De l’Allemagne

image 1

Voilà longtemps que je n’avais pas visité une exposition à Paris. Il faut trop d’attente pour ne faire qu’apercevoir quelques œuvres par-dessus les épaules de toutes sortes de bavards et de pédants. C’est frustrant, horripilant et pousse au meurtre. J’espérais qu’une exposition comme  « de l’Allemagne » attirerait moins les foules surtout à l’heure du déjeuner. Dans l’ensemble, cela s’est vérifié.

Mais cette exposition est difficile, en tout cas pour quelqu’un comme moi, qui ne sait quasiment rien de l’histoire culturelle allemande.  Peut-être les commissaires avaient-ils prévu le cas. Ils ont fait en sorte que l’on voit en entrant le célèbre tableau que nous avions tous dans nos manuels scolaires et qui représente Goethe dans la campagne italienne. Mais dès qu’on a franchi le seuil, s’en est fini des références familières. Nous voilà directement confrontés au mouvement artistique des « nazaréens ». Ces peintres du début du 19ème siècle rêvaient d’un retour au moyen-âge pour l’ambiance et à  Dürer pour l’esthétique, c’est-à-dire à un empire germanique d’avant la réforme et à un art minutieux et d’inspiration religieuse. Ils se sont exilés à Rome et convertis au Catholicisme. Leur peinture a bénéficié aussi de l’influence de l’école italienne de la renaissance, leurs thèmes viennent du Nouveau Testament et la mythologie grecque. Leur style se voulait « primitif ». Ne me demandez pas leurs noms, je les ai déjà oubliés mais je sais que grâce à internet et wikipédia je pourrais les retrouver sans peine.

La confrontation directe avec ce mouvement qui tenait à la fois de la secte religieuse et du courant artistique, nous met directement dans l’ambiance allemande : un pays morcelé, divisé, qui venait tout juste d’être bousculé par la fougue napoléonienne et ne savait ni comment s’unifier ni comment retrouver sa paisible vie provinciale d’avant l’occupation napoléonienne. Dans cette ambiance l’art, la littérature et la philosophie tenaient lieu de politique. Tout ce qui ne pouvait pas être accompli dans la réalité, l’était dans l’idéal et dans l’art. Cette atmosphère d’agitation cérébrale romantique et d’impuissance politique m’était déjà connue par la correspondance du jeune Marx. Elle l’irritait au plus haut point et il la fustigeait sous le thème du philistanisme.

Mais cette peinture pouvait bien être « philistine », elle n’en est pas moins d’une grande beauté.  Elle  permet de donner un contenu à l’opposition du dionysiaque et de l’apollinien dont je pensais qu’ils étaient une invention nietzschéenne. Il semble que ce ne soit pas le cas et que la tension entre ces deux régimes esthétiques, entre ces formes de vie, était déjà un thème de la sensibilité allemande dès le début du siècle.

L’exposition se poursuit par le second temps de l’évolution artistique en Allemagne avec l’exaltation du sentiment national à la fois dans le paysage et dans l’architecture. La cathédrale de Cologne est ainsi un thème pour magnifier le génie allemand. C’est la plus haute cathédrale d’Europe et j’ai appris que sa construction, qui avait été interrompue au moyen-âge, a été achevée dans le cadre de ce mouvement artistique. On comprend mieux en voyant les magnifiques représentations de cette cathédrale, l’importance singulière qu’avait pour Nietzsche la redécouverte du caractère « allemand » de la cathédrale de Strasbourg à l’occasion de l’occupation de l’Alsace par les troupes de Bismarck. Celui qui fustigeait les  allemands était lui-même allemand jusqu’à la moelle.image 2

Une autre chose apparait dans la peinture de paysage : c’est la volonté de dépasser l’opposition du beau et du sublime. Cette ambition n’a de sens qu’en référence à l’esthétique Kantienne. Elle est par conséquent, elle aussi, très allemande. Les peintres, dont j’ai également déjà oublié le nom, ont su combiner dans leur peinture une connaissance claire de la géologie et de la formation du paysage et un subjectivisme qui le recompose et le transfigure. Un thème majeur était celui des racines, de l’arbre poussant sur un tumulus, symbole d’une Allemagne régénérée en trouvant sa substance dans son passé lointain. Une autre façon d’exprimer la même aspiration se voit dans des tableaux dont les thèmes viennent du folklore et du conte. Le style en est encore une fois « primitif » c’est-à-dire qu’il affecte de traiter la perspective et les postures des personnages à la manière de la peinture du moyen-âge.

J’ai appris, en voulant voir ce qui s’écrivait autour de cette exposition, qu’elle donnait lieu à une polémique dénonçant son caractère tendancieux et réducteur. Elle reprendrait « tous les clichés du voisin sombre et romantico-dangereux ». Autrement dit, elle aurait cherché à prouver que le nazisme était le destin de l’Allemagne.

Pourtant, cette exposition fait bieimage 3n apparaitre une rupture avec l’art de 19ème siècle, romantique et réactionnaire, nationaliste et irrationaliste mais qui restait étranger à l’idée de violence, et à la haine aussi bien de soi que des autres. La rupture qui est mise en évidence est plutôt celle de la guerre quatorze. Après la guerre, la peinture représente la mort, les blessures, la douleur, la violence, la démence. Elle est volontairement déstructurée. Le contraste est absolu entre un tableau comme celui de la première salle représentant « Apollon parmi les bergers » et un tableau de la fin. Dans le premier, les corps sont sains et puissants, la peau est claire et pleine de vie. Dans le dernier les corps sont flasques et maladifs. Ils ont la peau terne, marquée, presque bleue. Les regards sont vides. La démence n’est pas loin. Le thème de l’enfer se répète et s’amplifie. Ce qui se montre, c’est bien une Allemagne déjà nazie comme celle qu’évoque un film comme « le ruban blanc ». Mais il y a la guerre entre la première Allemagne et celle-ci.

Shlomo Sand : comment j’ai cessé d’être juif.

image 2

De l’historien israélien Shlomo Sand j’avais déjà lu « comment le peuple juif fut inventé » dans lequel il réfutait l’idée d’une continuité historique d’un peuple juif. Il y démontrait ou plutôt il rappelait  que les juifs n’ont pas été forcés à l’exil après la destruction du temple de Jérusalem en 70. Non seulement il n’y a aucune trace historique d’un tel événement mais les hébreux étaient un peuple de paysans qu’il était rigoureusement impossible de déplacer avec les moyens de l’époque. Jusqu’au quatrième siècle le judaïsme était une religion prosélyte. Ce n’est qu’après le quatrième siècle que la pression du christianisme l’a forcé au repli et à se fermer. Il a subsisté sur les marges du monde chrétien : en Afrique du nord avec les Berbères et aussi, un peu plus tard, chez les Khazars dans le Caucase russe. Les Khazars seraient à l’origine des juifs slaves de l’Europe de l’Est. Les juifs de l’ouest étant quant à eux originaires d’Afrique du nord et d’Espagne.

Cela ne m’avait pas étonné. J’avais également lu en 2002 le livre d’Israël Finkelstein et Seil Asher Silberman « La Bible dévoilée » qui démontrait que la « sortie d’Egypte » était également une légende et que la Bible et l’invention du monothéisme avaient servi l’unification des royaumes juifs d’Israël et de Juda sous un seul roi, avec une seule religion et une seule capitale Jérusalem. Il n’existe aucune trace archéologique d’une conquête du pays de Canaan ni aucune mention Egyptienne de cette fuite d’Egypte en revanche les traces abondent à la fois dans la Bible et en archéologie du travail d’unification.

Dans son nouveau livre Shlomo Sand dit que les juifs sont un « grand mélange ». Il leur refuse le titre de peuple. On applique le mot peuple à des populations qui ont en commun des pratiques et des normes culturelles laïques (langue, nourriture, musique etc.). Or, les juifs n’ont en commun qu’une religion. L’idée d’une race juive est réfutée par la biologie  (elle est une invention de l’antisémitisme du 19ème siècle) ; celle de « traits juifs » est démentie par la simple observation. S’il n’y a ni peuple ni race juive, que reste-t-il et que sont devenus les juifs du premier siècle ? Voici ce qu’en disait Shlomo Sand dans un article du Monde Diplomatique de 2008 : « Une partie d’entre eux se convertit au christianisme au IVe siècle, tandis que la grande majorité se rallia à l’islam lors de la conquête arabe au VIIe siècle. La plupart des penseurs sionistes n’en ignoraient rien : ainsi, Yitzhak Ben Zvi, futur président de l’Etat d’Israël, tout comme David Ben Gourion, fondateur de l’Etat, l’ont-ils écrit jusqu’en 1929, année de la grande révolte palestinienne. Tous deux mentionnent à plusieurs reprises le fait que les paysans de Palestine sont les descendants des habitants de l’antique Judée ». Mais, attention, Shlomo Sand précise aussitôt que les palestiniens n’en constituent pas pour autant un peuple originaire. La population de l’Israël antique était déjà une population mélangée comme il arrive d’ailleurs à tout peuple colonisé et elle n’a cessé de se mélanger au cours des siècles.image 1

Shlomo Sand a donc démontré que le judaïsme n’est  rien d’autre qu’une civilisation religieuse qui s’est transmise à travers les âges. Ses bases sont le Talmud, le Midrash et la Thora. Il y un peuple israélien, une langue israélienne, il y a une littérature et un cinéma israélien. Il y une culture israélienne mais Il n’y a pas, en dehors de la religion, de culture commune à « la diaspora juive ».  Si cela pose problème, c’est qu’un peuple a une patrie tandis que les religions n’en ont pas et que Hébron, Bethléem, Jéricho, Jérusalem, qui sont l’Israël biblique, se trouvent en Cisjordanie tandis que Tel-Aviv ou Haïfa, qui sont dans l’Israël actuel, n’en étaient pas. Le sionisme était à son origine un mouvement de révolte contre l’aggravation des persécutions consécutives à la constitution des nationalités dans l’Europe du 19ème siècle. C’était un mouvement laïc qui avait besoin d’inventer un peuple mais qui organisait l’immigration vers l’Angleterre, la France ou les Etats-Unis plutôt que vers la Palestine. En devenant un mouvement religieux qui se fonde sur le mythe d’un peuple/race juif, pour asseoir ses prétentions sur la Cisjordanie, il a créé un Etat qui ne peut pas être une démocratie puisqu’il n’appartient pas à son peuple mais à un peuple fictif constitué de tous les juifs de la terre. Quiconque est reconnu juif peut prétendre à la citoyenneté israélienne tandis qu’un palestinien né et éduqué en Israël, parlant l’Hébreu, se la voit refusée. C’est cela que récuse Shlomo Sand car son statut de juif l’associe à une entreprise qu’il condamne tandis que lui est refusée une citoyenneté commune avec ses propres étudiants « arabes » de l’Université de Tel-Aviv.

Reste le ciment constitué par la persécution. Jean-Paul Sartre disait « c’est l’antisémite qui crée le juif ». Seulement si aujourd’hui Israël se définit comme un Etat communautaire, ethnocentrique, ce n’est pas face à une persécution antisémite, c’est, selon Shlomo Sand, pour exclure 25% de sa population. C’est pourquoi il demande que sur sa carte d’identité il soit mentionné « israélien » et non « juif ». Cela a été refusé par la Cour Suprême. En Israël on peut être déclaré juif, arabe ou druze mais on ne peut pas être seulement israélien. Ce qui est dérangeant là-dedans c’est que la Cour Suprême est d’accord avec les antisémites. On est juif parce qu’on est né de mère juive où que cela soit dans le monde tandis qu’un citoyen considéré comme arabe ne le sera jamais. On peut devenir chrétien, musulman ou bouddhiste mais on ne peut pas devenir juif. On peut cesser d’être chrétien, musulman ou bouddhiste mais on ne peut pas cesser d’être juif selon la loi israélienne.  C’est un problème pour tout démocrate mais plus encore pour un athée né de parents eux-mêmes athées.

image 3Shlomo Sand se sent solidaire des palestiniens qui sont persécutés mais pas de ceux qui en France ou aux Etats-Unis se revendiquent de la qualité de juif comme d’un capital symbolique de souffrance qui leur conférerait des droits. Ceux-là s’identifient avec Israël, qu’ils soutiennent quelle que soit sa politique, alors qu’ils ne connaissent ni la langue, ni la culture du pays et qu’ils ne connaissent pas l’histoire de ses habitants. Ils concourent à forger un mythe et instrumentalisent les génocides perpétrés par les nazis en voulant en faire une exclusivité juive. Ils favorisent le repli communautariste dans leur pays et contribuent à la fuite en avant de l’Etat d’Israël. Ils créent de nouvelles frontières quand il faudrait ouvrir toutes les frontières. C’est en cela, nous dit Shlomo Sand, que cette affaire concerne tout le monde.

Les dévots de la philosophie critique

image 3

Lors d’une conférence donnée récemment à la Sorbonne, la philosophe Isabelle Garo caractérisait ainsi les thèmes communs à Deleuze et Foucault et plus généralement à la philosophie critique contemporaine :

–          Critique de l’humanisme et du sujet

–          Critique de la rationalité et critique de la représentation

–          Dénonciation de la dialectique et anti-hégélianisme virulent

–          Théorisation du désir et de la sexualité

–          Montée des thématiques autogestionnaires et critique de l’Etat

–          Redéfinitions des exploités en tant qu’exclus

–          Promotion d’une analyse moléculaire de la politique ou d’une micro-politique allant de pair avec une critique généralisée de l’engagement classique ainsi qu’avec une critique des organisations politiques et syndicales

–          Esthétisation et sophistication croissante du discours philosophique

La seule énumération de ces thèmes, débarrassée de tout commentaire, sonne comme une critique ou comme une accusation. A  l’inverse, la présentation de thèses Deleuziennes ou Foucaldiennes sous la forme de citations des « maîtres » ou de leurs inspirateurs, fonctionne comme autant d’actes de dévotion. C’est ce qui m’apparait chaque fois que je prends connaissance des dernières productions de la page Facebook « Actualités de Gilles Deleuze ». Je ne peux m’empêcher d’être agacé quand je vois le nombre de gens qui applaudissent à ce qui ne m’inspire bien souvent rien d’autre qu’un haussement d’épaule.

Ainsi, cette citation de Nietzsche : « Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour lui-même est un esclave, qu’il soit d’ailleurs ce qu’il veut: politique, marchand, fonctionnaire, érudit ». Cela peut bien être signé d’un des plus grands noms de la philosophie, qu’est-ce donc d’autre qu’une ânerie doublée d’une insulte ! Et pourtant, il se trouve plus d’une vingtaine de lecteurs pour l’accompagner d’un « j’aime ». Je doute pourtant qu’ils soient tous libres de leur temps comme l’était le rentier Nietzsche (retraité à trente-cinq ans).

Ainsi du même auteur, cette énormité : « La notion de « Dieu » a été inventée comme antithèse de la vie – en elle se résume, en  une unité épouvantable, tout ce qui est nuisible, vénéneux, calomniateur, toute haine de la vie. La notion d' »au delà », de « monde-vrai » n’a été inventé que pour déprécier le seul monde qu’il y ait – pour ne plus conserver à notre réalité terrestre aucun but, aucune raison, aucune tâche ! La notion d' »âme », d' »esprit » et, en fin de compte, même d' »âme immortelle », a été inventée pour mépriser le corps, pour le rendre malade – « sacré » – pour apporter à toutes les choses qui méritent le sérieux dans la vie – les questions d’alimentation, de logement, de régime intellectuel, les soins à donner aux malades, la propreté, le temps qu’il fait – la plus épouvantable insouciance! Au lieu de la santé, le « salut de l’âme » – je veux dire une folie circulaire qui va des convulsions de la pénitence à l’hystérie de la rédemption! La notion de « péché » a été inventée en même temps que l’instrument de torture qui la complète, la notion de « libre arbitre », pour brouiller les instincts, pour faire de la méfiance à l’égard des instincts une seconde nature ». Bigre ! Quelle affaire et quelle révélation ! Je ne vois pas comment on peut prendre au sérieux une conception aussi unilatérale et anhistorique du monothéisme ni comment, sur de pareilles bases, on pourrait expliquer l’apparition, le développement et l’institutionnalisation du christianisme et toutes ses variantes comme, pour ne prendre que deux exemples, l’éthique du protestantisme, telle que l’a vu Max Weber, ou le Jansénisme. On ne peut guère prendre une telle idée pour autre chose que la manifestation d’une humeur haineuse, bien loin d’un « gai savoir ».

 Je ne dirai rien des image 2citations de Deleuze qui sont toutes trop longues pour être reprises ici mais qui ont en commun leur obscurité et l’apparente incongruité de leur argumentation. Un échantillon suffit ; par exemple : « Il n’y a pas de premier terme qui soit répété ; et même notre amour d’enfant pour la mère répète d’autres amours d’adultes à l’égard d’autres femmes, un peu comme le héros de la Recherche rejoue avec sa mère la passion de Swann pour Odette ». Je suis peut-être borné mais je ne comprends pas comment on peut dire en quelque sens que ce soit (sinon comme procédé romanesque) que l’amour de l’enfant pour sa mère répète (se modèle sur ?) les amours adultes puisqu’il en précède de loin l’expérience. Je comprends encore moins le « un peu » qui ramène là-dedans l’inépuisable « recherche du temps perdu ». Pour tout avouer je ne comprends pas du tout en quoi cela rend intelligible l’idée de départ qui est que « la mort n’a rien à voir avec un modèle matériel ».

 Passons plutôt à la dernière livraison du site qui consiste en une citation de Foucault. Je lis : « Chaque société a son régime de vérité, sa politique générale de la vérité: c’est-à-dire les types de discours qu’elle accueille et fait fonctionner comme vrais; les mécanismes et les instances qui permettent de distinguer les énoncés vrais ou faux, la manière dont on sanctionne les uns et les autres; les techniques et les procédures qui sont valorisées pour l’obtention de la vérité; le statut de ceux qui ont la charge de dire ce qui fonctionne comme vrai ». On est face à un exemple de critique de la rationalité et de la représentation que signalait Isabelle Garo. Comme il n’est rien dit qui puisse situer le contexte, il reste que Foucault semble vouloir ignorer qu’il y a des vérités qui s’imposent malgré les sociétés et leur « régime de vérité » et qui même les forcent à modifier ce régime. Et puis Foucault ne se voit-il pas lui-même comme un porteur de vérité. Ce seul fait aurait dû le conduire à pondérer son affirmation et certainement à la dialectiser. « L’infâme dialectique » ne s’évacue pas si facilement. Reste qu’encore une fois une vingtaine de personnes applaudissent et que j’en suis surpris, moi qui n’ai vu là qu’une thèse excessive et insuffisamment nuancée. Décidément, je m’étonne que les adeptes de la philosophie critique aient aussi peu d’esprit critique et qu’ils puissent ainsi se comporter comme des dévots.

Moeurs attaque

image 1Je disais dans mon précédent article que la théorie du genre diffusée à Paris 8 dans le cadre du « festival mœurs attaque » me paraissait relativement modérée. Je me vois obligé de revenir sur cette appréciation après avoir pris connaissance de la plaquette diffusée à cette occasion.

Il s’agit d’un petit cahier composé d’une dizaine de feuilles. Il est intitulé « c’est quoi mon genre ». Il se présente comme un écrit personnel, une sorte de confession. Celle qui l’a rédigé déclare vouloir se raconter « sans autre forme de justification ». Le premier article a pour titre « Ma vie est politique ». Il raconte les premiers pas dans la vie et plus particulièrement dans la vie sexuelle d’une jeune femme qui prend conscience que ce qu’elle vit n’est pas seulement personnel mais politique au sens de collectif et induit par ce qu’elle appelle « un système normatif » qu’elle résume ainsi : « domination masculine, patriarcat, rôles genrés ». Cette  prise de conscience n’est pas immédiate mais suit une psychothérapie inutile car, dit l’auteur : « elle n’a fait qu’ancrer, un peu plus en moi l’idée selon laquelle j’étais une « femme » et que je ne pourrais échapper à ce que l’on attendait généralement de ces dernières ». Cet échec est surmonté par la découverte de la pensée de Monique Wittig (dont on peut avoir un aperçu dans mes articles Facebook du 31/01 et 01/02 intitulés « l’offensive de la théorie du genre » 3 et 4) (repris le 01/06/2014). Par-là l’auteur passe donc de la découverte du genre, comme « sexe social » c’est-à-dire /comme construction culturelle et sociale, à la remise en cause globale des rôles sociaux sexués et des institutions qui leur sont liées comme « le couple ». Elle accède ainsi douloureusement à « l’idée de la non-exclusivité ». Elle apprend « à connaitre et à apprécier cette idée, synonyme à présent de liberté, d’autonomie et de non-enfermement ». Autrement dit après avoir diagnostiqué une domination déterminée socialement, elle n’en reste pas moins sur le plan de sa personne, de son vécu. A un problème, qu’elle déclare politique, elle propose une solution purement individuelle. Elle propose tout au plus de partager cette expérience, d’en discuter car ce serait le « seul et unique moyen de réellement mettre en œuvre un changement profond de nos manières d’être et de relationner ensemble« .

image 3

Tout cela donc est bien innocent et ne va pas bien loin. Cela n’exige aucune évolution du droit, aucune mise en œuvre d’une égalité dans le travail ou le partage du pouvoir, bref cela en reste à l’interpersonnel et au sociétal. Suit d’ailleurs un petit article, apparemment de la même main (si je puis dire), qui relate une expérience de masturbation. Je ne sais comment cela a été pensé mais cela fonctionne comme  l’auto-caricature de la solution apportée à la « domination masculine ». On peut même y voir un discret retour de l’idée que le sexe n’est tout de même pas que socialement construit sous la forme de l’évocation de « l’ordre impérieux et urgent de l’envie sexuelle » et de « l’appel urgent » de la chair !

Là où les choses prennent une autre tournure qui n’autorise plus le qualificatif de modéré, c’est dans l’article suivant, rédigé en anglais mais semble-t-il au moins cautionné par l’auteur. Ici ma technique de lecture par la fin est presque inutile tant la chose est énorme !

L’article se termine par trois propositions « to change the future of gender and sexuel definitions » : la première est de se passer de la sexualité reproductive en recourant au clonage ce qui rendrait inutile l’hétérosexualité. La seconde serait d’en finir avec les identités imposées en permettant à chacun de choisir une identité comme on se choisit un avatar dans le cybermonde. La troisième, considérée comme « on a more pragmatic level » consiste à changer notre langage (ce qui était effectivement une proposition et un essai de Monique Wittig).

Clairement, on est passé de la libération individuelle plus ou  moins fantasmée au pur délire. Cela rappelle les délires dans un tout autre registre des gauchistes (surtout des maoïstes) des années soixante-dix. Ils faisaient effectivement suivre leurs diatribes contre l’exploitation capitaliste d’appels au lynchage tantôt contre les organisations syndicales ouvrières ou étudiantes ou contre un malheureux notaire de province condamné selon eux par un prétendu tribunal populaire. Il s’agissait d’importer en France les méthodes et les excès de la révolution culturelle chinoise sur laquelle tous les fantasmes paraissaient permis.

image 2Après cela il parait presque inutile de remonter en arrière pour voir quel cheminement a pu aboutir à ces propositions tout autant et tout aussi heureusement destinées à rester sans effets que celles des maoïstes. Disons néanmoins pour être court que la découverte qui permet cet aboutissement consiste principalement à soutenir que le capitalisme, qui repose sur la propriété privée, s’est développé en réprimant les formes de sexualité alternative. Selon l’auteur c’est la nécessité de transmettre la propriété qui serait à l’origine de « l’hétérosexualité obligatoire ». Il importe peu ici que la propriété privée ait précédé de très loin le développement du capitalisme. Il suffit que cela justifie les tentatives de subvertir la dualité du genre (homme/femme ; masculin/féminin) en proposant une autre classification. On apprend qu’une penseuse de cette affaire (Anne Fausto-Sterling) propose une classification en cinq genres. Une autre fait mieux et propose « 343 shades of gender ».

Il ne me semble pas utile de remonter plus loin pour voir tous les glissements qui permettent d’aboutir à tout cela. Notons seulement le passage obligé par la négation pure et simple de la différence des sexes avec la reprise de la théorie de Monique Wittig selon laquelle « there are no « male » and no « female ». Those concepts are part of a whole ideology that she defines as the straight mind« . Ce qui est clair pour moi c’est que, comme dans les années soixante-dix avec le gauchisme, la jeunesse est plus que jamais invitée à aller voir ailleurs, à perdre ses forces et son énergie dans des combats dont la première vertu est de ne rien changer au niveau social (ce qui ne les empêchera pas de pouvoir être destructeurs pour certaines et certains au niveau de leur vie personnelle). La persévérance dans l’effort pour égarer la jeunesse éduquée me parait tout à fait admirable dans sa capacité à innover et à inventer de nouveaux délires, de nouvelles folies et de nouveaux jeux de dupes !

Les enjeux du genre (sur France Culture)

image 1 J’ai entendu samedi matin sur France Culture à 9h07, une émission intitulée « les enjeux du genre ». L’intérêt pour moi de cette émission est autant dans ce qui s’y est dit que dans ce qui, à mon sens, y a été manqué. L’émission, qu’on peut réécouter pendant un an, a duré 52 minutes. Mais je m’en tiendrais aux premières interventions qui fixent le problème.

Je les résume rapidement : Alain Finkielkraut a invité Eric Fassin (professeur à Paris 8) et Sylviane Agacinski (philosophe bien connue). Il présente le thème de l’émission : l’émergence du mot « genre » dont la fonction semble être de vouloir remplacer celui de sexe ;  ce que peut recouvrir cette « offensive linguistique ». En réponse, Eric Fassin situe le mot « genre » comme l’expression d’un deuxième moment dans le féminisme. Le premier moment est marqué par la parution du « deuxième sexe » de Simone de Beauvoir et sa célèbre thèse « on ne nait pas femme, on le devient » ; thèse qui met l’accent sur la féminité comme construction sociale. A partir de là, le deuxième moment opère, par l’introduction de mot genre, ce qu’Eric Fassin appelle « un déplacement de la question ». C’est l’opération effectuée par Judith Butler, opération à laquelle j’ai consacré plusieurs articles sur ma page Facebook  (http://www.facebook.com/michel.lemoine.90). Cette opération est présentée ici comme une critique et en introduisant un mot nouveau : « dénaturaliser ».

Loin de clarifier l’usage du mot « genre », l’idée de « dénaturalisation » le problématise. Eric Fassin dit cela très abruptement : « Dénaturaliser la différence des sexes à travers le mot genre, c’est ne pas être tout à fait sûr de savoir ce qu’on veut dire ». C’est poser une question et ouvrir un champ d’étude. C’est aussi reprendre la thèse de Jacques Derrida « il n’y a pas de nature, seulement des effets de nature : la dénaturalisation ou la naturalisation ».  
image 2

Sylviane Agacinski, à qui la parole est donnée à ce moment, éclaire un peu un problème qui risquerait de rester autrement très difficile pour l’auditeur. Elle le pose même, à mon sens, dans ses vrais termes : «  le problème qui est posé est de savoir s’il peut y avoir une dénaturalisation intégrale de la différence des sexes ». Elle estime que l’idée de dénaturalisation implique sans la reconnaitre « une dénégation de la réalité naturelle …. une occultation de notre être humain en tant qu’être vivant ». Elle ajoute à cela qu’avec Judith Butler et la queer theory  un nouveau déplacement se produit : « la notion de genre se déplace complétement »  Ce qu’elle recouvre : « n’est plus le sexe social masculin ou féminin, ce n’est plus l’écart entre le sexe et la femme ou l’homme socialisés, mais c’est l’écart entre la catégorie de sexe (homme femme, mâle femelle) et l’identité subjective définie par l’orientation sexuelle et la sexualité ». On passe donc d’une réalité à une autre à l’intérieur ou sous le couvert d’un mot dont le sens dévie.

C’est ici que je voudrais intervenir, car il me semble que Sylviane Agacinski manque quelque chose. Eric Fassin avait parlé de « déplacement de la question ». S Agacinski précise ou  lui oppose qu’il s’agit de « dénégation »  et d’une « occultation ». Dans un article du 4 septembre 2011, j’avais présenté cela comme une opération idéologique et c’est cette idée « d’opération idéologique » qui lui manque à cet instant.  Je disais que « Le propre d’une idéologie est d’être un discours ayant toutes les apparences de la simple vérité du seul fait qu’il se fonde sur un constat de faits en eux-mêmes simples et irrécusables ». J’expliquais que l’idéologie consistait ensuite à faire dévier le discours de telle façon que, soit le constat devenait dogme, soit il était occulté et nié par ses propres implications. C’est de cette deuxième opération dont il s’agit ici. Ses moyens sont précisément « le déplacement de la question » ou plus explicitement « l’occultation ». C’est l’adoption d’un vocabulaire dont la première vertu et d’en éviter ou d’en occulter un autre : ici, par exemple, l’emploi de mot « dénaturaliser » là où aurait pu être utilisé de façon positive un verbe comme « humaniser ». 

Certes, quand il peut reprendre la parole, Eric Fassin répond à la critique en soutenant que chez Judith Butler « il n’y a pas de déni ou de dénégation de la réalité biologique, mais une critique du biologisme » mais cette réponse signe un aveu car elle répond à côté. Par l’accusation de « biologisme », elle assigne à son interlocuteur le déplacement inverse à celui qu’elle défend. Ce déplacement inverse aurait consisté dans un enfermement dans le biologique et aurait été une dénégation de toute construction sociale autour du biologique. Or, c’est sur cette construction sociale que Sylviane Agacinski a insisté mais sans l’opposer à la réalité du sexe comme différence dans la génération.

image 3 L’idéologie se défend toujours ainsi : en assignant à ce qu’elle critique une position idéologique inverse à la sienne, en lui imputant des idées qui conviennent à sa critique et lui permettent de se conforter dans la position opposée. Ce qu’avais dit S. Agacinski était pourtant parfaitement explicite : « les relations sociales de sexes (entre les hommes et les femmes) ont eu des effets qui ont construit une féminité artificielle et une masculinité elle-même artificielle ». Elle maintenait ainsi ce qu’elle a appelé « l’écart » entre deux termes dont le « déplacement de la question » occulte le premier.

Mais, Sylviane Agacinski manque, à mon avis, une deuxième chose. Elle présente la différence des sexes comme «  transhistorique » et la construction sociale des sexes comme l’effet des « relations sociales de sexes ». La nuance peut sans doute paraitre ténue, mais j’aurais parlé ici de « rapport social de sexe ». Car ce qui est transhistorique et peut s’appliquer à la différence universelle des sexes ne peut être que, lui aussi, transhistorique. Une relation sociale se passe entre individus, elle est donc toujours historique. Les hommes et les femmes vivent ensemble ; leur vie est toujours historique. C’est le rapport social qui est transhistorique. Il met en tension deux groupes qui se constituent dans et par cette tension qui traverse la vie commune de ceux (des femmes et des hommes) qui en composent les pôles. Ici le groupe social précède et transcende l’individu. Chaque homme et chaque femme, nait et reçoit une éducation (subit un formatage) qui lui assigne sa place dans le rapport social. Chacun vit ses relations à l’autre à l’intérieur et sous la contrainte du rapport social et de son appartenance ainsi assignée au groupe soit des hommes, soit des femmes.  En introduisant la notion de « rapport social » on fait passer ici la question de l’individuel au collectif, du vécu au social. On évite de se voir opposer « l’identité subjective » qui n’apparait alors elle-même que comme socialement construite et donc toujours seconde, même quand elle se construit contre le groupe auquel elle se trouve assignée. En rappelant que le rapport hommes/femme est toujours d’abord un rapport social et que les rapports des hommes et des femmes sont vécus dans ce cadre qui les compose, on évite de se laisser enfermer dans la confrontation artificielle et idéologique entre le  biologique et le social et dans l’opposition polémique du «  biologisme » ou du « naturalisme » et d’un culturel construit subjectivement. La question centrale n’est plus alors de faire valoir l’inclination individuelle contre une « hétérosexualité obligatoire » encore moins de « lesbianiser » le monde comme on le lit chez Judith Butler, mais de faire évoluer le rapport social de sexe vers moins de tension, pour laisser plus de place à l’épanouissement et l’expression de chacune et de chacun; ce qui passe par une véritable égalité dans toutes les situations sociales.

Je voudrais juste pour finir, indiquer pour ceux qui s’étonneraient de la place que j’accorde à ces questions de genre, qu’elles sont centrales aujourd’hui dans le débat politique et les luttes idéologiques. Elles sont proposées à la jeunesse comme le nouveau domaine où elle est invitée à user ses aspirations militantes. Aux deux formes de la théorie du genre que détaille Sylviane Agacinski correspondent deux types d’actions actuellement en cours dans les universités. A Paris 8, l’affaire est celle de la campagne « Mœurs attaque » qui se positionne dans une forme relativement modérée de la théorie du genre. Cette campagne doit durer tout le mois de mars en ayant culminé avec la journée du 8 mars. Pour ce que j’ai pu en voir, elle semble avoir très peu d’échos.

Sciences po est comme à son habitude à la pointe de la théorie dominante. Elle organise sa « quatrième queer week ». Les queer sont « les personnes ne souhaitant pas se voir définies par leur sexe ou leurs pratiques sexuelles ». Ce qui invite à l’individualisme effréné et à la transgression gratuite. Le thème est celui de l’art défini comme un « Instrument de contestation [qui] offre à la théorie queer le moyen de se re-présenter, de se donner à voir et de questionner esthétiquement les normes dominantes ». C’est une invitation festive au déguisement et au jeu sur les « identités ». On pourrait croire que c’est gratuit si ce n’était pas organisé par l’Etablissement et si Sciences Po n’était pas un des premiers (le premier je crois) à s’être doté d’une chaire dédiée aux « Gender studies »; ce qui en fait un des principaux pôles de diffusion de cette nouvelle idéologie.

Lincoln

image 1 Dès le début, Marx avait compris que l’issue de la guerre de sécession aux USA passait par l’abolition de l’esclavage et que cet événement devait décider de l’avenir du monde pour les années à venir. « Selon moi, les plus grands événements du monde actuel sont, d’une part le mouvement américain des esclaves (…) et d’autre part le mouvement des (serfs) en Russie » avait-il écrit à Engels en 1860. Engels partageaient cette analyse et hasardait cette prédiction qui s’est vérifiée : « [l’issue de la guerre] décidera de l’avenir de toute l’Amérique pour des centaines d’années. Dès que sera brisé l’esclavage, cette principale entrave au développement politique et social des États-Unis, le pays prendra un essor qui lui assurera à brève échéance une toute autre place dans l’histoire universelle, et l’armée et la flotte nées de la guerre trouveront bientôt leur emploi».

image 2

En 1864, c’est au nom de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) que Marx exprime son soutien à Lincoln au moment de sa réélection. Il écrit : « Le cri de de guerre triomphal de votre réélection est : « Mort à l’esclavage ! ». Il voyait que Lincoln avait compris que l’abolition de l’esclavage n’était pas seulement affaire de justice et d’humanité mais qu’elle devait être faite quels qu’en soient les moyens car c’était la clef de l’avenir du pays.  Au-delà de la rhétorique religieuse dont Lincoln abusait, Marx percevait la justesse de sa ligne politique et approuvait son intelligence politique et sa capacité à trouver le juste moment dans la complexité des situations. L’image répandue de Marx est celle d’un doctrinaire. On méconnait son réalisme politique et l’importance qu’il accordait à ce qui pouvait apparaitre d’abord comme des avancées toutes relatives. C’est lui qui écrivait au sujet de la journée de dix heures conquise par les travailleurs anglais que cette modeste « magna carta » s’était faite par une mobilisation de classe et que cela valait plus, dans la situation, que ce qu’on pouvait obtenir en agitant « le pompeux catalogue des droits de l’homme ».

Le film de image 3Spielberg ne fait absolument pas référence à tout cela. Il omet de mentionner que l’industrie nord-américaine avait besoin, pour son développement, à la fois de main-d’œuvre et de débouchés à l’international, et que c’est là un des ressorts essentiels de la lutte du nord contre le système esclavagiste. Il rend compte, en revanche, de toute la complexité de la lutte politique et de ce qu’elle avait de psychologiquement éprouvant pour un homme qui vivait par ailleurs des drames personnels. Je mentionne  cette omission non comme un reproche mais comme un choix que justifie le langage cinématographique plus à l’aise dans le registre de l’émotion que dans celui de l’analyse du côté économique des choses. Le film de Spielberg dure 2h30, il n’aurait pas été possible sans le ressort constamment retendu de l’émotion. Il fait voir tous les compromis et mêmes toutes les compromissions qu’exigent une lutte indécise jusqu’au dernier instant, une lutte que seul un homme animé d’une conviction profonde pouvait mener. Il est clair que Lincoln voit plus loin et plus distinctement que tous ses contemporains (et en particulier que les membres de son propre cabinet) mais aussi qu’il comprend qu’il travaillerait en vain à essayer de leur ouvrir les yeux et l’esprit. Il les gagne à la fois par la séduction et la rouerie : sa capacité à renverser une situation en interrompant un débat confus par une histoire, une espèce de parabole, qui brise les résistances ou encore en laissant croire qu’il va agir dans un sens pour en imposer un autre au dernier moment. Lincoln est présenté au physique comme au moral comme un géant au milieu de nains ou comme un visionnaire parmi des esprits rompus aux calculs politiques mais incapables de penser au niveau de l’histoire. Au passage, madame Lincoln est réhabilitée : les seules analyses politiques un peu fines sont exprimées par sa bouche. Malgré sa maladie ou même sa folie, elle n’est pas une charge mais un soutien pour son mari car elle est peut-être la seule à le voir à la hauteur de son destin historique, la seule qui comprend vraiment l’enjeu de la lutte et sa complexité. Elle le soutien mais lutte en même temps contre elle-même comme il le fait d’ailleurs lui-même.

Geneviève Fraisse : à côté du genre

 Tout le monde coimage 1nnait la célèbre thèse de Simone de Beauvoir : « on ne nait pas femme, on le devient ». Mais se souvient-on que si elle commence ainsi le tome II de son essai « le Deuxième sexe », elle a commencé le premier par une autre affirmation tout aussi forte : « Si je veux me définir, je suis obligée d’abord de déclarer : je suis une femme ; cette vérité constitue le fond sur lequel s’enlèvera toute autre affirmation ». Bien-sûr, en reprenant ces deux déclarations, Geneviève Fraisse sait bien que Simone de Beauvoir continue par « un homme ne commence jamais par se poser comme un individu d’un certain sexe : qu’il soit homme cela va de soi » et qu’elle veut dire que l’homme considère que sa domination est naturelle. Seulement il y a quelque chose de plus immédiat qui va de soi ici pour l’homme comme pour la femme, c’est la différence des sexes.

Cette différence, qui allait de soi encore pour Simone de Beauvoir, devient problématique avec la théorie du genre. Que ce qui a été une évidence devienne un problème, c’est ce qui intéresse Geneviève Fraisse dans « à côté du genre ». Elle veut comprendre ce qu’implique  l’usage général du mot « genre ». Car : « utiliser « genre » est une façon de faire table rase de toute sortes de mots (sexe, différence sexuelle, différence des sexes, etc.) ». C’est une opération bien étrange que celle qui efface une différence affirmée depuis toujours alors même qu’on veut en discuter. Pour Simone de Beauvoir, les choses restaient claires. La féminité comme sexe social s’élevait sur le fait d’être femme (c’est-à-dire de sexe féminin). Si une greffe prend c’est qu’une « vérité constitue le fond » de l’opération. On ne greffe pas un noyer sur un cerisier ni un sexe sur un autre.  image 2

Geneviève Fraisse voit que l’idée de genre introduit l’historicité dans la compréhension de la réalité sociale de chaque sexe. Elle permet de distinguer le fait biologique naturel  de la construction sociale culturelle, comme le faisait déjà Simone de Beauvoir.  Mais une autre opération a lieu : « Dans un second temps, il fut possible de dissocier complétement les deux réalités et d’affirmer que le genre n’avait plus rien à voir avec  le sexe, que l’un et l’autre étaient produits et non pas donnés et que maintenir le lien, même contradictoire, entre le biologique et social impliquait encore un essentialisme préjudiciable. L’objectif était de libérer les identités individuelles et collectives de toute norme ». On trouve ici parfaitement résumées les thèses et l’opération initiée par Judith Butler et son mouvement.

Il y a bien derrière le choix du vocabulaire un problème que Geneviève Fraisse pose en ces termes : « cette décision officiellement méthodologique s’accompagne en fait de choix philosophiques : la négation de la différence sexuelle (voire de la sexualité ?) et le choix d’une animage 3alyse purement sociale ». On remet en question, l’opposition nature/culture par l’annulation d’un des termes. Ce qui se voudrait un acquis est une perte : « la perte de la représentation de la relation sexuelle, et du conflit inhérent au profit d’une abstraction volontariste ». Le conflit millénaire, inhérent au rapport social inégalitaire entre les sexes, appelle une lutte contre toutes les formes d’inégalités à commencer par celles dans le travail, dans le partage du pouvoir et l’organisation familiale. Il pose la question de la parité.  A cela se substitue une lutte en fait abstraite contre une production culturelle universelle, celle du patriarcat. Cette lutte refuse en fait la contradiction. Or, Geneviève Fraisse veut « habiter la contradiction » c’est-à-dire à la fois l’assumer et la dépasser. Elle pose à la fois la question de l’égalité et celle de la liberté. Elle reproche à la théorie du genre d’oublier le premier terme. Lors d’une interview, elle le dit clairement : « Dans le féminisme transatlantique « tendance », l’égalité est aux oubliettes. Surtout, les dominants choisissent toujours de faire qu’une question partielle devienne le tout. C’est pour masquer le dessin d’ensemble qu’ils prennent la partie pour le tout ». Il faut tenir ensemble les termes qu’on voudrait nous faire opposer : nature/culture – égalité/liberté. Le problème de la différence des sexes doit être posé dans sa globalité.

 

Françoise Héritier et la valence différentielle des sexes.

françoise_héritierLes problématiques de la différence et de l’égalité, qui sont au cœur des débats publics récents, peuvent-elles se clore ? On peut en douter si on lit l’ouvrage qu’a fait paraitre l’été dernier l’ethnologue et anthropologue Françoise Héritier. Selon elle : « Toute société ne pourrait être construite autrement que sur cet ensemble d’armatures étroitement soudées les unes aux autres que sont la prohibition de l’inceste, la répartition sexuelle des tâches, une forme légale ou reconnue d’union stable, et, […] la valence différentielle des sexes ».

Toute société se fonde sur la reconnaissance de différences complémentaires : la différence des sexes,  la succession des générations et  leur résultante, la distinction des lignages (la différence des sangs). Ces différences sont au fondement de la prohibition de l’inceste qui prohibe les relations sexuelles entre parents et enfants mais aussi à l’intérieur des fratries, les deux étant pris dans un sens élargi allant selon les sociétés d’une part, au-delà de la parenté directe, aux différentes formes de liens d’oncles et tantes à neveux et nièces  et d’autre part, au-delà de la fratrie directe, à des degrés assez divers de cousinages.

La différence première et fondamentale est la différence des sexes. N’en déplaise aux partisans de la théorie du genre, elle apparait, selon Françoise Héritier « au fondement de toute pensée, aussi bien traditionnelle que scientifique ». C’est sur elle que se fonde l’institution commune à toutes les sociétés qu’est « une forme légale et reconnue d’union stable ». Cela ne signifie pas qu’il y ait une forme unique d’organisation familiale. Bien au contraire, car « l’inscription dans le biologique est nécessaire, mais sans qu’il y ait une traduction unique et universelle de ces données universelles ». Dans toutes les formes familiales, on retrouve les quatre composantes de la société. Comme l’écrit Françoise Héritier (page 60) : « Les faits biologiques premiers dont les éléments sont recomposés de diverses manières, sont bien le sexe (le genre), la notion de génération, celle de fratrie par rapport à un ou des géniteurs communs et de façon adventice, le caractère aîné ou celle de cadet au sein de la fratrie ou de la génération ».

De la combinaison de ces données, on peut déduire qu’il ne peut y avoir qu’un nombre fini de combinaisons. Mais de toutes les combinaisons possibles, seul un petit nombre a pu être constaté. Ainsi, le classement  selon les types terminologiques de parenté donne six grands systèmes : « eskimo (le nôtre relève de ce type), hawaiien, soudanais, iroquois, crow et omaha ». Les systèmes possibles selon le calcul combinatoire, qui ne sont pas réalisés, sont selon Françoise Héritier, ceux qui contreviennent à la « valence différentielle des sexes » c’est-à-dire ceux qui n’introduiraient aucune distinction de niveau hiérarchique entre hommes et femmes ou qui inverseraient l’ordre des sexes. Cela ne signifie pas qu’une égalité hommes/femmes n’est pas possible mais qu’elle est, selon l’expression utilisée par l’auteur, une visée « asymptotique ». La valence différentielle des sexes ne repose pas sur des considérations de capacités moindre des femmes (fragilité, moindre poids, moindre taille, handicap des grossesses et de l’allaitement). Elle est plutôt « l’expression d’une volonté de contrôle de la reproduction de ceux qui ne disposent pas de ce pouvoir si particulier ». C’est d’ailleurs ce contrôle masculin sur la procréation qui est poussé à son paroxysme par l’idée de permettre à des couples masculins d’accéder à une forme de filiation excluant la procréatrice ! L’égalité des genres parait ici renforcer la valence différentielle des sexes.

La pensée de Françoise Héritier renverse complètement celle de Pierre Bourdieu. Il était idéaliste sans le dire, elle est matérialiste en le revendiquant. Il excluait toute place du biologique dans la constitution du social, elle estime qu’on doit partir du biologique. Elle écrit : « Je me considère donc comme matérialiste : je pars véritablement du biologique pour expliquer comment se sont mis en place aussi bien les institutions sociales que les systèmes de représentations et de pensée ». Elle ajoute que cela n’exclut pas la complexité et la diversité des constructions sociales.françoise_héritier

Bourdieu et la théorie du genre (2)

L’enfermement dans le système de la sociodicée ne permet pas à Bourdieu d’en expliquer la constitution : d’où l’idée d’anamnèse (une connaissance à la fois possédée et perdue) et d’inconscient spécifique. Il écrit : « [cette anamnèse] porte sur la phylogenèse et l’ontogenèse d’un inconscient à la fois collectif et individuel, trace incorporée d’une histoire collective et d’une histoire individuelle qui impose à tous les agents, hommes et femmes, son système de présupposés impératifs » (page 62). Cet inconscient une fois postulé, il suffit de considérer qu’il s’exprime plus ou moins fortement selon les sociétés et les positions occupées dans l’espace social pour rendre compte de la variété de la situation des femmes dans les sociétés et à différentes périodes de l’histoire. L’explication par des facteurs sociaux et économiques peut alors être réintroduite sans être développée dans la mesure où elle est considérée d’emblée comme secondaire, voire superfétatoire. Le sociologue Bourdieu récuse l’explication sociologique ! Il lui substitue quelques interprétations dignes des docteurs de Molière, comme : « L’illusio originaire, qui est constitutive de la masculanité, est sans doute au fondement de la libido dominandi sous les formes spécifiques qu’elle revêt dans les différents champs » (page 82). Plus sérieusement, il développe l’idée d’une vision « dispositionnaliste » : c’est en fait l’idée assez banale que les stratégies amoureuses et matrimoniales sont le « moyen privilégié d’acquérir une position sociale » et plus généralement que le « calcul de l’intérêt bien compris » n’est jamais absent de la relation entre les sexes mais qu’il est masqué sous l’apparence « d’une forme de rationalité qui ne doit rien au calcul rationnel ». Ce qui est calcul se présente comme l’expression de dispositions de caractère, de la disposition à admirer, à respecter, à aimer : les raisons du cœur qui font qu’on est tout disposé à accepter ou même souhaiter ce que le destin social nous impose.

Reste que postuler un inconscient « à la fois collectif et individuel » nécessite de spécifier le contenu et le mode d’expression de cet inconscient. C’est ici que Bourdieu développe l’idée de « violence symbolique ». Cette violence s’exprime à travers les relations de pouvoir dans lesquelles sont pris aussi bien les hommes que les femmes. Elle s’appuie sur des représentations partagées qui apparaissent comme naturelles mais qui font que les femmes aussi bien que les hommes se font violence à eux-mêmes pour correspondre à des modèles attendus de féminité ou de virilité. Elle s’exerce « à travers des schèmes de perception, d’appréciation et d’action » qui contrôlent la volonté. Cette violence est incorporée quand le dominé (mais surtout la dominée puisque la domination porte d’abord sur les femmes et le corps des femmes) ne dispose pour penser sa situation que « des instruments de connaissance qu’il a en commun » avec le dominant. La dominée est ainsi conduite à se faire une représentation négative d’elle-même et à l’intégrer dans ses façons d’être (de marcher, de porter le regard, de s’exprimer etc.). Elle a le sentiment de sa propre insignifiance, sentiment d’autant plus fort qu’il est confirmé par sa situation effective.

« Il est tout à fait illusoire de croire que la violence symbolique peut être vaincue par les seules armes de la conscience et de la volonté » car elle est l’expression d’un « pouvoir symbolique » qui s’inscrit dans « des structures objectives ». Elle ne peut être renversée que par « une transformation radicale des conditions sociales de production des dispositions ». On pourrait croire que Bourdieu revient par ce détour à un réalisme politique et sociologique qui serait selon son expression en rupture avec « la révolution symbolique qu’appelle le mouvement féministe ». Seulement, il semble avoir principalement en vue ce qu’il appelle « la structure d’un marché des biens symboliques dont la loi fondamentale est que les femmes y sont traités comme des objets qui circulent de bas en haut ». Ce « marché symbolique » est « le terrain des échanges symboliques, des rapports de production et de reproduction du capital symbolique ». Ce marché s’inscrit dans un « mode de production symbolique ». On a visiblement ici un décalque des concepts marxistes. La valeur capitalisée est « l’honneur ». Les femmes sont les « signes fiduciaires », « elles sont réduites au statut d’instruments de production ou de reproduction du capital symbolique et social ». Bourdieu veut ainsi se démarquer de la vision, selon lui purement économiste, du marxisme « confondant la logique du mode de production symbolique avec la logique d’un mode de production proprement économique ». Sa critique est un peu curieuse puisque c’est lui-même qui opère le décalque de l’un à l’autre. Ce qui est clair, c’est que sa reprise de la théorie du genre la maintient dans le cadre de l’idéalisme philosophique.

Bourdieu et la théorie du genre

image 1La théorie du genre prend chez Pierre Bourdieu une allure particulière. On peut la résumer par cette phrase extraite de son livre « la domination masculine » (page 29) : « Loin que les nécessités de la reproduction biologique déterminent l’organisation symbolique de la division sexuelle du travail, et de proche en proche, de tout l’ordre naturel et social, c’est une construction arbitraire du biologique, et en particulier du corps, masculin et féminin, de ses usages et de ses fonctions, notamment dans la reproduction biologique, qui donne un fondement en apparence naturel à la vision androcentrique de la division du travail sexuel et de la division sexuelle du travail et, par-là, de tout le cosmos ».

Cette phrase commence par une négation. Elle veut opérer un renversement. Si je la réduis cela donne : les nécessités biologiques sexuelles ne sont pas déterminantes socialement. A l’inverse, c’est une « construction arbitraire du biologique » qui façonne les usages du corps aussi bien dans les rapports sexuels que dans le partage des tâches sociales entre les sexes, et qui à partir de là influe sur toutes les représentations« .

La première proposition pose déjà un petit problème. Même si cela aurait mérité d’être un peu argumenté, il semble assez raisonnable de penser qu’il y a trop de médiations entre le biologique et le social pour qu’on puisse postuler un déterminisme de l’un sur l’autre. Mais, si je remplace le verbe déterminer par celui d’orienter, il ne parait pas impossible d’envisager que le biologique oriente le social. Par exemple, il parait raisonnable de supposer que l’agressivité et la force physique ont une relation avec les secrétions d’hormones mâles, que ces dispositions physiques et comportementales sont la raison pour laquelle, dans toutes les sociétés, la chasse au gros gibier et la guerre avec leur corolaire (l’usage d’armes létales) sont l’apanage du sexe masculin. Avec le verbe « déterminer » on interdit qu’une femme comme Calamity Jane puisse exister, avec celui d’ « orienter » on en fait une exception, et on est du coup plus près de la réalité. Ainsi, le sens global de la proposition reste acceptable, même si nous sommes tentés de lui apporter une atténuation.

La seconde proposition contenue dans la phrase de Pierre Bourdieu ne peut pas être traitée de la même manière.  Elle pose toute suite un problème : elle abandonne l’idée de terminisme pour passer à celle de « donner un fondement » ce qui est, en fait, à peu près l’équivalent de ce que nous avions à l’esprit avec le verbe « orienter ». On voit tout de suite que si la première proposition avait été que le biologique oriente le social, il aurait été possible d’envisager que le social puisse avoir un effet en retour sur le biologique. On aurait pu dire, par exemple, que l’éducation différente selon les sexes favorise et développe le fond d’agressivité naturelle des petits garçons alors qu’elle apprend la douceur et l’obéissance aux petites filles. Il y aurait eu une dialectique du biologique et du social, un effet d’impulsion et de retour. C’est ce que Pierre Bourdieu semble avoir voulu éviter  car, selon ce qu’il écrit, cela n’aurait été qu’une apparence. Or, c’est cette apparence qu’il veut renverser et qu’il combat.

Puisqu’il ne veut pas expliquer la domination par l’effet de renforcement par le social d’une orientation donnée par le biologique, il lui faut un agent qui se substitue au biologique et qui, non seulement en annule les effets, mais le fait être ce qu’il est. Cet agent c’est une « construction arbitraire du biologique ». Mais, qu’est-ce qu’une « construction arbitraire du biologique » ? Si on a lu ce qui précédait dans le livre, on sait que Bourdieu écartait ce que d’autres penseurs imputaient à « des facteurs ressortissant de la représentation plus ou moins consciente et intentionnelle (« idéologie », « discours », etc.) ». Il avançait l’idée de « schèmes de pensée d’application universelle ». Il s’agit donc de quelque chose qui est commun à toute l’humanité (« universel ») sans être naturel, quelque chose qui n’est  pas forgé par la conscience. Bourdieu l’appelle une « sociodicée » c’est-à-dire une justification théorique générale sur le modèle de la théodicée de Leibniz.  La question se pose alors de comprendre comment se forge cette sociodicée, d’où elle vient? Mais le mot « arbitraire » interdit ce questionnement.  En disant que c’est arbitraire Bourdieu se refuse à en imaginer la genèse, l’élaboration, les déterminations. C’est par conséquent une « construction » sans constructeur, qu’on peut décrire et analyser mais dont on ne peut connaitre le mode de formation et d’action. Bourdieu transporte la dialectique dans la sociodicée sous la forme d’un redoublement d’effet. Il écrit : « Elle légitime une relation de domination en l’inscrivant dans une nature biologique qui est elle-même une construction sociale généralisée ». En clair la domination masculine s’auto-légitime en s’inscrivant dans le biologique qui la justifie.

L’explication tourne court. Elle est enfermée dans le système de la sociodicée. Bourdieu évoque la psychanalyse et son idée de l’enfant comme « pervers polymorphe » mais sans l’exploiter alors que Judith Butler et la théorie du genre dominante s’y engouffrent pour remettre en cause  « l’hétérosexualité obligatoire » et en faire la première production « discursive » (puisque selon elle le genre est le produit d’un discours). Bourdieu évite ainsi les excès de la théorie du genre tout en l’adoptant sur le fond, c’est-à-dire sur sa forme fondamentale d’explication idéaliste (au sens philosophique).