Shlomo Sand : comment j’ai cessé d’être juif.

image 2

De l’historien israélien Shlomo Sand j’avais déjà lu « comment le peuple juif fut inventé » dans lequel il réfutait l’idée d’une continuité historique d’un peuple juif. Il y démontrait ou plutôt il rappelait  que les juifs n’ont pas été forcés à l’exil après la destruction du temple de Jérusalem en 70. Non seulement il n’y a aucune trace historique d’un tel événement mais les hébreux étaient un peuple de paysans qu’il était rigoureusement impossible de déplacer avec les moyens de l’époque. Jusqu’au quatrième siècle le judaïsme était une religion prosélyte. Ce n’est qu’après le quatrième siècle que la pression du christianisme l’a forcé au repli et à se fermer. Il a subsisté sur les marges du monde chrétien : en Afrique du nord avec les Berbères et aussi, un peu plus tard, chez les Khazars dans le Caucase russe. Les Khazars seraient à l’origine des juifs slaves de l’Europe de l’Est. Les juifs de l’ouest étant quant à eux originaires d’Afrique du nord et d’Espagne.

Cela ne m’avait pas étonné. J’avais également lu en 2002 le livre d’Israël Finkelstein et Seil Asher Silberman « La Bible dévoilée » qui démontrait que la « sortie d’Egypte » était également une légende et que la Bible et l’invention du monothéisme avaient servi l’unification des royaumes juifs d’Israël et de Juda sous un seul roi, avec une seule religion et une seule capitale Jérusalem. Il n’existe aucune trace archéologique d’une conquête du pays de Canaan ni aucune mention Egyptienne de cette fuite d’Egypte en revanche les traces abondent à la fois dans la Bible et en archéologie du travail d’unification.

Dans son nouveau livre Shlomo Sand dit que les juifs sont un « grand mélange ». Il leur refuse le titre de peuple. On applique le mot peuple à des populations qui ont en commun des pratiques et des normes culturelles laïques (langue, nourriture, musique etc.). Or, les juifs n’ont en commun qu’une religion. L’idée d’une race juive est réfutée par la biologie  (elle est une invention de l’antisémitisme du 19ème siècle) ; celle de « traits juifs » est démentie par la simple observation. S’il n’y a ni peuple ni race juive, que reste-t-il et que sont devenus les juifs du premier siècle ? Voici ce qu’en disait Shlomo Sand dans un article du Monde Diplomatique de 2008 : « Une partie d’entre eux se convertit au christianisme au IVe siècle, tandis que la grande majorité se rallia à l’islam lors de la conquête arabe au VIIe siècle. La plupart des penseurs sionistes n’en ignoraient rien : ainsi, Yitzhak Ben Zvi, futur président de l’Etat d’Israël, tout comme David Ben Gourion, fondateur de l’Etat, l’ont-ils écrit jusqu’en 1929, année de la grande révolte palestinienne. Tous deux mentionnent à plusieurs reprises le fait que les paysans de Palestine sont les descendants des habitants de l’antique Judée ». Mais, attention, Shlomo Sand précise aussitôt que les palestiniens n’en constituent pas pour autant un peuple originaire. La population de l’Israël antique était déjà une population mélangée comme il arrive d’ailleurs à tout peuple colonisé et elle n’a cessé de se mélanger au cours des siècles.image 1

Shlomo Sand a donc démontré que le judaïsme n’est  rien d’autre qu’une civilisation religieuse qui s’est transmise à travers les âges. Ses bases sont le Talmud, le Midrash et la Thora. Il y un peuple israélien, une langue israélienne, il y a une littérature et un cinéma israélien. Il y une culture israélienne mais Il n’y a pas, en dehors de la religion, de culture commune à « la diaspora juive ».  Si cela pose problème, c’est qu’un peuple a une patrie tandis que les religions n’en ont pas et que Hébron, Bethléem, Jéricho, Jérusalem, qui sont l’Israël biblique, se trouvent en Cisjordanie tandis que Tel-Aviv ou Haïfa, qui sont dans l’Israël actuel, n’en étaient pas. Le sionisme était à son origine un mouvement de révolte contre l’aggravation des persécutions consécutives à la constitution des nationalités dans l’Europe du 19ème siècle. C’était un mouvement laïc qui avait besoin d’inventer un peuple mais qui organisait l’immigration vers l’Angleterre, la France ou les Etats-Unis plutôt que vers la Palestine. En devenant un mouvement religieux qui se fonde sur le mythe d’un peuple/race juif, pour asseoir ses prétentions sur la Cisjordanie, il a créé un Etat qui ne peut pas être une démocratie puisqu’il n’appartient pas à son peuple mais à un peuple fictif constitué de tous les juifs de la terre. Quiconque est reconnu juif peut prétendre à la citoyenneté israélienne tandis qu’un palestinien né et éduqué en Israël, parlant l’Hébreu, se la voit refusée. C’est cela que récuse Shlomo Sand car son statut de juif l’associe à une entreprise qu’il condamne tandis que lui est refusée une citoyenneté commune avec ses propres étudiants « arabes » de l’Université de Tel-Aviv.

Reste le ciment constitué par la persécution. Jean-Paul Sartre disait « c’est l’antisémite qui crée le juif ». Seulement si aujourd’hui Israël se définit comme un Etat communautaire, ethnocentrique, ce n’est pas face à une persécution antisémite, c’est, selon Shlomo Sand, pour exclure 25% de sa population. C’est pourquoi il demande que sur sa carte d’identité il soit mentionné « israélien » et non « juif ». Cela a été refusé par la Cour Suprême. En Israël on peut être déclaré juif, arabe ou druze mais on ne peut pas être seulement israélien. Ce qui est dérangeant là-dedans c’est que la Cour Suprême est d’accord avec les antisémites. On est juif parce qu’on est né de mère juive où que cela soit dans le monde tandis qu’un citoyen considéré comme arabe ne le sera jamais. On peut devenir chrétien, musulman ou bouddhiste mais on ne peut pas devenir juif. On peut cesser d’être chrétien, musulman ou bouddhiste mais on ne peut pas cesser d’être juif selon la loi israélienne.  C’est un problème pour tout démocrate mais plus encore pour un athée né de parents eux-mêmes athées.

image 3Shlomo Sand se sent solidaire des palestiniens qui sont persécutés mais pas de ceux qui en France ou aux Etats-Unis se revendiquent de la qualité de juif comme d’un capital symbolique de souffrance qui leur conférerait des droits. Ceux-là s’identifient avec Israël, qu’ils soutiennent quelle que soit sa politique, alors qu’ils ne connaissent ni la langue, ni la culture du pays et qu’ils ne connaissent pas l’histoire de ses habitants. Ils concourent à forger un mythe et instrumentalisent les génocides perpétrés par les nazis en voulant en faire une exclusivité juive. Ils favorisent le repli communautariste dans leur pays et contribuent à la fuite en avant de l’Etat d’Israël. Ils créent de nouvelles frontières quand il faudrait ouvrir toutes les frontières. C’est en cela, nous dit Shlomo Sand, que cette affaire concerne tout le monde.