De nouveau de passage à Redon, j’ai constaté que les fresques murales, qui ornent les murs de la friche industrielle sur le quai Jean Bart, avaient été partiellement renouvelées. Elles le sont d’ailleurs dans deux sens : d’abord parce que d’anciennes fresques ont été recouvertes, puis parce que les motifs ont changés. Les nouvelles fresques sont des portraits – ce qui me parait particulièrement intéressant. Réussir un portrait sur une surface verticale avec les bombes à peinture exige certainement un vrai talent. Mais plus fondamentalement le portrait, qu’il soit d’une personnalité connue, d’un inconnu ou qu’il soit imaginaire, révèle plus que tout autre motif la relation de son auteur à la fois aux autres et à lui-même.
De ce point de vue, les portraits faits à Redon sont remarquables. J’y vois deux thèmes dominants : celui du métissage et celui du borgne. J’avais déjà remarqué lors de mon dernier passage que les artistes avaient une prédilection pour les sujets borgnes. Cela se confirme et ne peut manquer d’interroger. Le borgne est celui qui ne voit que d’un oeil, celui à qui toute une partie du monde échappe. Il semble bien que ce que ne voient pas ces borgnes c’est la beauté du monde. Ceux-là ne semblent voir que la noirceur et au moins un commentaire semble le confirmer.On a là une espèce de Christ borgne, dont l’œil droit est mort et dont l’œil gauche, d’un bleu délavé, dit la lassitude désabusée. Pour ce Christ, il n’y a rien dans le monde à sauver. La beauté elle-même ne mérite que l’injure. Dans la tradition chrétienne, ce sont les bourreaux qui injurient le Christ, ici c’est le Christ qui renie un monde où même le beau ne mérite qu’injure.
Semble-t-il du même auteur nous avons ce visage, non pas exactement borgne mais dont un seul œil est vivant : c’est celui d’une jeune femme qu’on imagine belle, heureuse et vaillante, mais dont tout le reste du visage et sans doute du corps est recouvert d’une lèpre noire. L’œil droit, noir et hagard, dit la stupeur et l’horreur. C’est un œil de zombie métis qui ne voit rien.
Celui-ci n’a même pas l’œil clair de la jeune femme qui fait face à la vie. C’est bien un œil de femme mais au regard dur, celui d’une femme qui est dans le rejet du monde et des autres. Une nouvelle fois, comme je l’avais remarqué, il s’agit d’une métisse. Je ne saurais dire comment il faut comprendre cela. Est-ce que le métissage produirait des êtres en révolte à qui le monde est odieux ?
Voilà encore une métisse. Son attitude, (elle allume une cigarette ou un joint ?), la détourne du monde. Elle a des traits qui expriment une dureté et peut-être une violence peu contenue.
Celui-ci exprime en clair le regret dont ne sait quel passé. Il semble que ceux qui ont fait ces portraits ne puissent pas se projeter dans un avenir. Il y a ici sous-jacent le thème de la régression qui dominait dans le premières fresques que j’ai commentées dans mon premier article.
Ce dernier portrait confirme ce refus du monde et cette fuite devant l’avenir. Nous avons ici un aveugle dont l’espèce d’auréole fait penser à un de ces moines bouddhistes dont toute l’ambition est d’arriver au néant.
Que dire face à cela ? Sinon recommander, comme dans mon précédent article, face à ce monde, l’attitude du pratiquant des sports combat : les yeux portés en avant, le regard clair et assuré, l’attitude de force et de confiance. Secouez-vous donc les artistes de Redon !!