Nous assistons aujourd’hui au même genre de détour dans toutes les guerres périphériques.

Johnson considérait que l’extension de la guerre au sol exigeait le renforcement du gouvernement du sud-Vietnam. Son secrétaire d’État McNamara insistait « pour que la voie reste ouverte à des actions plus fortes, même si le gouvernement du Sud-Vietnam n’arrive à améliorer sa situation ». La marine américaine continua ses patrouilles toujours plus proches des côtes Nord-Vietnamiennes. La CIA intensifia ses opérations de sabotage. Il s’agissait d’être prêt à lancer des opérations punitives de grande envergure dès qu’on parviendrait à créer à créer une mobilisation de l’opinion analogue à celle qu’avait permis l’affaire du golfe du Tonkin.

C’est ainsi qu’on arriva le 12 septembre à ce que la presse appela « le troisième incident de Tonkin ». Les incursions sur le territoire laotien et les opérations aériennes sur le Laos furent intensifiées car, disait le Pentagone « un cessez-le-feu actuel au Laos était incompatible avec le concept actuel de l’intérêt national des États-Unis ». La crainte était de voir s’organiser une conférence internationale qui parviendrait à une neutralisation du Laos et aurait risqué en contrecoup de provoquer l’effondrement du régime sud-Vietnamien. Pour parer à cela, le projet de propager l’incendie de la guerre à toute l’Indochine se profilait.

Mais l’opinion politique mondiale commençait à se mobiliser et l’URSS faisait savoir qu’elle ne pouvait pas « rester indifférente ». Elle se déclarait prêtre à apporter l’assistance nécessaire à un « pays frère ». Les États-Unis réagirent en élaborant d’urgence de nouvelles mesures de propagande. Il s’agissait « d’utiliser au maximum les explications de l’incident dans le golfe du Tonkin » et de gagner ou de renforcer la « sympathie » de l’OTSASE et de l’OTAN, et de s’appuyer sur l’amitié de la Grande-Bretagne, de l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Thaïlande.

L’opération « Rolling Thunder » se préparait. Elle fut précédée par « des ripostes isolées » qui en fait figuraient de longue date dans l’agenda du Pentagone. Les capitales amies en étaient informées à l’avance. Le comportement « scissionniste » des Chinois était observé avec attention.

L’opération « Rolling Thunder » démarra le 2 mars 1965. Les forces US était autorisées à utiliser le napalm. Les 14 et 15 mars furent les jours des bombardements les puissants depuis le début de la guerre aérienne. Plus de cent avions y participaient. L’étape suivante prévoyait l’utilisation des bombardiers lourds B-52.

image 7Sixième étape : En fin 1964 et au début 1965, malgré leurs provocations et les intenses bombardements sur le Nord, la situation n’était pas en faveur des États-Unis. Le gouvernement du sud s’effondrait. Les plans stratégiques avaient besoin d’être revus.

Les Nations-Unies proposaient leur médiation. Ho Chi Minh y était favorable. Lyndon Johnson laissa croire qu’il les accepterait mais il laissait passer le temps. Il attendait le printemps 1965 pour lancer une nouvelle étape vers une grande guerre au sol avec la participation d’unités militaires régulières des USA. Simultanément avec le déclenchement des attaques aériennes systématiques contre la R.D.V., au début mars 1965, la direction américaine prit la résolution de lancer dans l’offensive deux bataillons de Marines qui se trouvaient déjà au Sud-Vietnam. 3.500 fusiliers marins débarquèrent le 8 mars à Da Nang pour les soutenir. Le prétexte avancé dans les médias était qu’il s’agissait de renforcer la sécurité de la base aérienne. Une campagne fut lancée « pour informer l’opinion publique » en ce sens.

Les effectifs réguliers américains au Viêt-Nam étaient de 27.000 hommes mais cela ne suffisait pas. Les militaires réclamaient qu’ils soient portés à 70.000. Cela fut acté par Johnson lors d’une conférence tenue à la Maison Blanche les 1er et 2 avril 1965 malgré les doutes de l’Ambassadeur US à Saigon. Une nouvelle extension de la guerre s’annonçait mais il fallait parvenir à la cacher l’opinion publique américaine.

La 173ème brigade aéroportée fut ramenée de Honolulu. Mais cela ne suffisait pas encore. L’état-major réclamait que les effectifs terrestres soient portés à 82.000 hommes. En mai le Vietcong passa à l’offensive et prit la ville de Song Be. Il encercla un bataillon près de BaGia. Ce fut une défaite totale pour les américains : deux bataillons furent anéantis. Les désertions se multipliaient. Le général Westmorland réclama que les effectifs soient portés à 200.000 hommes. Johnson donna son accord, ce qui signifiait encore une nouvelle étape dans l’escalade. L’opinion publique commençait à s’alarmer des nouvelles qui filtraient. Elle ne pouvait plus croire que les troupes n’avaient pour mission que de garder la base de Da Nang et d’effectuer quelques patrouilles comme on voulait lui faire croire.

Le 4 mai le président demanda au Congrès l’attribution de 700 millions de dollars supplémentaires pourtant il « ne pouvait garantir que ce soit la dernière demande ». Il était désormais difficile de dissimuler l’ampleur des envois de troupes mais la version officielle persistait à ne reconnaitre que la présence de 75.000 ou 125.000 hommes. En juillet les effectifs réels étaient déjà de 184.000 hommes, soit 44 bataillons de ligne.

En novembre 1965, Westmorland demanda 154.000 hommes supplémentaires. Il ne cessait d’élever ses mises dans ce qui devenait pour l’opinion « une sale guerre ». En octobre 1967, c’étaient 525.000 hommes qui étaient engagés.

image 9Septième étape : En 1965 ne s’agissait pas pour les américains de menacer de bombarder puisqu’ils le faisaient massivement. La ruse consistait à marquer des « pauses » en proposant bruyamment des conditions de paix inadmissibles pour prouver la « mauvaise volonté de Hanoï ». La première « pause » débuta le 12 mai 1965. Elle ne concernait en fait que le Nord et ne dura que jusqu’au 18 ; elle s’accompagnait d’ailleurs d’une intensification des bombardements sur le Sud.

La deuxième « pause » fut un peu plus longue. Elle dura du 24 décembre 1965 au 31 janvier 1966 ; il s’agissait de calmer l’opinion mondiale et américaine qui protestait violemment contre l’agression en Indochine. Le 7 janvier, le Département d’État publiait les « 14 points » c’est-à-dire les prétentions que l’administration Johnson voulait faire avaliser par les autres capitales occidentales. Mais tout cela ne servit à rien : la reprise des bombardements déclencha une indignation plus vive que jamais.

Une troisième « pause » débuta à la mi-février 1967. Elle ne fut qu’un prétexte pour justifier une nouvelle escalade de la guerre. Elle fut réalisée d’après un scénario déjà au point et s’accompagna d’un flot de déclarations sur la volonté de « paix » du gouvernement des États-Unis qui assurait tapageusement de son souci d’arriver à un « règlement » alors qu’il savait très bien qu’il n’avait fait que lancer un ultimatum : la capitulation ou plus de bombardements encore.

Alterner les « tours de vis » supplémentaires et les moments de relâchement est une technique bien connue des tortionnaires pour briser les nerfs de leur victime. Appliquée à tout un peuple, elle se révélait inefficace. Le peuple Vietnamien avait compris qu’il n’avait rien à attendre d’un belliciste comme McNamara qui écrivait au même moment que le risque de cette tactique était « de tomber dans le piège d’un statu quo sous forme de cessez-le-feu ou de négociations qui […] pouvaient rendre politiquement difficile l’arrêt de la pause » et qui donc n’avait nullement l’intention de faire la paix.

image 10Huitième étape : Quand un matin de février 1971, des troupes de Saigon, appuyées par les Américains, envahirent le Laos, elles suivaient des chemins tracés dès 1964, c’est-à-dire au début de l’agression américaine au Vietnam. Cette invasion n’était que l’aboutissement d’un long processus d’ingérence qui avait commencé en 1956. Elle avait été longuement préparée. Un mémorandum adressé au secrétaire d’État Mcnamara proposait dès 1964 d’ « amener le gouvernement du Sud-Vietnam à entreprendre une opération au sol au Laos à une échelle suffisamment large…. »

Au Laos l’agression se déroula selon le même scénario que l’intervention au Vietnam. Au début, ce furent des attaques secrètes par des groupes de 25 à 40 bombardiers T-28 qui opéraient sous une identification laotienne avec des pilotes, souvent de nationalité Thaïlandaise, appartenant à la compagnie Air America dirigée par la CIA. Mais Washington s’obstinait à nier la participation de l’aviation américaine à ces opérations.

Ces attaques aériennes furent bientôt suivies de raids de commandos américains et saïgonnais organisés à une grande échelle. Elles furent suivies par la décision d’entreprendre une agression ouverte contre le Cambodge. Le 30 avril 1971 les troupes américano-saïgonnaises traversèrent la frontière du Cambodge pour prendre le contrôle de cet État indépendant.

Après vingt ans d’effort, les plans américains aboutissaient à la guerre générale. Une vaste opération se déroulait à laquelle participaient plusieurs centaines de milliers d’hommes dans toute l’Indochine. Des groupes formés de la tribu Kha encadrés par les américains se déplaçaient au Sud Laos pour aider les Sud-Vietnamiens à couper les lignes de ravitaillement. Des groupes de la tribu Méo, également encadrés par des Américains, lançaient une attaque dans le Nord du Laos. Dans certaines régions, des opérations offensives étaient réalisées par les forces royales laotiennes. Au Cambodge, les troupes sud-vietnamiennes et cambodgiennes intensifièrent leur action. Au Sud-Vietnam, le gouvernement lança une offensive générale contre les positions fortifiées des partisans.

On peut craindre qu’une opération de même nature se prépare contre la Syrie. On ne s’explique pas autrement l’installation de rampes de missiles à la frontière turque. Comment dire à la fois que l’armée syrienne recule partout et prétendre que, dans le même temps, elle menace ses voisins ? On voit bien que les États-Unis ont inscrit les principaux groupes armés opérant en Syrie dans leur liste des organisations terroristes mais que c’est un pays membre de l’Otan, la Turquie, qui en abrite les bases arrières. On voit que des renforts en mercenaires et djihadistes viennent de partout (en particulier d’Europe) et que leur acheminement et leur armement est assuré par l’Arabie Saoudite et le Qatar qui sont les principaux alliés des USA dans la région. Un groupe terroriste est apparu l’été dernier tout armé, avec des troupes entrainées, et l’on veut nous faire croire qu’il est venu de nulle part. On lit qu’il contrôle 24 banques en Irak et personne n’est parvenu jusqu’à présent à empêcher ces banques de faire de opérations avec d’autres banques hors d’Irak (sans possibilité de compensation internationale, une banque est vouée à faire faillite). Une centaine de camions chargés de pétrole passerait les frontières chaque jour et en un an aucun n’a été intercepté. Les terroristes reçoivent des munitions (comment pourraient-ils autrement poursuivre leur offensive ?) et personne n’est parvenu à en intercepter un seul chargement. Chaque fois que les États-Unis ont largué des munitions au Kurdes, leurs adversaires en ont reçu exactement autant (et ceci à chaque fois par erreur !).

Pourtant les choses étaient claires dès 2013 ; Un plan d’invasion était prêt selon ce qu’on lisait : « La France, le Royaume-Uni, Israël et le Qatar ont préparé un énième plan d’intervention en Syrie. 6 000 nouveaux djihadistes, dont 4 000 en provenance du Liban, devraient attaquer incessamment le quartier résidentiel de Mazzeh, au sud de Damas, qui abrite de nombreuses ambassades et où résident plusieurs hauts responsables civils et militaires. Un incident impliquant des armes chimiques à l’autre bout du pays devrait augmenter la tension. Un général félon devrait alors prétendre avoir pris le pouvoir et appeler les Occidentaux à l’aide, donnant ainsi un prétexte à une intervention militaire hors mandat de l’ONU». L’incident impliquant des armes chimiques a bien eu lieu mais trop vite éventé.

L’affaire n’est que remise ; la suite est prévisible : sauf si la diplomatie russe et chinoise parvient à l’éviter, comme dans le sud-est asiatique, une bataille générale va avoir lieu.

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Source : les étapes de la guerre et du mensonge – éditions de l’agence de presse Novosti – Moscou 1971

Les étapes de la guerre et du mensonge (1)

image 1Au début d’août 1964, le monde fut bouleversé par les événements en Indochine : l’aviation américaine commençait des bombardements féroces des villes et des villages de la République démocratique du Vietnam. Les porte-parole des États-Unis prétendirent qu’il s’agissait d’une action « défensive », d’une riposte à l’attaque de certaines vedettes de la marine de guerre américaine dans le golfe du Tonkin. Ainsi se justifiait l’intervention directe et massive des États-Unis dans la seconde guerre du Vietnam : par un mensonge planétaire. Plus près de nous, pensons au soudard américain, Colin Powell, agitant une petite fiole d’Anthrax à la tribune de l’ONU pour justifier le déclenchement de la guerre contre l’Irak : mensonge éhonté, venant après d’autres mensonges et combien de manœuvres en coulisse.

Aujourd’hui des bruits de bottes se font entendre au Moyen-Orient : en Syrie, en Irak et autour de l’Iran. Une bonne partie de l’Afrique Sud saharienne est en proie à la guerre contre des bandes armées aux origines douteuses. Le feu vient de prendre au Yémen. En Ukraine un coup d’État provoqué en sous-main par l’OTAN a conduit à la guerre civile. Alors que nous voyons ce qu’il en a été de la « libération » de la Libye, soyons sur nos gardes. Le mensonge est la première étape de la guerre. Le mensonge annonce la guerre. Nous n’avons aucun moyen de savoir qui a tiré des obus sur un village de Turquie ou qui a organisé un attentat à Beyrouth, qui a usé d’armes chimiques dans les faubourgs de Damas mais nous pouvons apprendre du passé. Revenons donc au début de la guerre du Vietnam. Apprenons du passé pour mieux voir clair dans le présent.

En 1964, si nous avions écouté, nous aurions su que d’agence TASS qualifiait l’incident du golfe du Tonkin de « provocation délibérée ». Mais comme l’américain moyen croit qu’il vit dans un pays démocratique, nous croyons que la presse nous informe sans rien nous dissimuler. Peut-être croyons-nous que personne n’a intérêt à la guerre, puisqu’elle n’apporte que misère et désolation. Naïveté ! Certains chiffres sont éclairants : les revenus des cinq principaux fournisseurs du Pentagone (Lockheed, General Electric, General Dynamics, McDonnell Douglas, United Aircraft) sont passés de 395 millions de dollars en 1964 à 587 en 1968. Une pluie de bénéfices de guerre s’est épanchée sur les compagnies étroitement liées aux politiciens de Washington ; c’est ainsi qu’a été financée la carrière politique de Lyndon Johnson. Inutile de rappeler les fabuleux bénéfices tirés par les compagnies directement liées aux amis de Bush au cours de la guerre d’Irak. Chacune de ces guerres ne s’est arrêtée que lorsque la tendance s’est inversée et que le coût exorbitant de la guerre a menacé l’économie du pays. En 1971 les Etats-Unis ont dû renoncer à la parité du dollar avec l’or. Ils se sont endettés plus que tout autre pays au monde mais ce risque suffira-t-il à préserver la paix maintenant que l’exploitation désastreuse des gaz et pétroles de schiste permet de gagner un peu de temps ?

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Revenons donc aux faits, à ce qui a rendu nécessaire et permis l’intervention directe des États-Unis.

image 2En 1964 personne ne pouvait dire exactement quand les États-Unis avaient commencé à intervenir au Vietnam. Nous savons aujourd’hui que la France recevait déjà une aide dans sa guerre contre le Vietminh dès 1954, mais la défaite française était consommée à Dien Bien Phu. Les États-Unis ont commencé alors à s’ingérer directement dans les affaires du Vietnam et un mot nouveau est apparu dans le vocabulaire politique : l’escalade. Ce fut la première étape du mensonge et de la guerre. Le but de cette « escalade » avait été annoncé dès 1953 par Eisenhower : « Imaginons que nous perdons l’Indochine…. L’étain, le tungstène qui sont si précieux, cesseront de parvenir de cette région…. C’est pourquoi lorsque les États-Unis votent 400 millions de dollars d’aide à cette guerre, il ne s’agit pas de voter un programme sans valeur. Nous votons pour le moyen le moins cher d’empêcher des événements qui auraient pour les États-Unis des conséquences terribles ». Comment les États-Unis auraient-ils pu se satisfaire d’élections libres au Vietnam dont ils prévoyaient qu’elles s’accompagneraient presque à coup sûr du passage sous contrôle communiste du Vietnam, du Laos et du Cambodge ? Ils estimaient que leur hégémonie était en jeu.

A ce moment la doctrine américaine se présentait comme elle se présente encore aujourd’hui. « Nous envoyons des unités logistiques, mais pas de troupes terrestres » disait le secrétaire d’État adjoint Smith. En fait dès 1952, cent mille tonnes d’équipements américains étaient déjà livrés à Saigon. Les dépenses atteignaient en 1953-1954 un milliard de dollar par an. Ce n’était là que l’application du programme du Conseil de la sécurité nationale adopté en 1951 dont il nous reste la célèbre théorie des dominos. Les discussions secrètes portaient, non sur l’intervention, mais sur l’éventualité d’utiliser l’arme atomique. La crainte était d’entraîner dans la guerre la Chine et l’URSS alors que l’opinion publique américaine n’était pas prête. Des avions transportant des armes atomiques survolaient déjà le Vietnam mais, au dernier moment, le président Eisenhower les a rappelés. Il fut donc décidé d’envoyer des troupes au sol. Mais comment le faire accepter ? C’est ici que commença la deuxième étape de la guerre et du mensonge.

Cette seconde étape vers la guerre fut le torpillage, par le secrétaire d’État américain, Dulles, des accords de Genève de 1954 dont il pensait qu’ils auraient risqué d’ouvrir la voie du pouvoir aux communistes vietnamiens si des élections avaient lieu. Ce torpillage lui permit ensuite de justifier chaque phase de l’escalade en prétextant de « l’inefficience » d’un accord, que les États-Unis avaient refusé de signer bien qu’il n’ait abouti qu’à la signature d’un armistice, les élections étant repoussées à juillet 1956.

Alors que les termes de l’accord étaient débattus, les porte-avions américains avaient quitté Manille et se dirigeaient vers l’Indochine, les commandos de la CIA conduits par un certain Colonel E. Lansdale commençaient au Vietnam même leurs actions de terreur et de sabotage. Dans le même temps, Dulles travaillait à convaincre le ministre britannique des Affaires Étrangères Lord Avon (Anthony Eden) d’organiser une intervention commune. Celui-ci, aussi bien qu’un belliciste comme Churchill, résistèrent car ils comprenaient que Dulles voulait avant tout les utiliser pour faire avaliser son intervention par le Congrès des États-Unis. Ils craignaient aussi, non sans raison, que leur allié utilise la bombe atomique et les entraine dans une confrontation avec la Chine.

Le 8 septembre 1954, les efforts américains aboutissaient à la création de l’OTASE ou pacte de Manille qui réunissait tous les pays non communistes de l’Asie du Sud-Est. Le Pentagone était chargé d’élaborer un programme pour former et entrainer les armées de ces pays tandis qu’à la CIA était confié la mission de travailler au renversement du gouvernement de la RDV (nord-Vietnam). Au Sud-Vietnam, malgré les protestations de la France, « l’empereur » Bao Dai était écarté au profit d’une créature des États-Unis (Ngo Dinh Diem), ceci à l’occasion d’un référendum grossièrement truqué. Le nouveau chef d’État s’empressa d’annuler les élections prévues, consacrant ainsi la partition du pays et la transformation du sud en protectorat américain. Malgré une politique de répression féroce le pouvoir de cette marionnette des États-Unis et de son gouvernement honteusement corrompu restait fragile et constamment menacé. Le Vietcong ne cessait de gagner en influence.

image 4Kennedy, entré en fonction en janvier 1961, essaya de consolider le gouvernement Diem en allouant des fonds pour augmenter de 20.000 hommes l’armée du Sud Vietnam et de 32.000 les effectifs de la « garde civile ». Il autorisait officiellement le Comité des chefs d’états-majors à agir sans passer par l’ambassadeur américain à Saigon. Il entérinait ainsi l’intervention directe des USA dans les affaires intérieures du Vietnam. En mai 1961, le vice-président Lyndon Johnson fut expédié sur place pour « encourager » Diem à solliciter l’envoi de troupes terrestres américaines. Celui obtempéra officiellement en Octobre. Entre-temps les généraux Maxwel Taylor et Walt Rostow avaient été dépêchés sur place pour élaborer des plans concrets ; des forces spéciales, composées de mercenaires et de « conseillers » américains, commençaient un travail de subversion et s’infiltraient par le Laos ; des réseaux de « résistance » étaient créés et des tracts étaient largués sur le pays par l’aviation ; de grandes quantités d’armes et d’équipements militaires modernes étaient acheminées sur place. Ainsi avait commencé ce que les américains ont appelé la « guerre spéciale ».

Au début 1961, mille soldats américains se trouvaient au Sud-Vietnam. Le nombre de « conseillers » était estimé à 16.000 en 1963 au moment où Kennedy fut assassiné, mais tout cela était tenu secret. Les généraux s’appliquaient à prouver qu’une intervention directe était indispensable et qu’elle n’exigerait pas plus que l’envoi de dix divisions, soit environ 205.000 hommes. Les archives montrent que Kennedy acceptait l’ensemble de ces recommandations. Un coup d’État était envisagé et son plan finalisé le 17 septembre 1963. Il aboutit le 2 novembre 1963 au renversement et à l’assassinat de Diem. Kennedy était lui-même assassiné le 22 novembre 1963. L’étape suivante de la guerre et du mensonge échouait au Vice-Président Johnson.

Troisième étape : Nous le savons déjà : l’action agressive des États-Unis contre la République démocratique du Vietnam a commencé bien avant 1963. L’opération Haylift dirigée par la CIA a consisté dès 1961 à acheminer au Nord des agents sud-vietnamiens qui s’y livraient au sabotage des voies ferrées, des ponts etc. Les inondations au sud avaient été aussi le prétexte pour donner un aspect humanitaire à la venue de troupes qui ont atteint l’effectif de 8000 hommes. A la mort de Kennedy, le président Johnson se trouva ainsi placé devant le choix : étendre les opérations militaires ou partir.

Les élections étaient prévues pour novembre 1964 et Johnson ne pouvait pas apparaitre comme un belliciste. Il décida de renforcer encore plus la guerre secrète tout en commençant dès le printemps à établir le plan d’une guerre ouverte. Ce plan, connu comme « plan tactique 34-A », comportait quatre points principaux : 1) survol de reconnaissance ouvert du Nord-Vietnam (donc violation de l’espace aérien de la R.D.V.) – 2) bombardement aérien et attaque de commandos parachutistes saïgonnais pour frapper les objectifs nord-vietnamiens – 3) minage aérien des principaux ports du nord-Vietnam – 4) pression militaire ouverte et croissante exercée par les troupes de Saigon et les troupe américaines avec pour objectif de frapper les « objectifs économiques industriels dont dépend le bien-être du Nord-Vietnam ». L’ensemble de ces opérations était dirigées par le département d’État et la CIA ; la coordination était assurée par l’adjoint du secrétaire d’État William Bundy et les opérations étaient contrôlées par le général P. D. Harkins.

Pour parachever ce plan, Johnson avait besoin de son Pearl Harbour et il l’eut avec l’affaire du golfe du Tonkin en août. La marine américaine avait multiplié les opérations de patrouillage dans le golfe. Ces patrouilles avaient à la fois pour objectif de faire une démonstration de force et de récolter des renseignements sur les radars nord-vietnamiens du service d’alerte et sur la défense côtière, tous renseignements susceptibles de servir aux commandos chargés des opérations de sabotage. Mais le but ultime était, selon ce qu’écrivait Johnson, de provoquer les « circonstances extraordinaires » susceptibles de « créer une base militaire et politique aussi solide que possible pour prendre à l’avenir les dispositions qui pourraient s’imposer ». Son espoir était que tout cela soit facilité par « un affrontement décisif entre les partis communistes chinois et soviétiques ». Dans le même message à son état-major, il se prononçait catégoriquement contre la proposition de Gaulle sur « la neutralisation du Sud-Vietnam ». Rien ne lui paraissait plus important que de mettre fin par tous les moyens à toutes les conversations sur la neutralisation. Il suivait en cela la thèse de Dulles, à savoir que « la neutralité est immorale ». Son seul problème était de trouver le moyen de présenter l’agression comme justifiée. Il lui fallait tromper le peuple américain, au nom de qui il se préparait à lancer des milliers de vies humaines dans le chaudron d’une nouvelle guerre d’agression.

Le 23 mars 1964, l’état-major proposa un scénario pour intensifier la guerre avec comme point culminant un « vaste bombardement du Nord ». Dans ce scénario les mesures propres à assurer le côté « moral et politique » de l’agression jouaient le principal rôle. Parmi celles-ci figurait l’idée d’une résolution commune des deux chambres du Congrès américain qui bénirait le président pour l’escalade. Ce scénario comportait les mesures suivantes : retarder toute conférence sur le sud-est asiatique jusqu’au jour J – discours présidentiel proposant une résolution conjointe du Congrès (dont le texte avait été établi dès le 23 mai)– directives aux forces du pacifique pour la préparation du déploiement pour le jour J. – obtenir « l’accord » des Sud-vietnamiens qui demanderaient l’arrêt de « l’agression du nord » puis constatation que tous les efforts se seraient révélés vains – évacuation des familles des américains – consultation des alliés – et pour finir : premiers raids au jour J sur les 94 objectifs dont la liste avait été établie. En complément, le plan tactique 37-64 prévoyait combien d’avions et quel tonnage de bombes réclamait chaque phase des attaques sur les objectifs énumérés.

Tout cela fut facilité par l’attitude du challenger de Johnson aux élections, le sénateur Goldwater, qui connaissait les plans et ne cessait de lancer les plus sinistres appels à la guerre. Tout concourait donc à l’exécution de l’affaire du golfe du Tonkin (quatrième étape de la guerre et du mensonge).

image 3Quatrième étape : Le 23 juillet 1964 un destroyer de l’US NAVY quitta le Japon pour aller patrouiller « dans les eaux côtières du Vietnam ». Il fit escale à Taïwan pour s’équiper en matériel électronique de surveillance. Le 2 août, ce destroyer ouvrit le feu sur « des vedettes lance torpilles qui le poursuivaient » alors qu’il était entré dans les eaux territoriales du nord-Vietnam. Le même jour, sept chasseurs-bombardiers américains bombardèrent un poste frontière nord-Vietnamien sur lequel ils avaient lancé des roquettes la veille. Le 30 juillet des navires de guerre sud-vietnamiens avaient quitté leur port pour aller canonner des iles nord-Vietnamiennes.

Mais cela ne faisait que préparer le jour J fixé au 4 août. A cette date, alors qu’il faisait déjà nuit noire, les américains déclarèrent que leurs radars avaient repéré une flottille de vedettes lance-torpilles patrouillant dans les eaux du golfe du Tonkin. Malgré une suite de messages contradictoires, les uns faisant état de tirs, les autres les démentant, les destroyers ouvrirent le feu après en avoir reçu l’ordre de Washington (où il était encore midi). Le porte avion « Ticonderego » fit prendre l’air à ses avions chargés de bombes. Les premières bombes furent larguées à minuit (heure de Washington). Dans le même temps, le président prit la parole à la télévision pour justifier cette riposte « à une attaque non provoquée ». Un pas décisif était donc franchi dans l’extension des hostilités.

Dès le 5 août, l’administration Johnson déposa le projet de résolution (déjà rédigé) pour examen préliminaire par les commissions du Sénat. Bien que les débats fissent apparaitre de multiples contradictions et invraisemblance dans la présentation des circonstances, le 7 Août, la résolution fut votée à l’unanimité à la Chambre des représentants ; au Sénat, elle fut adoptée avec deux voix contre. Elle autorisait le président « à prendre toutes les mesures nécessaires pour repousser toute attaque armée contre les forces des États-Unis », ce qui équivalait à une déclaration de guerre.

La presse lança une campagne d’agitation chauvine bien qu’il apparaissait de plus en plus clairement que la flottille repérée ne pouvait être que celle des navires sud-Vietnamiens partis le 30 juillet attaquer les iles nord-Vietnamiennes. L’enquête menée plus tard (en 1968) montra que les destroyers américains n’effectuaient pas une mission de routine comme il avait été dit mais une mission de combat destinée à contraindre le nord-Vietnam et la Chine à brancher leurs stations de radars, alors que l’un des navires de la patrouille sud-vietnamienne était équipé du matériel nécessaire pour les repérer.

Il avait été dit que le destroyer le Maddox opérait dans les eaux internationales. La publication des documents secrets du Pentagone en 1971 prouva qu’il avait reçu l’ordre de pénétrer dans les eaux territoriales nord-vietnamiennes pour effectuer sa mission de repérage. Il fut prouvé aussi que la mission de la flottille sud-Vietnamienne devait être connue de la marine américaine, puisqu’elle était en fait organisée par la CIA dans le cadre d’un plan dit 34-A. Enfin, l’enquête a montré que l’opérateur du sonar, à bord du destroyer Maddox, avait été trompé par les mouvements faits à son insu par le navire : de brusques changements cap du navire à vitesse élevée (30 nœuds) font le même bruit que le passage d’une torpille. Enfin, le destroyer n’a subi aucun impact de torpille. Les autorités nord-Vietnamiennes ont démenti toute attaque. La patrouille nord-Vietnamienne n’a fait que suivre les destroyers américains jusqu’à ce qu’ils aient quitté leurs eaux territoriales. Dès le 5 août l’agence de presse nord-Vietnamienne avait dénoncé la manipulation et le crime commis contre la paix.

Les étapes qui ont suivi cette entrée officielle dans la guerre seront l’objet du prochain article.

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