Cinquième étape : Au moment de l’affaire du golfe du Tonkin cela faisait plus d’une décennie que les américains intervenaient au Vietnam. Cela nous donne la mesure de leur acharnement et devrait nous inciter à la méfiance chaque fois que nous avons l’impression qu’ils sont sur le point de lâcher prise. En fait, eux et leurs pareils n’abandonnent que défaits, vaincus et réduits à l’impuissance.
Johnson était aussi tenace que ses prédécesseurs mais il était en campagne électorale ; il redoutait d’être « mal compris de l’opinion » et semblait jouer l’apaisement. Tandis que son état-major disait qu’il fallait frapper un grand coup et étendre les bombardements, il semblait considérer que la guerre devait être confiée à une force d’intervention asiatique « soutenue » par les forces américaines. Nous assistons aujourd’hui au même genre de détour dans toutes les guerres périphériques.
Johnson considérait que l’extension de la guerre au sol exigeait le renforcement du gouvernement du sud-Vietnam. Son secrétaire d’État McNamara insistait « pour que la voie reste ouverte à des actions plus fortes, même si le gouvernement du Sud-Vietnam n’arrive à améliorer sa situation ». La marine américaine continua ses patrouilles toujours plus proches des côtes Nord-Vietnamiennes. La CIA intensifia ses opérations de sabotage. Il s’agissait d’être prêt à lancer des opérations punitives de grande envergure dès qu’on parviendrait à créer à créer une mobilisation de l’opinion analogue à celle qu’avait permis l’affaire du golfe du Tonkin.
C’est ainsi qu’on arriva le 12 septembre à ce que la presse appela « le troisième incident de Tonkin ». Les incursions sur le territoire laotien et les opérations aériennes sur le Laos furent intensifiées car, disait le Pentagone « un cessez-le-feu actuel au Laos était incompatible avec le concept actuel de l’intérêt national des États-Unis ». La crainte était de voir s’organiser une conférence internationale qui parviendrait à une neutralisation du Laos et aurait risqué en contrecoup de provoquer l’effondrement du régime sud-Vietnamien. Pour parer à cela, le projet de propager l’incendie de la guerre à toute l’Indochine se profilait.
Mais l’opinion politique mondiale commençait à se mobiliser et l’URSS faisait savoir qu’elle ne pouvait pas « rester indifférente ». Elle se déclarait prêtre à apporter l’assistance nécessaire à un « pays frère ». Les États-Unis réagirent en élaborant d’urgence de nouvelles mesures de propagande. Il s’agissait « d’utiliser au maximum les explications de l’incident dans le golfe du Tonkin » et de gagner ou de renforcer la « sympathie » de l’OTSASE et de l’OTAN, et de s’appuyer sur l’amitié de la Grande-Bretagne, de l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Thaïlande.
L’opération « Rolling Thunder » se préparait. Elle fut précédée par « des ripostes isolées » qui en fait figuraient de longue date dans l’agenda du Pentagone. Les capitales amies en étaient informées à l’avance. Le comportement « scissionniste » des Chinois était observé avec attention.
L’opération « Rolling Thunder » démarra le 2 mars 1965. Les forces US était autorisées à utiliser le napalm. Les 14 et 15 mars furent les jours des bombardements les puissants depuis le début de la guerre aérienne. Plus de cent avions y participaient. L’étape suivante prévoyait l’utilisation des bombardiers lourds B-52.
Sixième étape : En fin 1964 et au début 1965, malgré leurs provocations et les intenses bombardements sur le Nord, la situation n’était pas en faveur des États-Unis. Le gouvernement du sud s’effondrait. Les plans stratégiques avaient besoin d’être revus.
Les Nations-Unies proposaient leur médiation. Ho Chi Minh y était favorable. Lyndon Johnson laissa croire qu’il les accepterait mais il laissait passer le temps. Il attendait le printemps 1965 pour lancer une nouvelle étape vers une grande guerre au sol avec la participation d’unités militaires régulières des USA. Simultanément avec le déclenchement des attaques aériennes systématiques contre la R.D.V., au début mars 1965, la direction américaine prit la résolution de lancer dans l’offensive deux bataillons de Marines qui se trouvaient déjà au Sud-Vietnam. 3.500 fusiliers marins débarquèrent le 8 mars à Da Nang pour les soutenir. Le prétexte avancé dans les médias était qu’il s’agissait de renforcer la sécurité de la base aérienne. Une campagne fut lancée « pour informer l’opinion publique » en ce sens.
Les effectifs réguliers américains au Viêt-Nam étaient de 27.000 hommes mais cela ne suffisait pas. Les militaires réclamaient qu’ils soient portés à 70.000. Cela fut acté par Johnson lors d’une conférence tenue à la Maison Blanche les 1er et 2 avril 1965 malgré les doutes de l’Ambassadeur US à Saigon. Une nouvelle extension de la guerre s’annonçait mais il fallait parvenir à la cacher l’opinion publique américaine.
La 173ème brigade aéroportée fut ramenée de Honolulu. Mais cela ne suffisait pas encore. L’état-major réclamait que les effectifs terrestres soient portés à 82.000 hommes. En mai le Vietcong passa à l’offensive et prit la ville de Song Be. Il encercla un bataillon près de BaGia. Ce fut une défaite totale pour les américains : deux bataillons furent anéantis. Les désertions se multipliaient. Le général Westmorland réclama que les effectifs soient portés à 200.000 hommes. Johnson donna son accord, ce qui signifiait encore une nouvelle étape dans l’escalade. L’opinion publique commençait à s’alarmer des nouvelles qui filtraient. Elle ne pouvait plus croire que les troupes n’avaient pour mission que de garder la base de Da Nang et d’effectuer quelques patrouilles comme on voulait lui faire croire.
Le 4 mai le président demanda au Congrès l’attribution de 700 millions de dollars supplémentaires pourtant il « ne pouvait garantir que ce soit la dernière demande ». Il était désormais difficile de dissimuler l’ampleur des envois de troupes mais la version officielle persistait à ne reconnaitre que la présence de 75.000 ou 125.000 hommes. En juillet les effectifs réels étaient déjà de 184.000 hommes, soit 44 bataillons de ligne.
En novembre 1965, Westmorland demanda 154.000 hommes supplémentaires. Il ne cessait d’élever ses mises dans ce qui devenait pour l’opinion « une sale guerre ». En octobre 1967, c’étaient 525.000 hommes qui étaient engagés.
Septième étape : En 1965 ne s’agissait pas pour les américains de menacer de bombarder puisqu’ils le faisaient massivement. La ruse consistait à marquer des « pauses » en proposant bruyamment des conditions de paix inadmissibles pour prouver la « mauvaise volonté de Hanoï ». La première « pause » débuta le 12 mai 1965. Elle ne concernait en fait que le Nord et ne dura que jusqu’au 18 ; elle s’accompagnait d’ailleurs d’une intensification des bombardements sur le Sud.
La deuxième « pause » fut un peu plus longue. Elle dura du 24 décembre 1965 au 31 janvier 1966 ; il s’agissait de calmer l’opinion mondiale et américaine qui protestait violemment contre l’agression en Indochine. Le 7 janvier, le Département d’État publiait les « 14 points » c’est-à-dire les prétentions que l’administration Johnson voulait faire avaliser par les autres capitales occidentales. Mais tout cela ne servit à rien : la reprise des bombardements déclencha une indignation plus vive que jamais.
Une troisième « pause » débuta à la mi-février 1967. Elle ne fut qu’un prétexte pour justifier une nouvelle escalade de la guerre. Elle fut réalisée d’après un scénario déjà au point et s’accompagna d’un flot de déclarations sur la volonté de « paix » du gouvernement des États-Unis qui assurait tapageusement de son souci d’arriver à un « règlement » alors qu’il savait très bien qu’il n’avait fait que lancer un ultimatum : la capitulation ou plus de bombardements encore.
Alterner les « tours de vis » supplémentaires et les moments de relâchement est une technique bien connue des tortionnaires pour briser les nerfs de leur victime. Appliquée à tout un peuple, elle se révélait inefficace. Le peuple Vietnamien avait compris qu’il n’avait rien à attendre d’un belliciste comme McNamara qui écrivait au même moment que le risque de cette tactique était « de tomber dans le piège d’un statu quo sous forme de cessez-le-feu ou de négociations qui […] pouvaient rendre politiquement difficile l’arrêt de la pause » et qui donc n’avait nullement l’intention de faire la paix.
Huitième étape : Quand un matin de février 1971, des troupes de Saigon, appuyées par les Américains, envahirent le Laos, elles suivaient des chemins tracés dès 1964, c’est-à-dire au début de l’agression américaine au Vietnam. Cette invasion n’était que l’aboutissement d’un long processus d’ingérence qui avait commencé en 1956. Elle avait été longuement préparée. Un mémorandum adressé au secrétaire d’État Mcnamara proposait dès 1964 d’ « amener le gouvernement du Sud-Vietnam à entreprendre une opération au sol au Laos à une échelle suffisamment large…. »
Au Laos l’agression se déroula selon le même scénario que l’intervention au Vietnam. Au début, ce furent des attaques secrètes par des groupes de 25 à 40 bombardiers T-28 qui opéraient sous une identification laotienne avec des pilotes, souvent de nationalité Thaïlandaise, appartenant à la compagnie Air America dirigée par la CIA. Mais Washington s’obstinait à nier la participation de l’aviation américaine à ces opérations.
Ces attaques aériennes furent bientôt suivies de raids de commandos américains et saïgonnais organisés à une grande échelle. Elles furent suivies par la décision d’entreprendre une agression ouverte contre le Cambodge. Le 30 avril 1971 les troupes américano-saïgonnaises traversèrent la frontière du Cambodge pour prendre le contrôle de cet État indépendant.
Après vingt ans d’effort, les plans américains aboutissaient à la guerre générale. Une vaste opération se déroulait à laquelle participaient plusieurs centaines de milliers d’hommes dans toute l’Indochine. Des groupes formés de la tribu Kha encadrés par les américains se déplaçaient au Sud Laos pour aider les Sud-Vietnamiens à couper les lignes de ravitaillement. Des groupes de la tribu Méo, également encadrés par des Américains, lançaient une attaque dans le Nord du Laos. Dans certaines régions, des opérations offensives étaient réalisées par les forces royales laotiennes. Au Cambodge, les troupes sud-vietnamiennes et cambodgiennes intensifièrent leur action. Au Sud-Vietnam, le gouvernement lança une offensive générale contre les positions fortifiées des partisans.
On peut craindre qu’une opération de même nature se prépare contre la Syrie. On ne s’explique pas autrement l’installation de rampes de missiles à la frontière turque. Comment dire à la fois que l’armée syrienne recule partout et prétendre que, dans le même temps, elle menace ses voisins ? On voit bien que les États-Unis ont inscrit les principaux groupes armés opérant en Syrie dans leur liste des organisations terroristes mais que c’est un pays membre de l’Otan, la Turquie, qui en abrite les bases arrières. On voit que des renforts en mercenaires et djihadistes viennent de partout (en particulier d’Europe) et que leur acheminement et leur armement est assuré par l’Arabie Saoudite et le Qatar qui sont les principaux alliés des USA dans la région. Un groupe terroriste est apparu l’été dernier tout armé, avec des troupes entrainées, et l’on veut nous faire croire qu’il est venu de nulle part. On lit qu’il contrôle 24 banques en Irak et personne n’est parvenu jusqu’à présent à empêcher ces banques de faire de opérations avec d’autres banques hors d’Irak (sans possibilité de compensation internationale, une banque est vouée à faire faillite). Une centaine de camions chargés de pétrole passerait les frontières chaque jour et en un an aucun n’a été intercepté. Les terroristes reçoivent des munitions (comment pourraient-ils autrement poursuivre leur offensive ?) et personne n’est parvenu à en intercepter un seul chargement. Chaque fois que les États-Unis ont largué des munitions au Kurdes, leurs adversaires en ont reçu exactement autant (et ceci à chaque fois par erreur !).
Pourtant les choses étaient claires dès 2013 ; Un plan d’invasion était prêt selon ce qu’on lisait : « La France, le Royaume-Uni, Israël et le Qatar ont préparé un énième plan d’intervention en Syrie. 6 000 nouveaux djihadistes, dont 4 000 en provenance du Liban, devraient attaquer incessamment le quartier résidentiel de Mazzeh, au sud de Damas, qui abrite de nombreuses ambassades et où résident plusieurs hauts responsables civils et militaires. Un incident impliquant des armes chimiques à l’autre bout du pays devrait augmenter la tension. Un général félon devrait alors prétendre avoir pris le pouvoir et appeler les Occidentaux à l’aide, donnant ainsi un prétexte à une intervention militaire hors mandat de l’ONU». L’incident impliquant des armes chimiques a bien eu lieu mais trop vite éventé.
L’affaire n’est que remise ; la suite est prévisible : sauf si la diplomatie russe et chinoise parvient à l’éviter, comme dans le sud-est asiatique, une bataille générale va avoir lieu.
Source : les étapes de la guerre et du mensonge – éditions de l’agence de presse Novosti – Moscou 1971