Fresques murales à Redon (3)

De nouveau de passage à Redon, j’ai constaté que les fresques murales, qui ornent les murs de la friche industrielle sur le quai Jean Bart, avaient été partiellement renouvelées. Elles le sont d’ailleurs dans deux sens : d’abord parce que d’anciennes fresques ont été recouvertes, puis parce que les motifs ont changés. Les nouvelles fresques sont des portraits – ce qui me parait particulièrement intéressant. Réussir un portrait sur une surface verticale avec les bombes à peinture exige  certainement un vrai talent. Mais plus fondamentalement le portrait, qu’il soit d’une personnalité connue, d’un inconnu ou qu’il soit imaginaire, révèle plus que tout autre motif la relation de son auteur à la fois aux autres et à lui-même.

De ce point de vue, les portraits faits à Redon sont remarquables. J’y vois deux thèmes dominants : celui du métissage et celui du borgne. J’avais déjà remarqué lors de mon dernier passage que les artistes avaient une prédilection pour les sujets borgnes. Cela se confirme et ne peut manquer d’interroger. Le borgne est celui qui ne voit que d’un oeil, celui à qui toute une partie du monde échappe. Il semble bien que ce que ne voient pas ces borgnes c’est la beauté du monde. Ceux-là ne semblent voir que la noirceur et au moins un commentaire semble le confirmer.SAMSUNG DIGITAL CAMERAOn a là une espèce de Christ borgne, dont l’œil droit est mort et dont l’œil gauche, d’un bleu délavé, dit la lassitude désabusée. Pour ce Christ, il n’y a rien dans le monde à sauver. La beauté elle-même ne mérite que l’injure. Dans la tradition chrétienne, ce sont les bourreaux qui injurient le Christ, ici c’est le Christ qui renie un monde où même le beau ne mérite qu’injure.SAMSUNG DIGITAL CAMERASemble-t-il du même auteur nous avons ce visage, non pas exactement borgne mais dont un seul œil est vivant : c’est celui d’une jeune femme qu’on imagine belle, heureuse et vaillante, mais dont tout le reste du visage et sans doute du corps est recouvert d’une lèpre noire. L’œil droit, noir et hagard, dit la stupeur et l’horreur. C’est un œil de zombie métis qui ne voit rien.SAMSUNG DIGITAL CAMERA  Celui-ci n’a même pas l’œil clair de la jeune femme qui fait face à la vie. C’est bien un œil de femme mais au regard dur, celui d’une femme qui est dans le rejet du monde et des autres. Une nouvelle fois, comme je l’avais remarqué, il s’agit d’une métisse. Je ne saurais dire comment il faut comprendre cela. Est-ce que le métissage produirait des êtres en révolte à qui le monde est odieux ?

SAMSUNG DIGITAL CAMERA Voilà encore une métisse. Son attitude, (elle allume une cigarette ou un joint ?), la détourne du monde. Elle a des traits qui expriment une dureté et peut-être une violence peu contenue.

SAMSUNG DIGITAL CAMERACelui-ci exprime en clair le regret dont ne sait quel passé. Il semble que ceux qui ont fait ces portraits ne puissent pas se projeter dans un avenir. Il y a ici sous-jacent le thème de la régression qui dominait dans le premières fresques que j’ai commentées dans mon premier article.

SAMSUNG DIGITAL CAMERA Ce dernier portrait confirme ce refus du monde et cette fuite devant l’avenir. Nous avons ici un aveugle dont l’espèce d’auréole fait penser à un de ces moines bouddhistes dont toute l’ambition est d’arriver au néant.

Que dire face à cela ? Sinon recommander, comme dans mon précédent article, face à ce monde, l’attitude du pratiquant des sports combat : les yeux portés en avant, le regard clair et assuré, l’attitude de force et de confiance. Secouez-vous donc les artistes de Redon !!

Fresques murales à Redon (2)

En repassant par Redon récemment, j’ai eu la surprise de constater que les fresques murales que j’avais critiquées dans mon article du 22 mai avaient été recouvertes. Mais je ne crie pas victoire car je sais n’y être pour rien d’autant que les nouvelles peintures, même si elles sont moins nettement régressives et violentes, sont encore nettement marquées par une vision irrationaliste et mortifère du monde.

 

Sur un fond noir évoquant les espaces infinis et glacés qui effrayaient Pascal, un chaos de signes forme des groupes hostiles qui s’affrontent. Au sommet, là où pouvait se voir le symbole religieux du triangle et de l’œil divin, c’est une sorte de capsule spatiale qui contemple un monde voué à la violence destructrice. L’emploi de couleurs claires atténue l’effet mais certaines formes blanches évoquent des fantômes. La destruction veut se croire une fête.

 

La mort se fait séductrice. Elle invite au néant. Comment comprendre cela dans un moment où la guerre nous encercle de toutes parts et de toujours plus près. Elle est à nos portes à Gaza et en Ukraine. Nous sommes invités à l’admirer sous la forme du « sacrifice » des poilus par les commémorations de la « grande guerre ».

 

Dans cette autre peinture, l’impression est celle d’une architecture détruite. On croit voir une citadelle éclatée, des pierres disjointes emportées toutes ensemble dans une sorte de panique. Encore une fois les couleurs vives contrastent avec le dessin.

Là c’est un duel, une charge meurtrière qui est représentée. Des mots ou plutôt un fatras de signes qui furent alphabétiques se jettent l’un sur l’autre. L’idée même de sens semble abolie. Il ne s’agit ni de dire, ni d’exprimer mais d’exulter au spectacle de la destruction. C’est tantôt une sorte de pingouin ennemi de Batman, tantôt la mort mécanisée qui préside à la lutte sans merci de l’insensé contre le délirant. Toute raison a disparu dans la joie malsaine de détruire.

 

C’est sous la forme d’un sinistre pitre que la mort et la folie triomphent.

 

Là où l’image a un sens clair, c’est pour représenter notre avenir sous la forme du ricanement de la mort. Rien de positif ne parait pouvoir s’envisager. Dans ce monde, c’est le pire qui parait certain !

Il restait des anciennes peintures, une jolie fresque représentant un oiseau mouche volant au-dessus d’une fleur. Un mot qui semble être « fame » l’a piétinée. Un oiseau (à droite) est pris dans le mot et broyé par ses formes tranchantes.

Je remarque l’usage exclusif de l’anglais (ou plutôt de quelques mots anglais) comme on peut le constater aussi dans nos banlieues. C’est la marque de la soumission aux idées dominantes et souvent même de la servilité : on copie ce qui se fait dans les villes américaines. La graphie est la même, les thèmes et surtout ces signatures qui masquent leurs auteurs au lieu de les faire connaitre se retrouvent partout. On lit « mother crew ». Il s’agit parait-il d’un collectif. Je doute qu’il soit composé d’anglophones. Il est juste composé de quelques personnes dont je ne nie pas le talent mais qui me paraissent manquer de créativité et d’originalité. Sans doute n’ont-elles pas pleinement conscience du contenu du message qu’elles répètent et qui correspond à ce qu’on leur a vanté comme art de la rue.

Je ne constate donc aucune véritable amélioration du contenu des fresques, juste une atténuation de leur aspect par l’emploi de couleurs claires. J’en appelle par conséquent aux habitants de Redon : est-ce là votre vision du monde ? Est-ce comme cela que vous voyez l’avenir ? Est-ce un tel avenir qui vous tente ? Pourquoi ne demandez-vous pas aux artistes à qui vous confiez vos murs d’exprimer vos désirs de bonheur et d’émancipation, vos protestations contre la dévastation des paysages, des environnements, contre la violence et la régression.

 

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J’ajoute cette image aujourd’hui 20 septembre. Cette fresque daterait de 2003. Elle est d’un des auteurs des dernières apparues (signée « la rouille »). Je remarque que, comme les plus récentes, elle est accompagnée d’un texte en anglais. Ce qui a toujours le don de m’agacer. Pourquoi s’exprimer en anglais quand on est francophone et qu’on s’adresse à un public presque exclusivement francophone ? J’y vois la marque d’une servilité devant la « culture de la rue américaine », la manifestation d’un suivisme qui s’incline devant tout ce qui vient de « l’empire ».

Quant au contenu, il est on ne peut plus clair : il exprime le mépris de soi. Une femme, sa maîtresse, invective « la rouille » pour lui dire combien il est indigne d’être aimé, quel dégoût il inspire et combien elle se dégoûte elle-même de son attachement à lui (parler d’amour parait peu approprié). L’image suivante est un auto-portrait du dit « la rouille ». Le voici :

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On voit là un homme négligé, presque halluciné, qui manifeste son addiction au tabac et le peu d’estime qu’il se voue. Ce qui m’a frappé, c’est son regard. Celui d’un homme horrifié mais surtout borgne. Ce « la rouille » ne voit les choses que d’un œil : celui qui voit la noirceur, la décadence, la ruine d’un monde et que ce spectacle laisse impuissant, replié sans doute sur la recherche de quelques paradis artificiels. Peut-être même cet œil se complait-il au spectacle de l’horreur.

Ne voir les choses que d’un œil, c’est faire l’aveu de son insuffisance ! L’œil qui manque est le gauche, c’est symptomatique et bien en phase avec cette résignation, ce mépris de soi et cette allégeance servile à « l’empire ».

Ce thème du borgne se retrouve sur une autre fresque que voici :

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L’auteur est sans doute un autre artiste que « la rouille » car le style est complétement différent. On voit à gauche deux personnages. Le plus à gauche symbolise l’homme des addictions : au tabac, au téléphone portable. L’autre semble représenter les tenants du « principe de précaution ». Il veut arracher sa cigarette au premier (lequel répond par l’insulte). Mais que tient dans sa main le tenant d’une vie saine ? Une pilule. Il représente donc une autre forme d’auto-empoisonnement : celui par la médecine.

Les deux personnages sont borgnes : chacun ne voit les choses que d’un œil : pour le premier, c’est le droit, pour l’autre, c’est le gauche. L’auteur se tient donc hors de l’affaire, il renvoie les deux belligérants à leur vision tronquée. A droite, une sorte de vers sort d’un cadre. Peut-être représente-t-il la maladie qui est seule à triompher d’une lutte de borgnes.

Si mon interprétation est correcte, cette fresque me parait donc intéressante.

Fresques murales à Redon

La ville de Redon a demandé à des artistes graffeurs de décorer les murs d’anciens bâtiments industriels. Le but était sans doute d’éviter que des « amateurs » les souillent avec des graffitis hideux. Le pire a été évité, mais ne serait-ce pas au risque d’un autre pire ?

Une dame de la ville, qui les trouvait belles, m’a dit que le thème proposé était : « le singe et l’homme ». Je lui faisais remarquer que le passage du singe à l’homme était une évolution, alors que les fresques, dont je reconnais la qualité artistique, donnent l’image d’une régression – tout l’inverse donc.

L’image est celle de la violence destructrice, de la fureur, du carnage et de l’extermination. L’inverse d’un progrès, la vision la plus noire qu’on puisse avoir de l’avenir. Je ne parlerais pas de bestialité car ce serait faire injure aux bêtes.

Nous sommes face à un chaos, un monde qui a perdu tout sens : on voit quelque chose comme les lettres d’un mot qui se seraient jetées les unes contre les autres en une mêlée furieuse. C’est l’image d’un langage qui refuse tout sens.

Ce langage répand la mort sous la forme des cafards qui sortent de la bouche d’un monstre écumant de rage, il se répand sur des restes de signes en décomposition.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La vision est nettement technophobe. Non pas réactionnaire, ce qui supposerait la nostalgie d’un passé bienheureux. Elle est plutôt obscurantiste et fasciste. Mais il est probable que les artistes eux-mêmes ne voyaient pas ce que leurs œuvres véhiculaient.

Emportés par une imagination phobique, ils représentent une nature cauchemardesque et destructrice. Inutile de demander à la mairie de faire disparaitre ces horreurs, ne sont-elles pas la face cachée de son orientation idéologique ?