Qu’est-ce que l’art ?

Sur cette question je reconnais que ma culture est très lacunaire. Je voudrais néanmoins proposer une réponse à partir de quelques réflexions que je me suis fait récemment.

Si on me demandait ce qu’est l’art :

Je dirais que l’art est une des formes de rapport de l’homme au monde (quelques autres étant la religion, la science, la philosophie, correspondant respectivement aux questionnements « pourquoi ? » « comment ? » « qu’est-ce que ?). Comme tous ces domaines l’art est un domaine aux contours flous.

Avec l’art l’homme a un rapport esthétique au monde qui passe par des objets qu’il crée, une matière dont il travaille la forme (couleurs, surfaces, volumes, sons, langage selon son domaine) pour en tirer des effets de sens (1) . L’homme  ressent et dit le monde, il dialogue avec lui. Il l’aime ou le redoute, l’embellit, y ajoute de l’harmonie, de l’utopie, des formes nouvelles  etc. Le ressenti n’est pas ici celui brut des sens mais celui de l’âme c’est-à-dire de l’émotion et de l’intelligence. C’est un ressenti éduqué par la contemplation des œuvres d’art et des belles choses qu’elles soient le produit de la nature ou de l’industrie humaine.

A travers l’art l’homme s’assujettit le monde (son époque, sa vie et sa mort, sa personne, sa relation à l’autre, sa sexualité). Mais l’homme est lui-même façonné par son monde. Il est un produit de son époque, de sa société, de sa classe. De sorte qu’à travers l’art la société, l’époque et l’homme qui leur correspond se disent eux-mêmes. Il y a ainsi une correspondance réciproque et productive entre une époque et son art (2). Et pourtant l’art survit à l’époque, il transcende le temps car la sensibilité humaine si elle est marquée par l’époque, la classe, la société est universelle car l’humanité est une.

L’art est un fait anthropologique premier.  Demandez à un enfant de dessiner un bonhomme. Avec les plus belles couleurs qu’il trouvera,  il dira tout ce qu’il perçoit, qu’il imagine, qu’il sait du bonhomme. Il aura à cœur par exemple de dessiner les cinq doigts de chaque main, les boutons du vêtement, les yeux et les cheveux etc. Il vous montre ainsi ce qu’est l’art et combien l’art est constitutif de l’être humain. A travers ces petits travaux le psychologue saura diagnostiquer le rapport de l’enfant aux autres (aux adultes), ce qui l’attire, ce qu’il craint, comment il se voit dans son rapport à autrui (3).

L’homme du néolithique qui peignait sur les murs des grottes ne faisait pas autrement que l’enfant. Il dit son monde, ses craintes et ses espoirs (de chasse fructueuse, de danger surmonté) mais aussi sa fascination face à la fécondité, la puissance et à l’indépendance des animaux.  C’est son rapport esthétique au monde qui fait de ses œuvres des œuvres d’art. Cela reste vrai même si l’idée d’art lui était étrangère et s’il poursuivait un tout autre but. Les œuvres humaines sont généralement hybrides : à la fois artistiques et religieuses ou bien utiles, divertissantes ou de pompe et d’apparat et artistement ouvragées etc.(4) La production d’œuvres exclusivement artistiques est une idée récente.

Maintenant voyez l’urinoir de Duchamp. Il ne l’a pas créé. Ce qu’il exhibe ce n’est pas sa création,   mais son moi. Il se veut tout puissant car comme se transformait en or tout ce que touchait le roi Midas, tout ce qu’il touche devient œuvre d’art (un urinoir, un porte-bouteille, une roue de vélo etc.). Il est l’individu moderne égocentrique, cynique, opportuniste et faux (vide).   Il  a tout de même raison dans ce qu’il fait puisque le monde l’applaudit et se retrouve en lui. Il révèle une époque et une société à elle-même ou plutôt même la devance et l’annonce. Mais il a pourtant tort finalement car en faisant cela il entreprend la destruction de l’art, ce qu’il appelle art, au-delà du symptôme, n’est plus de l’art mais exhibition, parade et esbroufe. Ce n’est en rien la manifestation d’un rapport esthétique au monde. C’est un attentat intellectualisé à l’art.

L’urinoir de Duchamp n’est pas une œuvre d’art, cela reste juste un urinoir (5). Ceci indépendamment du fait qu’il soit beau ou laid. La question de la beauté, de la qualité de l’œuvre vient après coup. La beauté n’appartient pas exclusivement aux œuvres d’art. Les choses de la nature sont souvent très belles, plus belles que la plus réussie des œuvres d’art. Elles ne sont  pourtant pas des œuvres d’art. La question de la beauté n’est posée pour les œuvres d’art que parce qu’elles sont des choses créées et  qu’elles se présentent comme œuvres d’art, parce qu’elles prétendent être appréciées comme œuvres d’art, comme manifestations d’un rapport esthétique au monde. La question de la beauté est une question après coup, celle de l’évaluation de l’œuvre.

Ce n’est que lorsqu’un objet est reconnu comme œuvre d’art que se pose la question de son évaluation esthétique et de là celle des critères d’évaluation – celui de la subjectivité et de l’objectivité, de son style, de sa cohérence, de sa nouveauté, de son originalité et en final de la compétence des évaluateurs.   

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Imaginons maintenant la photo d’une chose remarquable. Une  fleur extraordinaire par exemple photographiée à des fins de documentation botanique. Pour celui qui l’a faite cette photo n’est pas une œuvre d’art car quand il l’a faite il avait un rapport utilitaire ou scientifique à cet objet. Supposons maintenant que charmé par l’étrangeté et la beauté du cliché, il en fasse un second tirage. Il l’encadre, l’expose pour le contempler à loisir et prolonger ainsi son plaisir et sa méditation. Il a à ce moment un rapport esthétique à ce tableau, celui-ci devient alors pour lui une œuvre d’art. Encore une fois, c’est le rapport esthétique au monde par le médium de l’objet créé qui fait de celui-ci une œuvre d’art.

J’ai conscience que cette réponse exclut du domaine de l’art beaucoup de choses qui sont considérées institutionnellement comme en faisant partie, même si elles font l’objet de vives controverses. Mais est-ce vraiment un problème ? Si toute œuvre d’art a un sens, tout ce qui a un sens n’est pas œuvre d’art :  que sont  un objet ou une conduite (une « performance », une « attitude », une « posture », une « démarche » ) qui sont le support d’un discours idéologique (quand bien même il porterait sur l’art) qui déclarent vouloir inviter à la réflexion ou promouvoir la convivialité, ou qui n’ont d’autre objectif que la provocation, la transgression ou la dénonciation ?   Si toute œuvre d’art a ou voudrait avoir une qualité esthétique, tout ce qui est esthétique n’est pas de l’art : qu’est-ce qu’un beau geste en sport, une parade élégante, une feinte subtile etc . ?  Et bien, tout simplement rien d’autre que ce qu’ils sont ! Qu’est-ce-ce qu’un objet qui est la manifestation d’une activité ludique, sinon ce que je viens tout juste d’en dire ? (6)  L’enfant qui dessine peut aussi avoir une activité ludique (c’est  même souvent le cas). Alors il ne cherche pas à faire beau, ni à dire ce qu’il ressent, il s’amuse. Son dessin n’est alors pas une œuvre d’art.

On peut très bien admettre que figurent dans les expositions d’art ou les musées des objets qui ne sont pas à proprement parler des œuvres d’art dès lors qu’elles interrogent l’art, qu’elles sont au sujet de l’art. Cela parait beaucoup plus discutable  si ce n’est pas le cas. Les questions au sujet certaines productions de l’art contemporain sont donc légitimes. Elles ne doivent cependant pas conduire à censurer et à imposer un art officiel. Le monde de la culture doit rester libre même quand il divague (pourvu qu’il ne soit pas trop inféodé à l’argent). Ce n’est d’ailleurs pas seulement dans les  départements d’art contemporain qu’on voit des choses dont la réalité artistique est discutable. Elle n’est même souvent pas affirmée. Une momie, un objet utilitaire très ancien, un débris de vase, une arme rouillée etc. ne sont pas des objets d’art. Ils ont toute leur place dans les musées (qui ne sont que rarement exclusivement des musées d’art).  Le problème de l’art contemporain est plutôt qu’il multiplie les sujets de litige, que sa prolixité n’a d’égale que son caractère problématique.

PS : On pourrait me reprocher d’avoir une conception dogmatique de l’art et dire que j’impose une définition au lieu de partir de ce qui se fait. A cela j’objecterais que le choix de considérer comme art tout ce qui est présenté comme tel par « le monde de l’art » c’est-à-dire par des autorités constituées (directeurs de collection, galeristes, critiques ou amateurs fortunés) n’est pas seulement tout autant dogmatique : il est conformiste et dispense de toute réflexion (et non d’imagination car il est bien difficile de justifier certaines manifestations données pour artistiques !). Ce choix conduit à des paradoxes comme de soutenir que l’art est indéfinissable, ou que sa définition n’est jamais achevée parce qu’il est en perpétuel renouvellement, que potentiellement tout est art etc. C’est-à-dire au relativisme échevelé de l’idéologie dominante. Relativisme dont on trouve la critique dans le livre « du narcissisme de l’art contemporain » d’Alain Troyas et Valérie Arrault :

« Selon le libéralisme libertaire, il est désormais impensable de porter un jugement rationnel sur un objet candidat au statut artistique. Il n’y a plus d’autres critères que l’autosatisfaction de  l’art. Conformément à ce nouveau principe, l’art dit contemporain peut s’approprier n’importe quelle banalité et lui attribuer une valeur d’échange extraordinaire pourvu que sa subjectivité la légitime. C’est par ce dispositif qu’il pense retrouver l’harmonie fusionnelle « de l’art et de la vie ». Or, il ne fait qu’effacer les limites entre les choses du monde et lui, au point qu’on ne peut que rarement l’en distinguer, si ce n’est par la signalétique textuelle qui le désigne comme œuvre, s’abandonnant ainsi à l’arbitraire du jugement le plus subjectif qui soit« 

 

 

1 – pour un exemple du rapport artistique au monde, voir la série de mes articles https://lemoine001.com/2014/09/24/quest-ce-que-la-litterature-1/     

2- Yves Michaud écrit dans « la crise de l’art contemporain » page 198, en interprétant Gérard Genette « L’œuvre d’art » : « La relation esthétique consiste en une réponse affective à un objet attentionnel considéré sous un aspect et elle est éminemment subjective, même si l’on constate des convergences d’appréciation« . De cela je retiendrais le mot « affectif » mais il me semble que son caractère subjectif n’est qu’apparent. Il est en fait surtout politique dans le sens où il est marqué par une époque, une société, une classe et de l’idéologie (cf. Bourdieu « la distinction« . Voir à ce sujet mon article « la fausse tolérance« 

3 – Car toute œuvre d’art porte à la fois le sens que son créateur a voulu lui donner et ce qu’il dévoile de lui-même, de son rapport au monde et à autrui; elle est en même temps discours et symptôme. Une œuvre que son auteur voudrait vide de sens, qui serait pur formalisme, resterait par cela même un symptôme (révélant à la fois une personnalité et une époque). Les œuvres modernes ou contemporaines ont souvent pour ambition de renouveler l’esthétique. La multiplicité des courants, des écoles et des sectes artistiques révèlent une société et un monde travaillés par de fortes tensions (internes et internationales), une société et un monde en crise (dont la crise devient du même coup une crise de l’art – lire à ce sujet : art contemporain et impérialisme ).

PS : Sur le sens non assumé de l’art contemporain lire : du narcissisme de l’art contemporain Alain Troyas Valérie Arrault, et art morbide ? morbid art de Alain (georges) Leduc

4- un exemple de domaine hybride : la littérature  (qui est artistique dans son rapport esthétique au langage). Ce n’est pas une bonne question de demander si tel ou tel objet est ou non une œuvre d’art. La question devrait plutôt être : « quelle part d’art y-a-t-il dans cet objet ? ». Dans un objet produit industriellement cette part sera d’autant dissoute.

5 – Il peut m’être opposé ici ce qu’Yves Michaud (la crise de l’art contemporain – page 20) opposait à certains critiques de l’art contemporain. Je le cite   : « les difficultés conceptuelles soulevées par la notion de readymade qui constitue, pourrait-on dire, la transsubtantiation du XX siècle« . Ces esprits, « certes non médiocres, mais pas forcément équipés des outils pour le faire » auraient été incapables de se mesurer à cette difficulté philosophique majeure. Alors que dire d’un quidam encore moins capable comme moi !

Seulement pour que cette critique soit valable il faut admettre que cette « transsubtantiation » a eu lieu, que par sa magie l’urinoir est devenu une œuvre d’art. Effectivement, si cela est admis, le concept d’œuvre d’art devient bien difficile à cerner et il est difficile de savoir ce qu’il en reste ! Mais ce n’est alors pas seulement le concept d’œuvre d’art qui présente des difficultés, celui de transsubtantiation en pose d’au moins aussi redoutables. Il attend toujours ses philosophes !

6 – Citation de Alain (georges) Leduc : « ‘La fonction première de l’art est le divertissement’ affirmait péremptoirement George Maciunas (1932/1978) fondateur en 1961 de Fluxus à New York. Or la finalité de l’art, n’en déplaise à l’apparent consensus qui s’est fait, n’est pas de divertir, mais de ‘résister contre le cours du monde’ (Adorno)« .

Je dirais, quant à moi, que l’art peut bien divertir ou résister, mais il dit d’abord le monde et surtout le rapport au monde de l’artiste et à travers lui d’une société (ou d’une classe).

Fresques murales à Trier (Trêves)

Je n’ai rien contre les graffeurs quand leurs œuvres ont une véritable valeur esthétique. Seulement, ils sont le plus souvent l’image même des transgresseurs naïfs. Ils violent la loi, mais pour quoi faire ?

Le plus souvent c’est pour reproduire servilement les mêmes dessins dépourvus de sens, les mêmes formes brisées qu’on trouve dans toutes les villes du monde. Ils signent leurs productions de noms à consonance anglo-saxonne, plus anonymes que l’anonymat même. Je l’ai dit à propos de ce que j’avais vu à Redon : cette abolition de tout sens, le goût pour la violence et le morbide qui l’accompagne, me semblent la marque d’esprits résignés au déclin et à la soumission. Mais cette soumission n’est pas assumée. Elle est si profonde qu’elle n’est même plus consciente, qu’elle se prend même pour de la révolte et un refus confus du « système » ! Le premier symptôme de cette soumission est une incapacité à concevoir l’avenir autrement qu’en y projetant ses cauchemars. Le second symptôme c’est l’incapacité à se donner une identité et la fermeture aux autres qui l’accompagne. L’exemple de cela parait dans le thème du borgne et la problématique du métissage tel qu’on pouvait le comprendre des dernières productions vues à Redon.

Cependant, ce que j’ai vu à Trier tranche avec cela. Les graffeurs de Trier sont des artistes, non seulement par la grande qualité esthétique de leur travail, mais surtout en ce qu’ils ont compris qu’une œuvre  d’art ne peut jamais être une pure et simple reproduction, qu’elle doit laisser de côté ce qui serait extérieur ou indifférent à l’expression du contenu, qu’elle doit plutôt composer l’œuvre en y faisant se rejoindre des réalités diverses concourant à un même sens. Tout cela sans tomber dans l’excès inverse et n’être plus que simple représentation allégorique ou à visée didactique ou propagandiste. Il doit toujours y avoir dans une œuvre d’art tout à la fois une incomplétude et un excès de sens du message. Il doit être laissé à l’interprétation une part d’obscurité ou d’énigme. 

Les œuvres présentées à Trier réussissent très imparfaitement cette difficile conciliation. Certaines sont à la limite du didactique. En particulier celle-ci :

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     Il s’agit de dénoncer les « idéologies » comme porteuses de mort. Un squelette personnifiant la mort tend un biscuit à la façon des « petits Lu » sur lequel est écrit « idéology ». Des bombes tombent sur une terre dévastée. Elles sont marquées de sigles comme une croix chrétienne, le symbole du dollar et celui de l’euro. En bas, sont des pierres tombales. Sur l’une figure un livre symbolisant la culture. Une autre est décorée de la balance représentant la justice et sur une troisième est gravé un cœur qui représente l’amour ou la fraternité. Les autres portent des noms qu’on suppose être ceux des auteurs de l’œuvre (qui pour une fois ne seraient pas anonymes).

Le message est lourdement asséné donc et il n’en est que plus contestable. D’abord le dollar et l’euro ne sont pas seulement des complexes d’idées mais sont des puissances bien réelles. Quant au christianisme il ne peut se réduire non plus à une idéologie. Il est très divers et surtout, si l’on pense aux Églises catholique et orthodoxe, il faut rappeler que ce sont les institutions les plus anciennes au monde. Elles ont survécu à la fin de l’empire romain et la chute de Constantinople. Ce sont des forces bien réelles. L’Église catholique en particulier est représentée dans quasiment toutes les institutions internationales. Elle n’a pas de divisions selon une boutade célèbre attribuée à Staline mais elle n’en est pas moins une force considérable.

Bref, cette dénonciation des « idéologies » est un peu courte. Elle ignore que toute forme de société, toute organisation institutionnelle, s’accompagne de production d’idées et de représentations. Surtout, elle ne voit pas, (et c’est un grand tort !), que l’idéologie la plus naïve est celle qui s’ignore : c’est celle même des auteurs !

Le refus des idéologies verse en général dans l’idéologie individualiste dans sa forme la plus navrante. C’est la très actuelle tendance au « cocooning » et son cortège de sentimentalisme béat.

Deux œuvres illustrent parfaitement cette tendance. Elles nous présentent les rêves roses et bleus et deux jeunes femmes. Voici la première :

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On voit donc une jeune femme rêveuse. Elle porte sur l’épaule la chouette, l’oiseau devin qui voit l’avenir. Cet avenir n’a pas encore de forme mais il a la couleur du bleu et de l’espoir, la couleur des rêves sentimentaux (ces rêves sont bien sentimentaux, comme le confirme une discrète mention écrite : mantra love). Seulement, le doute plane sur cet avenir. C’est ce que dit une seconde œuvre que voici :

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 Les rêves ne sont plus bleus cette fois mais roses ou rouges. La jeune femme n’est plus rêveuse mais semble alarmée. Elle a un geste de défense.  L’avenir est plus incertain. Il est menacé. Cela parait dans quelques détails.

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L’aigle, l’oiseau de proie vole vers les oiseaux de paradis. Il a remplacé le hiboux, l’oiseau devin.

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Les tatouages sur le bras de la jeune femme montrent un monde disparu : des squelettes de dinosaures. Le monde est menacé et l’avenir sombre. C’est le thème du déclin qui revient après la condamnation des « idéologies » et la prise de conscience de l’inanité du rêve sentimental qui devait les remplacer.

La dernière œuvre est alors la plus lucide. Sa signature le dit : elle est signée « les caliméros ».

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Il n’aurait guère été possible d’en dire grand chose sans cette signature. Elle représente, on suppose, un œil qui perce derrière l’habituel graphisme dépourvu de sens ou au sens aboli. C’est l’idéologie pessimiste et soumise qui revient en force après l’échec du rêve sentimental. C’est toujours la même vision sombre et incapable de projets (à cette différence près que les auteurs sont conscients de leur nihilisme. Ils le revendiquent comme une marque de lucidité). Hélas !! Hélas !!

L’exposition Pierre Bonnard au musée d’Orsay (mes impressions)

image 1L’exposition Pierre Bonnard au Musée d’Orsay est à visiter, pourvu qu’on supporte la foule des béats. Pour attirer ce public innombrable, Bonnard est parfait. Il est si on peut dire de la bonne période (né en 1867 – mort en 1947), il est en rupture avec l’impressionnisme ou le symbolisme mais juste ce qu’il faut. Loin des révolutions picturales comme le cubisme, le fauvisme ou le futurisme, loin des grands mouvements de pensée comme le surréalisme.

Sa première manière s’inspire à la fois de Gauguin et de l’estampe japonaise. Il tient de Gauguin le goût et l’art de faire se rencontrer les taches ou les aplats de couleurs vives et de l’estampe japonaise à la fois les thèmes, les supports (comme les paravents) et la composition qui élimine la profondeur mais tisse un réseau de lignes et de courbes. Sa peinture est décorative. Elle ne semble se recommander d’une école (le nabi) que parce qu’un peintre qui se respecte (et qui veut être respecté) se devait à cette époque d’appartenir à une école – c’était le gage sans doute d’une réflexion esthétique.

Mais au fond Bonnard n’a jamais été un théoricien et immédiatement après sa période Nabi, cela se voit. Selon la présentation faite par l’exposition, il se serait rapproché d’Alfred Jarry et de la pataphysique mais cela sans en faire trop. L’humour chez lui est mesuré. Il passe inaperçu pour des yeux non avertis. Il se traduit selon le commentaire par la présence d’éléments incongrus et la présence d’objets ou de formes non identifiées. Ce genre d’humour n’est vraiment pas dérangeant. Il ne vise rien et ne trouble personne.

image 2Cet humour est d’ailleurs vite abandonné et le peintre se replie sur des sujets intimes – loin, dit le commentaire des théories et des sujets pompeux. Ses tableaux présentent des intérieurs tout à fait dans le style de l’époque (nous sommes à ce qu’on a appelé la Belle Époque). Les tables sont couvertes de nappes aux couleurs chaudes, éclairées soit par un soleil généreux mais indirect, soit par la lampe à pétrole. On y voit des tartes, une vaisselle décorée comme devaient en avoir toutes les familles un peu aisées. Les personnages sont en retrait, dans l’ombre, leurs traits (leur visage surtout), leur silhouette sont flous. Le commentaire parle d’impression d’enfermement, d’univers oppressant. Cela parait bien excessif pour des scènes d’une vie de famille à la fois simple et aisée. J’y ai vu surtout, mais je suis connu pour être mauvaise langue, une difficulté à peintre les visages, les mains et les chevelures.

Il est remarquable que la quasi-totalité des tableaux sont construits de telle façon que les sujets sont soit de biais, soit partiellement dans la pénombre, ou bien la tête penchée de telle manière que leur visage reste flou : leurs traits sont inexpressifs. Les autoportraits de Bonnard ne font pas exception. D’un de ceux-ci un commentaire dit qu’il fait voir un visage soucieux, angoissé ou tourmenté. Mais cela a-t-il été voulu ? Cela parait bien incertain ; il semble bien plutôt que ce soit accidentel, que ce soit l’effet d’une saisie trop approximative des traits. Un autre est appelé « le boxeur »; il allie des bruns tirant sur le jaune doré avec le brun foncé tirant sur le rouge d’un visage laissé dans l’ombre. Si le jeu de couleur est intéressant, le portrait lui-même n’exprime rien d’identifiable.

Il est remarquable aussi, qu’aucun des modèles de Bonnard ne semble vieillir, alors qu’il a peint sa compagne Marthe sur plus de trente ans. C’est toujours, dans toutes les situations, la même femme jeune, menue, à la poitrine bombée, à la peau claire et pleine de vie. Elle est toujours à sa toilette. Si j’en crois la biographie du peintre, il semble que cela ait été réellement une de ses occupations favorites.

Une série de tableaux représente Marthe à sa baignoire. Là aussi le commentaire me semble en faire beaucoup pour donner à ce sujet une certaine profondeur. On apprend que lorsque le peintre a épousé sa compagne, en août 1926, sa maitresse s’est suicidée –elle se serait noyée. Les scènes de bain, pourtant bien bourgeoises, illuminées par la lumière d’été, auraient quelques rapports avec cette tragédie.

image 3Ce qui frappe chez Bonnard, bien au contraire, c’est combien il semble avoir été étranger à toute préoccupation qu’elle soit personnelle ou sociale. Sa vie ne semble avoir été qu’une suite de villégiatures – à la campagne, dans le midi – au Cannet, à Grasse, à Saint-Tropez. Voilà un homme qui a vécu une des périodes les plus sombres : une enfance dans la région parisienne juste après la commune, dans une France vaincue et amputée. Il a connu la guerre 14, la montée et la victoire du fascisme et du nazisme, la révolution d’octobre, le front populaire, la guerre du Rif, la guerre d’Espagne. Mais rien de cela ne semble l’avoir concerné. Il n’y a dans sa peinture aucune trace du temps, ni du temps dans son passage (avec le vieillissement), ni du temps avec ses événements (ses tragédies). Rien n’a dérangé son hédonisme petit bourgeois. C’est à tel point qu’en sortant de là je me disais : quel petit homme ! Quelle pauvre imagination. En voilà un qui cherche l’Arcadie au fond de son jardin, un aux lendemains qui chantent domestiques !Il manie admirablement les couleurs (les bleus et les roses), il sait à la perfection composer ses tableaux, mais il n’a rien à communiquer, rien à partager sinon son goût du farniente.

J’avais entendu à la radio, de la bouche du commissaire de l’exposition, que Bonnard était sans doute un des peintres les plus importants du 20ème siècle, peut-être l’égal pour l’inventivité de Picasso. Après la visite, je peux dire : non, vraiment ! C’est un peintre agréable, facile et qui ne dérange pas. Il a fait de jolis tableaux, des tableaux qui décorent bien, qui ne peuvent que plaire. Mais ne lui prêtons pas plus que cela.

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Fresques murales à Redon (3)

De nouveau de passage à Redon, j’ai constaté que les fresques murales, qui ornent les murs de la friche industrielle sur le quai Jean Bart, avaient été partiellement renouvelées. Elles le sont d’ailleurs dans deux sens : d’abord parce que d’anciennes fresques ont été recouvertes, puis parce que les motifs ont changés. Les nouvelles fresques sont des portraits – ce qui me parait particulièrement intéressant. Réussir un portrait sur une surface verticale avec les bombes à peinture exige  certainement un vrai talent. Mais plus fondamentalement le portrait, qu’il soit d’une personnalité connue, d’un inconnu ou qu’il soit imaginaire, révèle plus que tout autre motif la relation de son auteur à la fois aux autres et à lui-même.

De ce point de vue, les portraits faits à Redon sont remarquables. J’y vois deux thèmes dominants : celui du métissage et celui du borgne. J’avais déjà remarqué lors de mon dernier passage que les artistes avaient une prédilection pour les sujets borgnes. Cela se confirme et ne peut manquer d’interroger. Le borgne est celui qui ne voit que d’un oeil, celui à qui toute une partie du monde échappe. Il semble bien que ce que ne voient pas ces borgnes c’est la beauté du monde. Ceux-là ne semblent voir que la noirceur et au moins un commentaire semble le confirmer.SAMSUNG DIGITAL CAMERAOn a là une espèce de Christ borgne, dont l’œil droit est mort et dont l’œil gauche, d’un bleu délavé, dit la lassitude désabusée. Pour ce Christ, il n’y a rien dans le monde à sauver. La beauté elle-même ne mérite que l’injure. Dans la tradition chrétienne, ce sont les bourreaux qui injurient le Christ, ici c’est le Christ qui renie un monde où même le beau ne mérite qu’injure.SAMSUNG DIGITAL CAMERASemble-t-il du même auteur nous avons ce visage, non pas exactement borgne mais dont un seul œil est vivant : c’est celui d’une jeune femme qu’on imagine belle, heureuse et vaillante, mais dont tout le reste du visage et sans doute du corps est recouvert d’une lèpre noire. L’œil droit, noir et hagard, dit la stupeur et l’horreur. C’est un œil de zombie métis qui ne voit rien.SAMSUNG DIGITAL CAMERA  Celui-ci n’a même pas l’œil clair de la jeune femme qui fait face à la vie. C’est bien un œil de femme mais au regard dur, celui d’une femme qui est dans le rejet du monde et des autres. Une nouvelle fois, comme je l’avais remarqué, il s’agit d’une métisse. Je ne saurais dire comment il faut comprendre cela. Est-ce que le métissage produirait des êtres en révolte à qui le monde est odieux ?

SAMSUNG DIGITAL CAMERA Voilà encore une métisse. Son attitude, (elle allume une cigarette ou un joint ?), la détourne du monde. Elle a des traits qui expriment une dureté et peut-être une violence peu contenue.

SAMSUNG DIGITAL CAMERACelui-ci exprime en clair le regret dont ne sait quel passé. Il semble que ceux qui ont fait ces portraits ne puissent pas se projeter dans un avenir. Il y a ici sous-jacent le thème de la régression qui dominait dans le premières fresques que j’ai commentées dans mon premier article.

SAMSUNG DIGITAL CAMERA Ce dernier portrait confirme ce refus du monde et cette fuite devant l’avenir. Nous avons ici un aveugle dont l’espèce d’auréole fait penser à un de ces moines bouddhistes dont toute l’ambition est d’arriver au néant.

Que dire face à cela ? Sinon recommander, comme dans mon précédent article, face à ce monde, l’attitude du pratiquant des sports combat : les yeux portés en avant, le regard clair et assuré, l’attitude de force et de confiance. Secouez-vous donc les artistes de Redon !!

Un histrion postmoderne : David Bowie

image 1Les chanteurs se sont longtemps présentés comme des gens du peuple. Ils en disaient les joies, les peines et les souffrances. Habillés comme eux, avec leur accent, ils chantaient les amours difficiles, les espérances souvent vaines. Quelques-uns, peu nombreux, jouaient les princes mais le plus souvent exotiques (de Rio, de Mexico, d’Amérique), d’autres jouaient les mauvais garçons, les gangsters comme Sinatra. Certains comme Maurice Chevalier savaient mélanger tous les registres.

Avec les années 60, cela a changé. L’influence américaine s’était imposée comme dans tous les arts dans le sillage du plan Marshall avec ses rythmes binaires fortement marqués.  L’âge a effacé la position de classe. Le chanteur a revendiqué sa jeunesse. Il était « l’idole des jeunes », il avait un surnom d’enfant comme cloclo. Sa chevelure, son déhanché, sa voix trop claire, presque frêle disait son jeune âge. Il s’est mis à chanter les amours débutantes, les rencontres et surprises-parties de la nouvelle génération. Néanmoins, ce chanteur restait malgré lui un homme ou une femme du peuple. Il faisait son service militaire comme Elvis ou comme Johny. Mais, en France, il était d’un peuple soumis (ou qu’on voulait soumettre) : il copiait servilement les airs venus d’outre atlantique. Quelques fois même, il se risquait à l’anglais. L’originalité restait limitée.

Seulement la jeunesse ne dure pas. Il a fallu en rajouter. D’abord les chanteuses ont été de plus en jeunes : des adolescentes et des demoiselles des années 60 comme Sheila, France Gall ou Françoise Hardy, on est passé plus tard aux très jeunes, de plus en jeunes, comme Vanessa Paradis, Elsa ou Melody. Elles chantaient « ce garçon pour lequel mon cœur frissonne » et autres bluettes charmantes. Les plus âgées ont survécu grâce à la surenchère : plus sexy, de plus en plus provocantes, de plus en plus déshabillées ; jusqu’à ce que Madonna lance sa petite culotte dans le public. De la culotte elle est passée au sein, sans parvenir à freiner la descente. En matière de jeunesse aussi la limite a été rapidement atteinte, on en est arrivé au bébé mais il n’y avait plus rien au-delà !

Très tôt, comme dans les autres arts, pour exister il a fallu transgresser. Il ne s’agissait plus ni de classe, ni d’âge, mais d’individualité singulière. La transgression a d’abord été très sage. Les Beatles avaient les cheveux longs ! Quelle affaire ! Ils avaient une conscience sociale (bien inoffensive naturellement). Ils sont même allés à Moscou ! Là aussi quelle affaire ! Mais en esthétique ils reprenaient les courants en vogue : psychédélique, influence indoue, mouvement Hippie. Rapidement d’autres sont allés plus loin : des rythmes plus heurtés, des vociférations plus abruptes. On laissait voir sa violence, ses perversions, ses délires. Ceux-là allaient en Jamaïque. Certains, comme Jimmy Hendrix, faisaient la promotion de la drogue plus qu’ils luttaient contre la guerre du Vietnam. Mais ils se sont rapidement heurtés à la dure réalité. Du festival de Woodstock on est vite passé à celui d’Altamont. La transgression s’est muée en gesticulation : Jimmy Hendrix, encore lui, mordait sa guitare, la faisait couiner, la fracassait ou y mettait le feu. Mais l’effet s’est vite épuisé (1).

image 2La rupture s’est amorcée dans le courant des années 70. David Bowie en est l’emblème. Il ne s’agissait plus d’être mais de s’inventer et se réinventer sans cesse. Pas de message, du fantasme. L’innovation ne projette pas un avenir, elle en finit avec tout futur. Elle est décadente. Elle avorte. Le chanteur annonce sa fin (sa dernière tournée) dès son commencement. Son futur est apocalyptique. Il est Halloween Jack, il s’autodétruit. Il est paranoïaque, mégalomane, mystique. Il sombre dans le glauque pour renaître. Il n’est plus tout à fait un homme, c’est un extraterrestre. Il est d’ailleurs ou plutôt de nulle part. Son monde a sombré. Son élégance glacée dit son vide intérieur. Il se désincarne. Il n’a plus de conscience, il est plus fou encore que nazi. Puis, il cherche une impossible rédemption, un refuge, mais aucun temple ne peut l’accueillir. Son délire se fait abscons mais au fond il se plie aux lois du commerce, au nouvel esprit du capitalisme. L’innovation devient la recherche du produit qui se vend. L’artiste subit les aléas du marché, la concurrence effrénée, la surenchère, l’obsolescence programmée. Son costume laisse de plus en plus voir le bourgeois, l’homme d’affaires. Il exploite son mythe. Il se lance dans la finance : il se titrise même. Dans le même temps, il fait son retour à la religion. Il est austère et pratique la charité. A sa manière c’est un born-again. Il colle aux canons du néo conservatisme. C’est peut-être ce qui vaut à David Bowie une exposition mondiale. Du néo conservatisme, il adopte la nouvelle frontière : l’abolition de la différence des sexes. La « libération » par l’homosexualité. Le voilà donc bisexuel. Son public a du mal à suivre, alors il se rétracte et ne sait plus qui il est. Il n’avait pas compris que la promotion de l’homosexualité est, pour le néo conservatisme, un produit d’exportation, ce n’est pas fait pour le marché intérieur. De toute façon, il est complètement distancé quand se présente sur le marché un homme/femme à barbe, bêlant ou bêlante comme on voudra !

Cet éclairage était nécessaire pour bien comprendre l’exposition qu’on peut voir à Paris dans un lieu nouveau : la philharmonie. Elle s’ouvre avec un extrait de la République de Platon (mais oui !) : je le cite de mémoire « qui porte atteinte aux formes de la musique porte atteinte aux lois de la Cité ». N’y voyez pas une fantaisie. Cela est certainement très réfléchi et donne la clé de l’exposition – mais peut-être à l’inverse de ce que voulaient les organisateurs. La lecture première (celle voulue sans doute) dit que David Bowie a bouleversé les canons de la musique populaire et, faisant cela, il aurait contribué au bouleversement social. Mais ce que Platon ne pouvait pas anticiper et que n’avaient pas imaginé les organisateurs, c’est qu’il faut sans doute inverser les choses. Il allait de soi pour Platon que la société voulait préserver ses structures, assurer sa cohésion, fusionner et accorder ses citoyens. Notre société au contraire veut briser ses structures pour faire de chacun une monade autonome, jetée dans la gueule du grand automate qu’est le marché. Alors l’atteinte aux formes de la musique n’est plus qu’un moyen. On subvertit les normes esthétiques pour mieux saper les normes sociales.

Tout de suite cela peut se vérifier. L’exposition est une invitation à la conception postmoderne de la liberté : une liberté d’indifférence, qui n’est pas une liberté de choisir (choisir le mieux pour soi ou les siens) mais une liberté de ne pas choisir. (Le non-dit de ce message c’est que le marché choisira pour vous !) C’est une autre version du « lâcher prise » préconisé par l’autre produit culturel à la mode : le film et le livre cinquante nuances de Grey (voir mon article du 11/02). Cette liberté offerte se résume dans le message prêté à David Bowie : « soyez libre d’être différent, d’être qui vous voulez ». Vous pouvez être glam, rock, funck, soul, disco ou electro. L’offre est riche ; vous pouvez prendre dans le rayon du bas comme dans celui du haut. Il y en a pour tout le monde. Mais cela exige la dissolution des identités. C’est la seconde facette du postmodernisme : en finir avec l’attachement aux liens sur laquelle une personnalité se construit : la classe, la communauté, le sexe. David Bowie s’est inventé en oubliant le contexte historique et social de l’Angleterre d’après-guerre qui l’a vu naitre. Il est anglais mais va emprunter son nom à un « héros » de la conquête de l’ouest : James Bowie. Il s’agit d’un aventurier passé de la traite négrière au génocide et qui a goûté aussi de la piraterie. Lui-même devait son nom à son talent pour manier le couteau, le Bowie Knife. Bref : tout un programme !

David Bowie se contente, quant à lui, de passer d’une identité à l’autre et d’une mode à l’autre, avec l’ambition d’être toujours un peu en avance. Il choisit aussi son genre ; ou plutôt, et mieux encore, il se refuse à choisir son genre. On retrouve ici « l’identité de genre » que certains voudraient qu’on puisse endosser à son gré. L’exposition fait de lui un « transgenre » – qu’on sait être le héros post moderne par excellence. Cela est particulièrement bien illustré par une vidéo. On y voit David Bowie qui chante. Puis voilà que s’avance une femme, vêtue assez bourgeoisement (tailleur, chemisier et riche collier), d’un geste large elle retire sa perruque. Du revers de la main, elle essuie son rouge à lèvre qui s’étale sur sa joue : c’est Bowie qui apparait : elle n’était qu’un de ses avatars. Mais il n’est lui-même qu’un fantôme blanc, un visage vide et souillé. Il chante, puis c’est une deuxième femme qui s’avance et la scène recommence. Puis c’est une troisième. Ainsi se déconstruit sans cesse un personnage toujours vide. La déconstruction de l’identité se répète sans rien dire, sans rien signifier que le vide du geste et l’absence de tout sens.

David Bowie est un homme « aux mille visages ». Il est d’abord, et tour à tour, Major Tom, Ziggy Stardust, Aladdin Sane ou Halloween Jack. Tout ce qu’on voudra mais pas un enfant de la classe populaire du sud de Londres. Deleuze nous aurait dit que c’est un nomade des villes. C’est son itinéraire, ou plutôt son errance, que l’exposition retrace. Le mot revient sans cesse et il est typique des normes postmodernes : nous sommes invités à voir en Bowie « un artiste hors-normes ». Être hors normes c’est, par excellence, l’excellence postmoderne !

Aussi, comme l’aurait préconisé Deleuze, l’exposition évite la chronologie. Sa narration est « temporelle et falsifiante » c’est-à-dire qu’elle mêle les époques, les lieux, et procède plutôt par thématiques. Ce que la sortie de l’exposition résume en présentant une galerie de portraits de l’artiste, pris à différentes époques : les multiples facettes sous lesquelles se cache une forme vide (non pas une personne mais personne !).

image 3L’exposition présente son héros en caméléon emprunteur. On apprend qu’il pratiquait la méthode du Cut-up : une version simplifiée du cadavre exquis qui consiste en collages hétéroclites. En gros, on prend, on découpe, on colle et puis on voit ce que cela donne. La particularité, c’est que cela devient chez Bowie un style de vie et que cela s’accompagne de l’illusion d’être unique. Il s’agit de mener sa vie avec des vies empruntées. Cela suppose un corps androgyne qui change selon comme on l’habille. C’est aussi la préfiguration de ce que réalisent de nos jours les jeux vidéo qui permettent d’emprunter des « avatars » et de visiter des « mondes » autant qu’on voudra pourvu qu’on accepte de ne pas être soi-même (dans le monde virtuel vous pourrez tout trouver sauf vous-mêmes). Évidemment, on peut présenter la chose de façon savante. Cela l’habille mieux. Ainsi, j’ai pu lire : « Intellectuellement ambitieux et vivace, il a multiplié les relations intertextuelles, les références – souvent façon « name dropping » – les représentations réflexives et méta-musicales au sein de ses chansons et disques ». Un petit tour sur Wikipedia suffit pour dégonfler la baudruche. On y lit que le name dropping (littéralement « lâcher de noms ») est une figure de style qui consiste à citer des noms connus, notamment de personnes, d’institutions ou de marques commerciales pour tenter d’impressionner ses interlocuteurs. En gros donc, c’est un procédé de bonimenteur, un truc pour mieux vendre. Cela est illustré dans l’exposition par un curieux « tableau des éléments » qui reprend la classification périodique des éléments de Mendeleiev en associant au symbole de chaque élément une source d’inspiration de Bowie ayant les mêmes initiales !

L’exposition invite le visiteur au fétichisme mais c’est le travers commun à genre d’hommage. Elle présente toutes sortes d’objets : manuscrits raturés, dessins, photos, pochettes de disque, vidéos, costumes etc. Chacun selon son goût ou son humeur peut s’attarder devant ce qui a le plus retenu son attention ; chacun procède ainsi à son propre cut-up et se construit un personnage qui sera pour lui David Bowie. De la même façon qu’en secouant un kaléidoscope on peut faire apparaitre un arrangement nouveau, on peut passer d’une salle à l’autre pour constituer un David Bowie à sa façon. C’est un peu aussi le principe d’organisation des supermarchés.

Bien-sûr, là aussi on peut présenter ce personnage en supermarché de façon très savante. C’est ainsi que j’ai lu : « David Robert Jones, un personnage contradictoire. Timide et extraverti. Commun et lointain. Jouant les stars et intimant chacun à entrer dans la danse. Creusant en lui pour révéler ce qui le transcende. Cherchant l’autre, le divin en son humble humanité. Travaillant avec méthode et laissant le hasard présider à l’élaboration de certaines de ses compositions. Trouvant sa touche très personnelle dans le refus – apparent – de la figure répétitive. Critiquant ce qui le fascine ». Je cite cela car j’admire sincèrement cette capacité à transformer l’éclectisme et la contradiction en richesse !

Voilà donc une exposition qu’il faut visiter. Si vous avez l’œil ouvert, elle vous en dira beaucoup sur notre époque, bien plus qu’elle ne le croit ou l’aurait voulu !

1 – Le chanteur populaire ou le chanteur incarnant la jeunesse n’ont, évidemment, pas totalement disparu. Il reste bien-sûr des chanteurs populaires mais qui ne sont pas mis en valeur comme par le passé. Surtout, un renversement s’est produit. Le chanteur populaire n’est plus le chantre de sa classe. Le rap présente la classe travailleuse (ou plutôt de plus souvent chômeuse et oisive) en classe dangereuse. Le chanteur participe à la stigmatisation de ceux qu’il prétend représenter. A l’entendre son monde est celui de la violence, des prisons, de la délinquance et des trafics. Il vomit la société comme le faisait avant lui la musique Punk.

Une forme nouvelle de musique jeune est représentée par le mouvement Hip Hop. Cette culture réduit la musique et la danse à une suite de gesticulations vide de sens. C’est ce qui lui permet de s’adapter partout dans le monde. Elle oppose dans des « battle » des danseurs qui s’imitent l’un l’autre et multiplient les prouesses techniques sans jamais rien exprimer ni vouloir exprimer quoi que ce soit sinon se mettre en valeur pour leur souplesse et leur endurance.

Art contemporain et impérialisme

image 1En exposant un urinoir comme une œuvre d’art, Marcel Duchamp a voulu montrer que c’est le cadre institutionnel de la présentation qui fait l’œuvre d’art. On dit qu’il a agi ainsi par dépit parce que son tableau « nu descendant l’escalier » avait été refusé par le Salon des Indépendants à Paris. Peu importe ! La preuve est éclatante puisque le Salon des Indépendants de New-York expose l’urinoir : Marcel Duchamp est le directeur et un des membres fondateur du salon. Est œuvre d’art ce que lui et ses pairs intronisent comme tel. Duchamp récidive ainsi ce qu’il avait tenté avec un porte-bouteille et une roue de vélo. Comme se transformait en or tout ce que touchait le roi Midas, tout ce qu’il touche devient œuvre d’art.

J’ai même lu quelque part que ce ne serait pas Duchamp qui aurait trouvé l’urinoir. Il lui aurait été envoyé par une artiste qui voulait se payer sa tête. Décidément rétif aux vexations, il aurait retourné l’attaque en présentant « l’œuvre » comme de son cru. L’affaire se corse encore un peu quand on sait que l’urinoir en question a été perdu mais que la légende autour de cette affaire a obligé à s’en procurer un autre, puis comme tous les musées le voulait, on s’en est procuré un deuxième, puis un troisième. Personne ne peut dire aujourd’hui combien il existe d’urinoirs supposés intronisés œuvre d’art !

Tout cela devrait prêter à rire. Eh bien non ! C’est une affaire majeure parce c’est ce geste qui pose les prémisses de l’art contemporain. Comme le jeune coucou jette du nid les compagnons qu’il y trouve, l’art contemporain commence par assassiner l’art moderne. Et Duchamp était le mieux qualifié pour accomplir ce forfait. Il est installé aux États-Unis mais il vient d’Europe, de Paris même qui, avec son quartier Montparnasse, est la Mecque de l’art moderne et le haut lieu de son marché. Les États-Unis voudraient adjoindre l’hégémonie culturelle à la domination économique à laquelle ils aspirent. Ils doivent disqualifier Paris pour qualifier New-York, ils doivent invalider ce qui se fait à Paris pour mettre en avant ce qui se fait à New-York. Un transfuge est l’agent idéal pour une telle opération.

image 2Dans la guerre des classes, il n’en va pas autrement. La classe dominante doit disqualifier la classe dominée. Il lui faut montrer qu’elle est méprisable, socialement incapable, que c’est une classe dangereuse. Mais le mépris de classe passe mal…. Sauf quand il est le produit de la classe dominée elle-même. C’est le rôle actuel joué par le Rap. On présente comme de grands artistes des personnages qui éructent leur mépris d’eux-mêmes sur des rythmes binaires d’une pauvreté sidérante. A les entendre, la délinquance, la violence sont leur univers. Il est question de trafic et de prison. Ils sont ainsi les meilleurs agents de leur propre stigmatisation. Ils sont la preuve vivante que les banlieues sont des zones de non-droit et leurs habitants des paumés qu’il faut contenir ! Et cela marche d’autant mieux que d’autres se chargent de souiller l’environnement avec leurs « tags ». On ne trouvera nulle part de meilleur instrument pour détruire quelque chose que celui qui en est le produit.

Donc, il fallait un Duchamp pour invalider tout ce qu’avait produit l’art moderne dans le renouvellement de l’esthétique, dans les recherches formelles, dans l’exploration de nouvelles formes, de nouveaux champs de signification, dans l’utilisation de nouveaux matériaux et dans l’interrogation de l’art sur lui-même. Tout cela est invalidé d’un coup par un geste que toute une cohorte de gens intéressés se charge de magnifier et de répéter à l’infini. Quelle profondeur de vue et de réflexion ! Quelle réfutation bien argumentée et solidement fondée vraiment !

Comment ne pas voir combien il est inouï qu’un geste aussi pauvre que celui d’exhiber un urinoir en soutenant que c’est une œuvre d’art puisse être l’objet cent ans plus tard d’encore autant de commentaires laudateurs. Comme on en a jamais fini avec la démonstration que le communisme est la pire chose au monde, on en finit pas de démontrer que l’art européen est fini et que le temps est venu de « l’art contemporain » c’est-à-dire de la domination culturelle des États-Unis.

Il se trouve toujours en Europe quelqu’un pour prêter son concours au travail d’invalidation de l’art. Ainsi, nous avons vu dernièrement, parmi je ne sais combien d’autres, le plasticien Bertrand Lavier venir nous dire qu’une pierre posée sur un frigo peut être considérée comme une œuvre d’art. Car « On ne peut pas nier que c’est une sculpture. Il s’agit bien d’un objet posé sur un socle. Ça répond précisément à la définition élémentaire de ce qu’est une sculpture ». J’imagine le commentaire au stylo rouge qu’aurait valu une affirmation aussi bête dans la copie d’un lycéen du temps où j’avais à disserter sur des questions aussi difficiles que celle de l’œuvre d’art : je me souviens d’avoir rendu une copie plus que médiocre sur la question « le cinéma est-il un art ou une industrie ? ». Il me semble tout de même que j’étais allé un peu plus loin que la réponse : le cinéma est un art car il montre des images.

Pourquoi ne rit-on pas au nez de ce Bertrand Lavier ? Parce que le monde de l’art l’intronise comme « artiste plasticien » et qu’il est européen. Encore une fois, il faut un européen pour attaquer les bases de l’art européen et faire place nette pour les « plasticiens » venus d’outre atlantique comme Koons ou MacCarthy, qu’on nous sert aujourd’hui comme ce qui se fait de plus novateur en matière d’art contemporain. Ils dominent le marché de l’art, leurs œuvres sont titrisées pour être fourguées aux musées aux frais du contribuable.

image 3Mais revenons à cette affaire d’urinoir. Il ne suffit pas de vouloir invalider l’art moderne, encore faut-il le remplacer par quelque chose. C’est la phase décisive de l’opération et il a fallu l’abaissement et la ruine de l’Europe après la deuxième guerre mondiale pour la réaliser.

Dans les pays d’Europe de l’ouest, le communisme est prégnant même s’il n’est pas dominant. Il convient d’extirper la menace en menant une bataille sur tous les fronts. Il faut mener « bataille pour conquérir l’esprit des hommes ». En 1947, le gouvernement des États-Unis impulse la création d’un « congrès pour la liberté de la culture », qui sera chargé d’un programme culturel qui va durer vingt ans.

Dans le domaine des arts plastiques, il faut un artiste qui fasse pièce aux productions européennes. C’est Jackson Pollock et son « expressionnisme abstrait » qui vont être le fer de lance de l’attaque et c’est New-York qui sera la nouvelle Mecque de l’art. Ici, je donne la parole à Samuel Zarka et son « art contemporain : le concept » auxquels je dois toute ma science. Je me permets seulement d’inclure, entre crochets, quelques indications pour faciliter la lecture. Samuel Zarka est hélas un auteur parfois inutilement abscons : « L’industrie a financé l’érection de l’institution culturelle [le MoMA]. Cette étymologie [comprendre cette origine] détermine l’implication de la culture dans la guerre [économique et hégémonique]. A la déstructuration du commerce des galeries françaises à New-York fait suite la reconstitution d’un réseau tenu par de nouveaux marchands locaux. La promulgation de l’expressionnisme abstrait entraine une épuration esthétique dans les galeries, à commencer par les plus importantes. Les artistes produisant des pièces manifestement marquées par l’influence européenne sont révoqués par les galeristes. Les marchands fraichement installés, Leo Castelli notamment, s’intègrent au soutien logistique des expressionnistes. Le peintre Robert Motherwell propose une théorie de l’art états-unien. Pollock est mis en exergue aussi bien dans les revues de la haute bourgeoisie que dans les journaux à grands tirages. La presse relève et commente la « force » et la « spontanéité » de son style et de celui de ses pairs. Leur commune prédilection pour le « non-fini » par oppositions aux « finitions parisiennes ». Des prix sont remis, des colloques organisés. La production expressionniste passe l’Atlantique. Les expositions tournent » (1).

Tout cela aboutit à la mise en place de tout un ensemble institutionnel fait de galeries, de revues, de critiques, de marchands qui ensemble font de l’art un marché. Ce marché s’internationalise avec la création des foires internationales dont la première se tient à Bâle en 1971. Cela nécessite aussi évidemment une intense bataille idéologique qui est toujours en cours mais qu’aide dans un premier temps le plan Marshall. L’Europe réagit. En France se développe l’abstraction géométrique (Vasarely), puis l’abstraction lyrique et le tachisme. Les États-Unis y opposent l’action painting qui complète l’expressionisme abstrait. C’est le critique d’art Clement Greenberg qui développe l’armature théorique. On passe par la peinture chromatique ou quasi chromatique (Klein, Soulages). Vient le temps des coups de force, les États-Unis sont à l’attaque : hyperréalisme, Fluxus. Il faut submerger d’innovations: happenings, mail art, eat art, TV Bra for Living Sculpture. Mais le coup décisif qui emporte tout c’est le Pop Art. L’alliance de l’art et du capitalisme us est définitivement scellée. Le Pop Art rapproche l’art de la publicité, invente la production en série et la reproduction à l’identique de l’existant (présentée comme une parodie et une reprise du ready made). Le thème de la « critique de la société de consommation » l’inscrit parfaitement dans l’air du temps. La contre-attaque de l’Arte Povera italien échoue rapidement. L’innovation délire, bafouille, déborde, se perd dans le n’importe quoi, mais l’hégémonie de « l’art contemporain » est désormais assurée. Nous avons l’Art Minimal, le Land Art, l’Art conceptuel, le Body Art et les performances. Pour survivre il faut transgresser ; c’est ce à quoi on assiste aujourd’hui.

Même si on continue à vouloir le tuer complétement, l’art moderne européen est totalement subverti, renversé, écrasé, fini ! Mais cela se fait au prix d’un élitisme qui écarte le vulgaire, décidément incapable de suivre. Nous avons un art des masses et un art de l’élite, un art ségrégatif, mondain, liée à la haute finance internationalisée. Celui-là seul est réputé créatif, il est sophistiqué et cérébral. C’est un art autoréférentiel qui manie des signes mais dont le sens ne concerne qu’un entre-soi et ne peut pas être explicité réellement (tout comme la valeur des « produits dérivés » et surtout leur composition n’est accessible qu’à ceux qui les produisent et savent en tirer de substantiels profits).   Selon Alain Troyas et Valérie Arrault (du narcissisme de l’art contemporain – éditions l’échappée) aujourd’hui  tout est possible pour l’art contemporain mais  il n’en a pas moins un contenu  qui est celui de l’idéologie dominante : « Ce que fait l’art dit contemporain en qualifiant tout et n’importe quoi d’artistique – une tache, une boîte de conserve, un corps sanguinolent, des excréments –  est une négation radicale des codes et des règles, de la tradition et des critères de jugement qui, pourtant, imprègnent la plupart des consciences. Délivré des idéaux humanistes et de leur dimension progressiste, cet art épouse le projet du libéralisme libertaire, celui d’une classe sociale dominante, et non celui de tous. Celui d’un monde vide, où règnent le cynisme, l’opportunisme et l’égoïsme. Les pratiques artistiques qui y sont valorisées visent à bouleverser les comportements et les mentalités dans la jubilation d’une régression narcissique qui transgresse les interdits nécessaires à la construction de soi et à la vie en société. Tous les préceptes civilisationnels sont devenus des objets phobiques et des entraves insupportables à une création adepte de la subjectivité, du relativisme, de la spontanéité et de la jouissance. »  

A l’opposé nous avons un autre art, un art pour les masses qui s’en tient au ressenti à ce qui « plait bien » ! Dans ses meilleures productions, c’est un art du beau, un art des « beaux-arts » dont la forme la plus populaire est l’impressionnisme. La contradiction est maximale : c’est une espèce de situation révolutionnaire. L’art conceptuel s’en rend compte et fait le choix de rejeter le producteur hors de l’art. On peut désormais faire réaliser son « œuvre » par quelqu’un d’autre (à qui est dénié toute capacité créative) ou même s’en tenir au concept. En art comme dans la société, la classe ouvrière est réputée avoir disparu; elle est niée pour être mieux contenue.

Mais attention au retour du refoulé : face à la tendance à faire de l’art un absolu, à le placer en valeur transcendante indépendante de l’histoire politique ou sociale, ou à le réduire à la transgression qui en fait l’arme des luttes sociétales, parcellaires, loin de l’expression des travailleurs comme classe, le moment est venu de tenter un coup. La provocation serait de réveiller le « réalisme socialiste » c’est-à-dire un art qui ne fait pas de la créativité de l’artiste l’expression de son « génie » mais en fait l’expression de sa société, de son peuple et de sa classe, et se met à leur service. Qui oserait risquer une grande exposition d’art soviétique créerait sans doute la surprise. Ce qui est réputé le pire, ce qu’on voudrait définitivement in-montrable pourrait bien se révéler le meilleur. En voici un aperçu. 050 RUSSIAN 001image 5image 7image 4

 

1- le professeur d’esthétique à Paris 1 Marc Jimenez dit quelque chose de semblable dans « la querelle de l’art contemporain » (Gallimard édition folio page 193) : « tandis que l’Europe peine à se relever de ses ruines, ressassant des problèmatiques esthétiques quelque peu obsolètes du genre ‘l’abstraction est-elle oui ou non un académisme ?’, les États-Unis s’emploient résolument et activement à une conquête culturelle et artistique sans précédent dans leur histoire. »  Il ajoute (page 198) : « L’écriture esthétique de l’art américain ne va pas tarder. Ses présupposés sont déjà formulés dans leurs grandes lignes. Certes, ils sont de nature artistique : il s’agit de promouvoir une certaine idée du modernisme, en l’occurrence l’expressionnisme abstrait — style américain par excellence. Mais ils sont également idéologiques, et relèvent d’une stratégie artistique et culturelle délibérément mise au point par le pouvoir américain. Celui-ci n’exigeait-il pas, par exemple, dès le début des années 50, l’instauration d’un ‘plan Marshall dans le domaine des idées.’

C’est ainsi que l’historien du pop art, Henry Geldzhaler, ami d’Andy Warhol, peut déclarer en toute franchise : ‘Nous avons soigneusement préparé et reconstruit l’Europe à notre image depuis 1945, de sorte que deux tendances de l’iconographie américaine, Kline, Pollock et De Kooning d’un côté, les artistes pop de l’autre, deviennent compréhensibles à l’étranger.’

Aveu sans ambiguïté mais surprenant si l’on sait que les artistes du pop art entendent précisément réagir contre ce nouvel académisme officiel qu’est devenu l’expressionnisme abstrait. Mais qu’importe ! La théorie esthétique qui tend à dominer progressivement au cours des années 60 aux États-Unis s’élabore indifféremment et stratégiquement à partir d’expériences artistiques diamétralement opposées, voire antagonistes. »

Voir aussi le livre de Guilbaut (S), Comment New-York vola l’idée d’art moderne (1983), trad. fr., Nîmes, Editions Jacqueline Chambon, coll. Rayon Art, 1988

Jeff Koons : artiste et philosophe

image 1Je vous fais ici bénéficier des idées philosophiques du plus grand artiste vivant (Jeff Koons) telles que j’ai pu m’en imprégner en regardant la chaîne culturelle ARTE – écoutez, buvez-les et allez en paix :

Jeff Koons nous dit que son art est « sexy et que c’est ce qui fait sa force ». (Il omet de préciser la nature de cette force mais qu’importe une force est toujours positive puisqu’elle est le contraire d’une faiblesse). Alors donc pas de problème pour lui. S’il y a problème ce ne peut être que de votre fait, « ce qui pose problème c’est la résistance qu’on oppose à ses œuvres » (autrement dit : si vous n’aimez pas cela c’est votre affaire, c’est que vous avez un problème, vous êtes un refoulé : allez donc voir ailleurs et laissez le faire ses affaires comme il l’entend).

Il a fait de sa sexualité une œuvre d’art. Si cela vous scandalise c’est que vous n’êtes pas à la hauteur : «en s’affranchissant de la honte et de la peur on peut accéder à un plus haut niveau de spiritualité ». L’invocation de la « spiritualité » est ici symptomatique. Elle révèle un transgresseur qui la joue petits bras et s’abrite derrière de hautes visées. Tout cela est bien inutile aujourd’hui à Paris. Nous avons l’exposition sur Sade qui déjà répétait à la fin de 18ème siècle les atteintes aux bonnes mœurs avec l’application d’un ouvrier à la chaîne. Nous avons eu la grotesque affaire du plug anal déguisé en sapin, avec tout son cortège d’art pipi-caca (1). Cela n’intéresse plus grand monde dans un pays abreuvé de pornographie. Ce qui distingue Koons ici, c’est son insistance à s’excuser. Par l’exhibition, il s’agit tient-il à dire, de faire passer une idée fondamentale : «L’idée de fond était l’acceptation de soi ».

Cette acceptation de soi est un peu la négation des autres mais Jeff Koons ne semble pas le voir. Dans son atelier/entreprise il emploie des travailleurs salariés qu’il traite comme des instruments. Ils sont ses outils et il l’avoue sans la moindre gêne. Le produit de leur travail ne leur appartient pas plus que n’appartient à l’ouvrier ce que son usine produit. Ils exécutent des tâches parcellaires dont le moindre détail leur est commandé par leur artiste de patron. Toute ressemblance avec l’organisation capitaliste du travail serait-elle fortuite ? Comme serait fortuite la ressemblance de la désinvolture avec laquelle Koons s’empare des œuvres du passé pour les mettre à son service avec le pillage colonial. S’enrichir au dépend d’autrui ne pose pas de problème quand seul compte l’égo : «On peut créer des liens avec Manet, avec Vélasquez et par là même changer notre être». C’est vrai, on s’enrichit au contact des œuvres du passé, mais diront les mauvaises langues la petite nuance est que Koons s’enrichit capitalistement plus que culturellement.

Mais venons-en au cœur de cette philosophie et écoutons le maître : « Voilà le message philosophique que je souhaite faire passer : … tout va bien dans ce monde, tout est là et tout va bien ».

On peut dire du monde ce qu’il dit de ses œuvres : « C’est parfait, tout est parfait ».

Renonçons à tout conditionnement, ne nous laissons pas définir, vive la subjectivité inconditionnée ! car : « Il n’y a pas de règles. Tout ce qui nous arrive dans la vie, nous l’abordons chacun à notre façon ». Chômeurs, précaires, exploités de tous les pays, prenez donc la vie du bon côté.

Mais ne croyez pas que monsieur Koons n’a pas de culture, bien au contraire : Mickey, Donald, Popeye, la panthère rose, voilà sa culture. Voilà ce qui l’a formé. D’ailleurs « c’est notre histoire culturelle à tous ». Nous devons l’accepter et même nous y complaire car « Quand les gens ne sont pas connectés à leur passé, ils n’ont pas d’histoire sur laquelle se construire». Là je dis : c’est pas faux !

Vous êtes scandalisés par cette suffisance toute américaine et bien on vous dit : merde !

Cela est dit par un client, milliardaire grec (pas du tout gêné d’étaler sa fortune acquise aux dépens d’un peuple ruiné). Ecoutons-le : « si les gens trouvent cela provocateur alors tant pis… Derrière cette œuvre il y a tout un processus et beaucoup d’argent… Koons a compris qu’être commercial, c’est être populaire ».

Écoutons aussi l’opulent marchand d’art qui valorise les œuvres de l’artiste : «Les gens qui ne font pas partie du monde de l’art, qui ne sont pas impliqués dans le marché de l’art, trouvent peut-être cela (ces prix exorbitants) bizarre ou extravagant mais après tout qu’importe : leur opinion ne m’intéresse pas vraiment au fond ».

Et le mot de la fin : «C’est comme cela que la société fonctionne »

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1 – Ce qui m’a choqué dans cette affaire de plug anal ce n’est pas la transgression (plus minable que choquante) ni la violence qui y a répondu. Non, c’est l’empressement servile de nos édiles et princes des médias (qui avaient jugé utile l’édification de ce machin) à assurer  « l’art » bafoué de leur soutien. La violence de la situation des sans abris semble moins les émouvoir. On a même vu, dans ce monde parfait, un vieux curé de 90 ans être condamné pour avoir hébergé des sans-papiers sans que cela les trouble le moins du monde.

Nous sommes dans le monde du « Tout est permis ». Les artistes lui donnent un vernis culturel, les intellectuels en font une idée nouvelle, les publicitaires l’exploitent de façon éhontée.

On va peut-être me dire que je suis un pauvre refoulé, qu’il ne faut pas être «coincé » comme ça. Qu’importe ! Oui, je l’avoue j’en ai marre parfois de toutes ces invites à la débauche dont la ficelle est tellement grosse qu’on se sent offensé non pas par ce qui est dit ou présenté mais par le fait qu’on puisse nous croire assez niais pour mordre à l’hameçon. Face à tout cela je ne peux que répéter ce que j’avais écrit il y a longtemps déjà à propos d’une publicité qui fleurissait sur nos murs. Je me permets de me citer

image 1« Vous avez peut-être vu comme moi ces affiches dans le métro qui proclament « tout est permis ». Il s’agit de vendre des maillots de bain très bon marché et de jolies petites robes qui sont présentées par des filles mignonnes et toutes simples. Je me suis demandé, en voyant cela, qui pouvait bien avoir eu l’idée accoler une proclamation amorale et l’image d’une jeune femme saine et gaie. S’agit-il d’aider à négliger le fait que des prix si bas ne sont possibles qu’avec des salaires de misère ? Ce serait très maladroit.

S’agit-il de faire moderne, dans le style « femme actuelle » ? Cela pourrait-il aller jusqu’à vouloir flatter celles qui ne voudraient surtout pas qu’on pense qu’elles sont rigides ou vieux-jeu et qui se donnent des airs d’affranchies. Ce serait vraiment excessif car on peut bien être moderne et tolérant sans être amoral. Reste l’hypothèse, que je retiens finalement, que cela ne fait que refléter l’idéologie des faiseurs de publicité. On aurait affaire à un Nietzschéisme de beaux parleurs.

image 3Nietzsche se réclamait de Voltaire et des Lumières. Mais Voltaire attaquait le christianisme en tant qu’il était le soutien de la féodalité alors que Nietzsche l’attaque parce, qu’à ses yeux, il est, par sa morale, le précurseur du socialisme et l’expression du « ressentiment des esclaves ». Les « secondes Lumières » qu’il voudrait incarner sont l’expression d’une élite décadente et réactionnaire. Elles doivent « montrer la voie aux natures dominantes », auxquelles « tout est permis ». Ce Nietzschéisme est la version libertarienne du « jouissons sans entrave » des anarchistes soixante-huitards, l’expression d’un égoïsme et d’un cynisme fascisants : une idéologie qui sied très bien aux faiseurs de mode».

Fresques murales à Redon (2)

En repassant par Redon récemment, j’ai eu la surprise de constater que les fresques murales que j’avais critiquées dans mon article du 22 mai avaient été recouvertes. Mais je ne crie pas victoire car je sais n’y être pour rien d’autant que les nouvelles peintures, même si elles sont moins nettement régressives et violentes, sont encore nettement marquées par une vision irrationaliste et mortifère du monde.

 

Sur un fond noir évoquant les espaces infinis et glacés qui effrayaient Pascal, un chaos de signes forme des groupes hostiles qui s’affrontent. Au sommet, là où pouvait se voir le symbole religieux du triangle et de l’œil divin, c’est une sorte de capsule spatiale qui contemple un monde voué à la violence destructrice. L’emploi de couleurs claires atténue l’effet mais certaines formes blanches évoquent des fantômes. La destruction veut se croire une fête.

 

La mort se fait séductrice. Elle invite au néant. Comment comprendre cela dans un moment où la guerre nous encercle de toutes parts et de toujours plus près. Elle est à nos portes à Gaza et en Ukraine. Nous sommes invités à l’admirer sous la forme du « sacrifice » des poilus par les commémorations de la « grande guerre ».

 

Dans cette autre peinture, l’impression est celle d’une architecture détruite. On croit voir une citadelle éclatée, des pierres disjointes emportées toutes ensemble dans une sorte de panique. Encore une fois les couleurs vives contrastent avec le dessin.

Là c’est un duel, une charge meurtrière qui est représentée. Des mots ou plutôt un fatras de signes qui furent alphabétiques se jettent l’un sur l’autre. L’idée même de sens semble abolie. Il ne s’agit ni de dire, ni d’exprimer mais d’exulter au spectacle de la destruction. C’est tantôt une sorte de pingouin ennemi de Batman, tantôt la mort mécanisée qui préside à la lutte sans merci de l’insensé contre le délirant. Toute raison a disparu dans la joie malsaine de détruire.

 

C’est sous la forme d’un sinistre pitre que la mort et la folie triomphent.

 

Là où l’image a un sens clair, c’est pour représenter notre avenir sous la forme du ricanement de la mort. Rien de positif ne parait pouvoir s’envisager. Dans ce monde, c’est le pire qui parait certain !

Il restait des anciennes peintures, une jolie fresque représentant un oiseau mouche volant au-dessus d’une fleur. Un mot qui semble être « fame » l’a piétinée. Un oiseau (à droite) est pris dans le mot et broyé par ses formes tranchantes.

Je remarque l’usage exclusif de l’anglais (ou plutôt de quelques mots anglais) comme on peut le constater aussi dans nos banlieues. C’est la marque de la soumission aux idées dominantes et souvent même de la servilité : on copie ce qui se fait dans les villes américaines. La graphie est la même, les thèmes et surtout ces signatures qui masquent leurs auteurs au lieu de les faire connaitre se retrouvent partout. On lit « mother crew ». Il s’agit parait-il d’un collectif. Je doute qu’il soit composé d’anglophones. Il est juste composé de quelques personnes dont je ne nie pas le talent mais qui me paraissent manquer de créativité et d’originalité. Sans doute n’ont-elles pas pleinement conscience du contenu du message qu’elles répètent et qui correspond à ce qu’on leur a vanté comme art de la rue.

Je ne constate donc aucune véritable amélioration du contenu des fresques, juste une atténuation de leur aspect par l’emploi de couleurs claires. J’en appelle par conséquent aux habitants de Redon : est-ce là votre vision du monde ? Est-ce comme cela que vous voyez l’avenir ? Est-ce un tel avenir qui vous tente ? Pourquoi ne demandez-vous pas aux artistes à qui vous confiez vos murs d’exprimer vos désirs de bonheur et d’émancipation, vos protestations contre la dévastation des paysages, des environnements, contre la violence et la régression.

 

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J’ajoute cette image aujourd’hui 20 septembre. Cette fresque daterait de 2003. Elle est d’un des auteurs des dernières apparues (signée « la rouille »). Je remarque que, comme les plus récentes, elle est accompagnée d’un texte en anglais. Ce qui a toujours le don de m’agacer. Pourquoi s’exprimer en anglais quand on est francophone et qu’on s’adresse à un public presque exclusivement francophone ? J’y vois la marque d’une servilité devant la « culture de la rue américaine », la manifestation d’un suivisme qui s’incline devant tout ce qui vient de « l’empire ».

Quant au contenu, il est on ne peut plus clair : il exprime le mépris de soi. Une femme, sa maîtresse, invective « la rouille » pour lui dire combien il est indigne d’être aimé, quel dégoût il inspire et combien elle se dégoûte elle-même de son attachement à lui (parler d’amour parait peu approprié). L’image suivante est un auto-portrait du dit « la rouille ». Le voici :

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On voit là un homme négligé, presque halluciné, qui manifeste son addiction au tabac et le peu d’estime qu’il se voue. Ce qui m’a frappé, c’est son regard. Celui d’un homme horrifié mais surtout borgne. Ce « la rouille » ne voit les choses que d’un œil : celui qui voit la noirceur, la décadence, la ruine d’un monde et que ce spectacle laisse impuissant, replié sans doute sur la recherche de quelques paradis artificiels. Peut-être même cet œil se complait-il au spectacle de l’horreur.

Ne voir les choses que d’un œil, c’est faire l’aveu de son insuffisance ! L’œil qui manque est le gauche, c’est symptomatique et bien en phase avec cette résignation, ce mépris de soi et cette allégeance servile à « l’empire ».

Ce thème du borgne se retrouve sur une autre fresque que voici :

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L’auteur est sans doute un autre artiste que « la rouille » car le style est complétement différent. On voit à gauche deux personnages. Le plus à gauche symbolise l’homme des addictions : au tabac, au téléphone portable. L’autre semble représenter les tenants du « principe de précaution ». Il veut arracher sa cigarette au premier (lequel répond par l’insulte). Mais que tient dans sa main le tenant d’une vie saine ? Une pilule. Il représente donc une autre forme d’auto-empoisonnement : celui par la médecine.

Les deux personnages sont borgnes : chacun ne voit les choses que d’un œil : pour le premier, c’est le droit, pour l’autre, c’est le gauche. L’auteur se tient donc hors de l’affaire, il renvoie les deux belligérants à leur vision tronquée. A droite, une sorte de vers sort d’un cadre. Peut-être représente-t-il la maladie qui est seule à triompher d’une lutte de borgnes.

Si mon interprétation est correcte, cette fresque me parait donc intéressante.

Fresques murales à Redon

La ville de Redon a demandé à des artistes graffeurs de décorer les murs d’anciens bâtiments industriels. Le but était sans doute d’éviter que des « amateurs » les souillent avec des graffitis hideux. Le pire a été évité, mais ne serait-ce pas au risque d’un autre pire ?

Une dame de la ville, qui les trouvait belles, m’a dit que le thème proposé était : « le singe et l’homme ». Je lui faisais remarquer que le passage du singe à l’homme était une évolution, alors que les fresques, dont je reconnais la qualité artistique, donnent l’image d’une régression – tout l’inverse donc.

L’image est celle de la violence destructrice, de la fureur, du carnage et de l’extermination. L’inverse d’un progrès, la vision la plus noire qu’on puisse avoir de l’avenir. Je ne parlerais pas de bestialité car ce serait faire injure aux bêtes.

Nous sommes face à un chaos, un monde qui a perdu tout sens : on voit quelque chose comme les lettres d’un mot qui se seraient jetées les unes contre les autres en une mêlée furieuse. C’est l’image d’un langage qui refuse tout sens.

Ce langage répand la mort sous la forme des cafards qui sortent de la bouche d’un monstre écumant de rage, il se répand sur des restes de signes en décomposition.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La vision est nettement technophobe. Non pas réactionnaire, ce qui supposerait la nostalgie d’un passé bienheureux. Elle est plutôt obscurantiste et fasciste. Mais il est probable que les artistes eux-mêmes ne voyaient pas ce que leurs œuvres véhiculaient.

Emportés par une imagination phobique, ils représentent une nature cauchemardesque et destructrice. Inutile de demander à la mairie de faire disparaitre ces horreurs, ne sont-elles pas la face cachée de son orientation idéologique ?