Le désir au XXème siècle

Ce qui est premier pour Freud c’est la pulsion sous sa double forme Eros et Thanatos. Le désir vient après et il est toujours plus ou moins une addiction. Il est la trace d’une jouissance qui veut se répéter et se répète chez le sujet sain sous une forme socialement acceptée, sous une forme sublimée. Le psychanalyste parle plus volontiers de « compulsion de répétition » que de « répétition ». Il n’en reste pas au constat du retour incessant du même geste : il postule un affect inconscient inassouvi qui cherche satisfaction et ramène toujours la même conduite.

Freud distingue des compartiments du psychisme dans lesquels les processus pulsionnels seraient différents. Il appelle primaires les processus qui seraient ceux de l’inconscient et secondaires ceux de la conscience. Les premiers, soumis au principe du plaisir, ne sont saisis qu’indirectement par l’analyse du rêve, les seconds s’observent dans le fonctionnement de la conscience. A ce niveau (celui de la conscience), l’énergie psychique prend la forme de la pensée et se manifeste dans et par le langage. Elle est soumise au principe de réalité et se trouve en quelque sorte domestiquée. Elle obéit à des règles, qui sont à la fois celles du langage et du réel, mais qui la contraignent et lui interdisent les opérations, inadaptées à la confrontation au réel, qui sont celles du rêve.

Dans le vocabulaire freudien l’énergie psychique, prise dans les processus secondaires, ceux de la conscience, est dite « liée ». La liaison de l’énergie psychique se comprend comme une domestication. Le vocabulaire freudien véhicule une conception pessimiste de la société, il renvoie l’image d’une société qui brime les pulsions et qui civilise en mutilant. La liaison de l’énergie psychique dans la conscience est vue comme un processus de soumission à des codes culturels, à des règles sociales, qui mobilise une partie de l’énergie pour la retourner contre elle-même. En prenant la forme de la pensée, l’énergie psychique se trouve contrainte par le langage mais en même temps, elle se détend à la manière d’un système où une chambre de condensation permet à un gaz de se refroidir. Le sauvage, en quelque sorte, dépose les armes et s’habille, ses pulsions deviennent des désirs socialement acceptables. Il est adapté socialement mais son Moi « n’est pas maître dans sa propre maison« . Lacan renforce encore ce tragique de la théorie psychanalytique. Selon sa théorie de « l’objet petit a » c’est parce qu’il y a une perte initiale qu’il y a désir. La perte de cet objet est le moteur de cette recherche qu’est le désir. L’objet petit a se perd à cause du langage et c’est par le langage qu’on cherche à le récupérer. Le langage dit le manque qu’on veut combler mais il se porte d’objet en objet mais rate toujours sa satisfaction.

Le Freudo marxisme s’est construit sur un contre-sens volontaire sur le concept de désir chez Freud. Alors que pour Freud la maitrise de la pulsion sous la forme du désir est ce qui permet la vie sociale, pour des gens comme Wilhelm Reich ou Marcuse, la société en brimant l’individu et ses désirs se condamne à être oppressive et violente. Il faut donc libérer le désir pour libéraliser la société. Reich écrit : « le principe de réalité du capitalisme requiert de la part du prolétaire une restriction maximale des besoins, en appelant pour cela à des sommations religieuses de soumission et d’humanité. Il requiert aussi un rapport sexuel monogame et d’autres restrictions de ce type » Ainsi, le principe de réalité impose l’adaptation de l’individu à l’ordre social à travers la répression de ses désirs. Ce refoulement est lui-même un produit de la société et de l’éducation qui s’inscrit dans les corps. La famille et la socialisation de l’enfant imposent une aliénation idéologique. Le freudo-marxisme estime que les désirs sont construits et orientés par la société. Un conflit s’observe entre les désirs, le plaisir de l’enfant et la revendication des parents comme représentants de la société concrète, avec son mode de production spécifique.

Pour Marcuse, ce n’est que parce qu’elle est société de pénurie que la société doit brimer les désirs de l’individu. Il soutient que sur la base des progrès techniques modernes, une société non répressive, c’est-à-dire une société débarrassée de toute forme de répression des désirs, est possible. Selon lui, nous pourrions vivre dans une société où le désir serait libéré. Dans la société moderne, la société d’abondance où les besoins naturels ont les moyens de leur satisfaction, la répression des désirs est superflue. Elle est une sur-répression due à une mauvaise répartition des ressources disponibles, qui est due à l’accaparement des ressources par une minorité.

Marcuse appelle à une révolution qui consisterait à réorganiser les nouvelles forces productives de la société de manière à mettre fin à la sur-répression. Cette réorganisation ne permettra cependant pas d’appliquer le principe « à chacun selon ses besoins » car les forces productives ne sont pas encore assez développées pour cela; nous ne sommes pas encore dans la société d’abondance. La société sera réorganisée en vue de la satisfaction des besoins fondamentaux de tous, ce qui implique un abaissement du niveau de vie des plus aisés. En fait, la nouvelle civilisation ne consistera pas dans l’abondance pour tous, mais dans la suppression de la sur-répression : ce sont deux choses différentes. Tous les désirs ne seront pas satisfaits, mais les besoins les plus fondamentaux seront satisfaits de façon égalitaire.

Seulement cette révolution se heurte à un obstacle. Dans les sociétés industrielles avancées, selon lui, l’appareil de production est totalitaire, en ce sens qu’il détermine les activités, les attitudes et les aptitudes qu’implique la vie sociale. La société, alors qualifiée de société de consommation, définit et régule les aspirations et les besoins individuels. Ainsi, la création de faux besoins et le contrôle de ces mêmes besoins ont pour corollaire la disparition de la frontière vie privée/vie publique : seul le consommateur demeure. C’est cette condition ontologique que Marcuse nomme “undimensionnelle“. La société de l’homme unidimensionnel est une société sans opposition où les luttes politiques sont des postures qui masquent un consensus profond. La classe ouvrière y aurait ainsi perdu son rôle révolutionnaire, et les partis communistes se seraient convertis au Keynésianisme : ils réclament plus car l’aspiration de la classe ouvrière est de devenir bourgeoise. Le thème, ainsi amorcé, de la société de consommation est devenu un leitmotiv de l’idéologie dominante. .

Le surréalisme est une autre tentative de s’approprier la psychanalyse autour de la question du désir. Les surréalistes ont voulu attirer l’attention de Freud. Breton lui avait rendu visite à Vienne en 1921 mais le fondateur de la psychanalyse a gardé ses distances. Il reconnaissait l’importance du désir mais visait sa sublimation, tandis que les surréalistes  voulaient sa réalisation. Selon eux, le désir est par essence révolutionnaire.  » La vraie révolution, pour les surréalistes, c’est la victoire du désir « . Le désir, voilà le  » seul acte de foi du surréalisme  » proclame Breton en 1934 dans Qu’est-ce que le surréalisme ?

Le surréalisme postule l’existence d’une réalité supérieure que certaines formes d’association, le rêve, l’écriture automatique et le jeu désintéressé de la pensée permettent d’atteindre et que l’art permet d’exprimer. Ce surréel n’étant pas donné spontanément, il faut désirer l’imposer contre l’appareil répressif de la logique, de la morale et de la société, et contre les canons esthétiques anciens. Mais le groupe fondateur se déchire sur le degré de transgression que cela implique. André Breton, est accusé de moralisme. Contre le premier manifeste surréaliste paraissent un deuxième et un troisième manifeste. Le surréalisme s’affirme contre toutes les formes d’oppression du corps et de l’esprit, contre la platitude du réalisme positif qui confond le réel avec la pauvre perception qu’il en a, contre la logique «la plus haïssable des prisons», contre l’écrasement social, contre la littérature, si elle se borne à exprimer ce qui est déjà là. Il a la volonté de transformer la vie de l’homme, de sans cesse découvrir de nouvelles voies pour s’approcher de l’idéal. L’Art, l’Amour et l’Absolu permettent d’être au-dessus de notre condition humaine. Ce n’est pas seulement dans les arts visuels et en littérature que souffle un vent de liberté. En musique, le jazz, né dans les champs de coton du sud des États-Unis débarque en France en 1917. Il libère le rythme et la créativité et permet l’épanouissement des nouvelles musiques. Il accompagne toutes les libérations.

Aux marges du surréalisme, George Bataille fait de l’interdit le moteur même du désir. Selon lui, sans interdit, pas de société, pas d’humanité. L’érotisme et le désir augurent l’accès à la jouissance par la transgression, sinon, comme chez l’animal, la fonction sexuelle serait analogue aux autres fonctions d’excrétion. L’interdit constitue donc le premier moteur de la condition humaine ; il est la source de l’érotisme et du désir qui ne sont chez les animaux que pulsions naturelles. Lorsque l’interdit est transgressé, le mal apparaît et la vie s’érotise ; le sens se dévoile. C’est pourquoi l’ensemble des représentations médiatiques — littérature, cinéma, théâtre, journaux, etc. — met généralement en scène la transgression. Quand nous allons au cinéma, c’est la représentation du mal — du péché — qui nous attire, nous érotise : meurtre, vol, viol, adultère, catastrophes, etc. Sans l’interdit qui les fonde, les scènes seraient banales, sans intérêt. La transgression n’invalide toutefois pas la limite puisque c’est justement l’interdit qui en est la condition essentielle ; sans la limite, la transgression n’aurait aucun de sens. Une vie réglée, parfaite, sans transgression, serait machinale, inhumaine et infernale ; c’est le péché des autres qui révèle notre sainteté.

René Girard met en avant lui aussi le tragique du désir. Selon lui tout désir est toujours second par rapport au désir de quelqu’un d’autre. Il est facteur de rivalité car il est insupportable à l’égo de ne pas se penser sujet de son désir et d’avoir à accepter que son désir est mimétique c’est-à-dire qu’il est imitation du désir d’un autre. La façon de se comporter, le choix de l’objet sont déterminés non pas par la rareté de cet objet ou par des facteurs extérieurs aux deux sujets ou encore par des facteurs qui viendraient des sujets eux-mêmes mais par le fait qu’ils s’imitent l’un l’autre et deviennent rivaux. Mais cette relation triangulaire réciproque généralisée entre l’objet du désir, le sujet désirant, et le rival imité est occultée. Derrière les rites, derrière les mythes et derrière les interdits, se déchainerait des crises de mimétisme généralisées qui aboutiraient à des phénomènes de boucs émissaires. Les rites seraient la reprise par une communauté, fondée en quelque sorte par ce phénomène victimaire, du phénomène qui l’a sauvée ou fondée. Les mythes seraient le souvenir de cette crise. Une société libérant les désirs ne pourra devenir que plus conflictuelle, en multipliant les désirs, elle multiplie les sources de conflits et le besoin de désigner une victime. Cette victime rejetée sera au cours de la crise de mai 68 « le vieux monde » devant lequel la jeunesse est invitée à courir.

Je laisse cela pour passer à Deuleuze. Dans « l’anti Œdipe« , avec Deuleuze et Gattari, s’opère un renversement complet de perspective. « ce n’est pas le désir qui s’étaie sur les besoins, c’est le contraire, ce sont les besoins qui dérivent du désir : ils sont contre-produits dans le réel que le désir produit» Le désir ne manque pas d’objet, il est sans objet, il ne vise que sa propre prolongation. C’est cela l’immanence du désir. Comme G. Deleuze l’expliquera plus tard, il ne faut pas penser le désir comme un pont entre un sujet et un objet : « Le désir n’est donc pas intérieur à un sujet, pas plus qu’il ne tend vers un objet : il est strictement immanent à un plan auquel il ne préexiste pas, à un plan qu’il faut construire, où des particules s’émettent, des flux se conjuguent. Il n’y a désir que pour autant qu’il y a déploiement d’un tel champ, propagation de tels flux, émission de telles particules. » Plutôt que de parler simplement de désir, G. Deleuze et F. Guattari préfèrent donc parler de « machines désirantes », car c’est dire que le désir est productif, qu’il « est toujours nomade et migrant ». Son caractère est « le gigantisme ».

Le désir ne doit donc pas seulement être pensé à l’échelle de l’individu, mais également comme une force de production présente dans les sociétés. Ce que propose L’Anti-OEdipe, c’est de réinterpréter les rapports entre marxisme et psychanalyse. Le désir est partout et pas seulement dans la psyché : « La première évidence est que le désir n’a pas pour objet des personnes ou des choses, mais des milieux tout entiers qu’il parcourt, des vibrations et flux de toute nature qu’il épouse, en y introduisant des coupures, des captures (…). En vérité, la sexualité est partout : dans la manière dont un bureaucrate caresse ses dossiers, dont un juge rend la justice, dont un homme d’affaires fait couler l’argent, dont la bourgeoisie encule le prolétariat, etc.» Et il n’est pas besoin pour penser le désir immanent à ces grands ensembles de le sublimer ou d’y voir des métaphores. Il faut le penser à des échelles différentes, aussi bien au niveau moléculaire que molaire pour reprendre la terminologie de G. Deleuze et F. Guattari. Ce qui était chez Spinoza un panthéisme, ou se manifestait pour Wilhelm Reich comme énergie cosmique (orgone) devient chez eux en quelque sorte un pandésir. C’est du moins ainsi que je comprends tout cela.

C’est à partir de ce pandésirisme que Deuleuze et Gattari critiquent la psychanalyse qui enfermerait le désir dans le champ clos de la famille. Ce qu’ils appellent son « familialisme ». Ils écrivent : « Au lieu de participer à une entreprise de libération effective, la psychanalyse prend part à l’œuvre de répression bourgeoise la plus générale, celle qui a consisté à maintenir l’humanité européenne sous le joug de papa-maman et à ne pas en finir avec ce problème-là. ». La libération des flux du désir passe selon eux par la figure du schizo, c’est-à-dire la constitution du marginal comme sujet révolutionnaire et conduit à la critique de ce qu’ils appellent « la forme Parti » c’est à dire des partis de gauche et plus particulièrement le communisme. En ce sens ils participent au mouvement qui se retrouve chez Marcuse et s’est illustré dans les formes libertaires de Mai 68. Cependant, ils s’écartent du freudo-marxisme et suivent Michel Foucault selon lequel ce qui caractérise l’histoire de l’occident est l’invention de la sexualité et, plutôt que sa répression, son rabattement sur le sexe (la différence des sexes). Car il n’y a pas de spontanéité du désir, qui est toujours pris dans des « agencements » (des formes de pouvoir qui ne sont pas réductibles à des systèmes répressifs). La libération du désir sera donc un nouvel « agencement » lui ouvrant de nouvelles potentialités.

Une autre forme de libération du désir est proposée par les situationnistes. Selon ce groupe d’artistes et de polémistes une situation est un moment où les passions, le jeu, les désirs, la liberté, la créativité, s’expriment. Ils sont donc en quête d’un projet social où ces situations seraient systématisées. Ils empruntent au marxisme la notion d’aliénation mais se focalisent sur la dimension culturelle de l’aliénation, de la réification des relations sociales. Ils étudient les modes de vie, les modes de pensée, la manière dont le système capitaliste aliène les individus dans leur vie quotidienne, leur manière de penser et de consommer. Cela prend en particulier la forme d’une brochure très diffusée « de la misère en milieu étudiant ». Les situationnistes s’efforcent d’expérimenter un mode de vie. En référence à la fête révolutionnaire théorisée par Henri Lefebvre cette expérimentation prend chez eux une forme extrêmement festive, extrêmement alcoolisée,  où les désirs se libèrent jusqu’à la transgression. Je les cite : « Les jouissances permises peuvent-elles se comparer aux jouissances qui réunissent à des attraits bien plus piquants ceux inappréciables de la rupture des freins sociaux et du renversement de toute loi ? » ou, sur un mode plus théorique « Il faut définir de nouveaux désirs en rapport avec les possibilités d’aujourd’hui« . Ainsi, la transgression festive se fait alternative à la « misère » existentielle de la société de consommation, proposée, selon eux, par le capitalisme (que Guy Debord critique dans « la société du spectacle » et Raoul Vaneigen dans le « traité de savoir vivre à l’usage des jeunes générations« ). C’est la multiplication de ce genre de déclarations tonitruantes appelant à une révolution dans les mœurs qui explique qu’on leur attribue les slogans de Mai 68 et en particulier le célèbre « jouir sans entraves » ou « ne travaillez jamais ».

Le mouvement hippie illustre également ce rejet libertaire des valeurs traditionnelles. A la fois hédoniste et critique du consumérisme (rendu possible par la croissance des années 60), ce mouvement s’est développé  aux États-Unis parmi la jeunesse des classes moyennes, dans le sillage des luttes pacifistes contre la guerre du Vietnam. Il a reflué à la fin des années 70 avec la paix et le commencement de la crise. Très créateur sur le plan artistique, il fut précurseur de l’écologie de la décroissance, de la contestation des formes traditionnelles de la famille et des relations sociales. Il pratiquait, sans le revendiquer, la révolution de la vie quotidienne et l’autogestion prônées par les situationnistes. Il a trouvé quelques échos dans des domaines comme la pédagogie avec des mouvements voulant laisser s’épanouir les désirs de l’enfant. (voir le succès phénoménal d’un livre comme « libres enfants de Sommerhill » de A. S. Neill).  Mais ce mouvement sans structure ni leader reconnu fut très rapidement désamorcé par une « société de consommation » qui s’en est très bien accommodée en le transformant en une mode propre à « ringardiser » les classes populaires laborieuses. D’autres mouvements, comme le mouvement Punk, plus proche des classes populaires, plus radical et plus violent, l’ont supplanté en faisant apparaitre qu’une libération des désirs n’est pas toujours un « flower power ». Pourtant le mouvement de libération est trop profond, c’est un courant trop large et qui vient de trop loin pour pouvoir être arrêté. L’Église catholique elle-même l’accompagne avec le concile Vatican II qui se tient de 1962 à 1965. La liturgie est modifiée pour la rendre plus œcuménique, plus accessible par l’abandon du latin et par la participation de laïcs. Peu à peu les consciences évoluent. En Amérique du sud, les évêques de la théologie de la libération proclament : «Nous sommes au seuil d’une époque nouvelle de l’histoire de notre continent, époque clé du désir ardent d’émancipation totale, de la libération de toutes espèces de servitude.»

La critique qui dénonçait l’aliénation de la vie quotidienne dans le travail est prise à contre-pied par les nouvelles formes de management. Luc Boltanski et Eve Chiapello, dan « le nouvel esprit du capitalisme » montrent qu’à partir du milieu des années 70, le capitalisme renonce au principe fordiste de l’organisation du travail basé sur la contrainte pour développer une nouvelle organisation en réseau, fondée sur l’initiative des acteurs et l’autonomie relative de leur travail. Désormais, les « collaborateurs » peuvent moduler leur temps de travail et son organisation selon leurs désirs pourvu qu’ils réalisent les objectifs qui leurs sont assignés. Cette relative liberté se paie au prix de leur sécurité psychologique et matérielle.

C’est une époque d’optimisme et de liberté qui semble s’ouvrir. Pourtant le doute s’installe. Avec le sociologue Jean Baudrillard le thème de la société de consommation trouve en France une consécration universitaire, quand il a fait paraitre « la société de consommation ». Il y explique que, dans les sociétés occidentales contemporaines, les relations sociales sont structurées par un élément nouveau : la consommation de masse. Dans cette approche, la consommation n’est plus, pour chaque individu, le moyen de satisfaire ses besoins,  mais plutôt de se différencier. Cette personnalisation tend à remplacer les différences réelles entre les individus. Baudrillard montre comment la publicité travaille à provoquer des désirs irrépressibles, créant  des hiérarchies sociales nouvelles qui ont remplacé, selon lui, les anciennes différences de classes. L’objet recherché fonctionne comme un signe, il n’est plus lié à un besoin défini et à travers lui le désir manque toujours son objet et se trouve indéfiniment relancé.

C’est d’un philosophe et sociologue, Michel Clouscard, que viennent dans les années 70 les premières interrogations. En se réclamant de Marx Clouscard entreprend la critique des philosophies du désir. Dans « Le capitalisme de la séduction » et « Néofascisme et idéologie du désir » il démontre que les Trente Glorieuses n’ont fait accéder la classe ouvrière qu’aux biens d’équipement nécessaires au procès de production (voiture, frigo etc.), et non à la consommation « libidinale, ludique, marginale » qui est l’apanage de la bourgeoisie et en partie des nouvelles couches moyennes qu’on qualifie souvent de « bourgeois bohèmes ». Il rappelle que si on peut voir une classe sociale consommer sans besoin, on n’a jamais vu de « société de consommation ». Si les travailleurs, qui sont le plus grand nombre, avaient accès aux biens qu’ils produisent, dit Clouscard, nous serions déjà dans le socialisme ! Il montre que le désir comme abstraction coupée de la production relève de la propagande fantasmatique. La libidinalité que propose Marcuse « n’est que le genre de vie des parvenus du nouveau système de profit. » Il montre qu’avec la guerre froide et le plan Marshall, se mettent en place les nouveaux « marchés du désir », nécessaires pour sauver le capitalisme de la crise. C’est un nouveau stade du capitalisme qui s’ouvre, le « stade suprême » de l’impérialisme, la colonisation systématique des âmes. L’esprit du capitalisme n’en est plus à l’austérité pénitentielle, mais au jésuitisme de la séduction qui se résume pour les classes populaires par un « tout est permis … mais rien n’est possible » Le sociétal, le « jouir sans entraves », occulte la lutte des classes. On passe d’une morale de l’effort à une morale de la libération du désir qui crée l’envie nécessaire au maintien de la production capitaliste. Ainsi les libertaires qui pensent s’opposer au capitalisme par la promotion de la jouissance en sont les agents inconscients. La pensée 68 dont ils font la promotion n’est que l’idéologie la plus adaptée à la nouvelle étape du capitalisme. Dans la même veine, le philosophe J.C. Michéa se réclame d’Orwell et se fait le défenseur de la « Common decency ». Certains cercles d’extrême droite tentent de tirer les thèses Clouscardiennes dans le sens de la promotion d’une société réactionnaire et répressive.

Le sociologue Alain Ehrenberg soutient, dans « La fatigue d’être soi » (1988), que le passage d’une personnalité dominée par un surmoi prédisposant à la névrose à une personnalité dont le Moi, libéré de tout interdit conduit à une société dépressive où la consommation d’anxiolytiques explose, car ce Moi se trouve confronté à la dureté de la réalité et à ses insuffisances. La sociologue Eva Illouz diagnostique un mal-être provoqué par les relations instables que permettent les réseaux sociaux (tel que Tinder). Elle est auteur de « La Fin de l’amour, enquête sur un désarroi contemporain » 2020. Cette vision pessimiste est contredite par le sociologue britannique Anthony Giddens, (La transformation de l’intimité. Sexualité, amour et érotisme dans les société modernes. 2004) selon qui nous serions entrés dans des sociétés émancipées plus harmonieuses où, contrairement à la relation conjugale traditionnelle reposant sur les idées de fidélité, de durée, et de maternité, la relation amoureuse, qu’il appelle « relation pure », se perpétue tant que les deux partenaires jugent « qu’elle donne suffisamment satisfaction à chacun pour que le désir de la poursuivre soit mutuel ». Dans cette société, la relation amoureuse devient « sexualité plastique » : « une sexualité décentrée affranchie des exigences de la reproduction », conforme aux préconisations de la littérature de développement personnel. Cependant, tout récemment, l’anthropologue Emmanuel Todd, dans « les luttes de classe en France au XXIème siècle » montre que la réalité est loin de ces visions qu’elles soient optimistes ou pessimistes et que contrairement à ce que disent les idéologies du désir, les mœurs des classes populaires, loin de s’anarchiser, se sont au contraire normalisées au cours du XXème siècle tandis que les classes bourgeoises renonçaient au puritanisme.

Le philosophe et psychanalyste Dany Robert Dufour dénonce également cette idéologie du « jouir sans entrave » dans « la cité perverse » et « l’individu qui vient ». Il en fait l’essence même du marché libéral dans lequel, selon lui, les lois de la jouissance ont pignon sur rue. Où chacun est invité à saisir toute occasion de se donner des signes de prestige, à se conformer à l’anticonformisme, à se rebeller contre les tabous, à s’individualiser par tous moyens et à reconnaitre que le bonheur est dans la satisfaction primaire. Ce à quoi réussit tout particulièrement l’art contemporain selon Alain Troyas et Valérie Arrault (auteurs de « du narcissisme de l’art contemporain« ). Dany Robert Dufour voit poindre cette idéologie amorale aux sources mêmes du capitalisme en 1704 dans des écrits comme « la fable des abeilles »  de B. Mandeville où l’auteur soutient que « les vices privés font le bien public »  qu’il suffit que, dans la ruche humaine, chacun se livre aveuglément à ses concupiscences pour que « s’élabore en ses rayons le miel du bonheur ». Il montre la résurgence au XXème siècle de cette philosophie au moment de la crise de 1929 quand un certain Bernays, qui se trouve être un neveu de Freud, fait défiler le 31 mars 1929, d’accortes mannequins à New York sur la 5ème avenue, dans une sorte de « female pride ». Une marche de la liberté. La presse avait été avertie : ces excitantes créatures allumeraient des torches of freedom… c’est à dire des cigarettes. Les cigarettiers avaient compris que cette moitié de l’humanité représentait un énorme marché pas encore enfumé. Il fallait libérer les femmes des préjugés moraux qui les avaient jusqu’ici opprimées. La recette a fait florès, elle est simple : mettre de la libido dans les produits de consommation, en faire des objets de désir. Les femmes étaient invitées à croire avoir « conquis leur liberté en dérobant aux hommes le petit phallus portatif qui était leur marque exclusive », commente Dany-Robert Dufour.

L’édition, la littérature, la presse et le cinéma ont exploité ce nouveau marché du désir libéré. Les œuvres du Marquis de Sade, déjà mises en valeur par les surréalistes, ont été rééditées en format poche dans les années 70. Elles ont ensuite été élevées à la dignité de l’art  par une exposition qui leur fut consacrée par le musée d’Orsay. En littérature, citons pour la période contemporaine : Henri Miller, Jean Genet, Pierre Louÿs, Anaïs Nin, plus près de nous, plus crus encore, mais dans une langue plus plate Michel Houellebecq et Viginie Despente, ou accompagné d’une invention verbale par Pierre Guyotat. Dans la presse Charlie Hebdo et jusque dans la chanson. Dans les années 70, à côté de films d’avant-garde provocateurs ( L’Empire des sens, Salo ou les 120 jours de Sodome ) apparaît un cinéma érotique ( Emmanuelle, Histoire d’O, Le Dernier Tango à Paris ). Dans les années 80 et 90, d’autres films feront parler d’eux en franchissant à chaque fois une nouvelle étape dans la mise en scène du sexe : de Basic Instinct à Baise-Moi . Pendant ce temps le cinéma pornographique (classé X) devient une industrie à part, très lucrative. Évidemment la publicité accompagne ce mouvement et s’en fait la caisse de résonance. Elle se dévoile elle-même quand, en 1981, elle lance une campagne d’affichage montrant une jeune mannequin du nom de Myriam à demi dénudée avec l’annonce « le 4 septembre j’enlève le bas » – ce qui est fait et a un tel retentissement qu’on parle d’affiches Myriam. La publicité a l’immense avantage de rendre visible de tous la philosophie (ou du moins l’idéologie) qui sous-tend tout cela, idéologie que j’ai qualifiée de « Nietzschéisme de beau parleur » (voir le commentaire sous l’article en référence). Elle double la réalisation fantasmatique du désir de l’illusion du « privilège » ou de « l’avantage » qu’elle promet sans vergogne. Elle suscite et relance constamment un désir vide qui cherchera à se combler dans les objets que les annonceurs lui proposeront. C’est du moins le fantasme d’une industrie qui « prend ses désirs pour la réalité! » mais échoue toujours (ex. la jeune Myriam quitte la France et se tourne vers le bouddhisme et la « danse libératrice »).

En sciences humaines, domaine qu’on croirait loin de tout cela, le livre de Magaret Mead « Adolescence à Samoa« , paru en 1928, est réédité et très largement diffusé, alors même qu’il est contesté par les spécialistes. L’auteur y soutient que l’adolescence n’est pas une étape nécessaire entre l’enfance et l’âge adulte : si « l’âge ingrat » est aux États-Unis une période de trouble, où l’apparition des premiers émois sexuels provoque un dérèglement des esprits et une révolte contre l’autorité, l’ethnologue affirme qu’il n’en va pas de même dans les îles Samoa. En effet, les jeunes adolescents des deux sexes y ont une sexualité libre et heureuse : garçons et filles peuvent nouer plusieurs relations à la fois ou pratiquer l’homosexualité, et tout cela est accepté par la société samoane.

A la conception élitiste de la culture voulue par André Malraux succède avec Jack Lang une culture ludique qui, à l’image de la « fête de la musique », vise le divertissement plutôt que l’éducation (surtout politique). On passe d’une culture Majuscule, mais réduite à l’art, à une culture complaisante, une culture de la rue et « des quartiers ». Cette culture n’est en fait qu’une mode mondialisée (culture pop, culture hip hop). Les années « fric et frime » commencent. On érige la réussite en religion (qui n’a pas sa Rolex à cinquante ans a raté sa vie). Tout est basé sur le paraitre. Le luxe et la mode, le culte du corps, sont un marqueur social tandis que l’ouvrier et les classes populaires disparaissent des représentations.

Cette vague libertarienne s’est ensuite amplifiée jusqu’à l’éclatement de la perversité vantée  sous une forme romancée par  des intellectuels comme Frédéric Mitterrand (« la mauvaise vie ») ou Grabriel Matzneff qui vont jusqu’à faire de la pédophilie une liberté conquise. Ce qui est nouveau chez ces auteurs c’est qu’on passe de la défense de la pédérastie à son illustration. Ce qui était une transgression chez André Gide (Corydon, 1911, 1924) ou tout juste évoqué chez Roger Peyrefitte (Les amitiés particulières, 1943) est proclamé comme un droit comme il l’était dans la Grèce antique avec le mythe du rapt de Ganymède par Zeus ! La culture populaire suit le mouvement. Le procédé de marketing New Yorkais se répète dans l’incitation à la consommation pornographique proposée aux femmes avec le film « cinquante nuances de Grey« . Mais dans le même temps, sous la pression des féministes, la loi sur le viol devient nettement plus répressive, le non consentement du mineur est présumé. La vague qui montait et s’enflait depuis le début siècle, se brise et le ressac s’annonce. L’outrance semble devenue la norme mais devient tragique avec le développement de l’épidémie de Sida. Le désir se heurte soudain aux limites du monde quand le premier choc pétrolier et le club de Rome confrontent le monde à la fin de la croissance. La menace écologique d’abord vague dans les années 70 se précise de jour en jour. Le changement climatique, le déclin de la biodiversité, l’érosion des sols, la pollution des eaux et l’accumulation des déchets toxiques, obligent à admettre que nous devrons renoncer au toujours plus. Certes l’outrance cherche un nouveau souffle, un nouveau monde, une nouvelle forme d’humanité. On la retrouve, vêtue de science, dans le transhumanisme avec le désir ultime de dépasser les limites de la condition humaine et d’abolir la mort. Dans un autre registre, sous le voile de la philosophie la plus exigeante, on voit la philosophe queer Judith Butler remettre en question les fondements même de l’humanité et soutenir, dans « trouble dans le genre », que l’être humain est originellement homosexuel et que l’Œdipe et l’hétéro sexualité sont une violence qui lui est imposée par une société patriarcale. Elle se fixe comme objectif de « lesbianiser le monde » c’est-à-dire de restaurer la prééminence de l’homosexualité et d’en  faire la norme dans une société où la différence des sexes serait dépassée. Alors que dans les universités s’ouvrent des départements « d’études de genre », le désir devient un argument qui veut s’imposer sans restriction et fonder le droit. Mais nous avons changé de siècle. La période contemporaine est celle du ressac avec l’éclatement des dénonciations telles que le mouvement « Me Too ». Les mouvements populaires les plus puissants ne sont plus ceux du quartier latin, ni ceux des défilés entre République et Bastille, ce sont les immenses manifestations réactionnaires de « la manif pour tous » qui ont mobilisé jusqu’à un million de personnes. Nombre des anciens soixante-huitards se reconvertissent dans le neo conservatisme. Pourtant, quelque chose a été déposé sur la grève que le retour de la vague ne peut pas emporter. Une autre vague s’enfle déjà. Le XXIème siècle ne sera pas le siècle du désir.

 

Rapport social de sexe (9) : retour final à Marx

image 1L’ensemble des rapports sociaux est modelé par le mode de production dominant et ne peut guère évoluer indépendamment de lui. L’idéologie ne joue qu’un rôle second. Retraçant l’histoire de la condition féminine, Simone de Beauvoir l’affirme : « Ce ne sont pas les idéologies : religion ou poésie, qui conduisent à une libération de la femme ». Les idéologies justifient et renforcent les systèmes de domination, elles ne peuvent, par elles-mêmes, ni les fonder ni les détruire. On ne doit donc pas s’étonner que l’invention de nouvelles formes de famille échoue généralement ; que, par exemple, dans les sociétés qui ont légalisé le mariage homosexuel, cette mesure n’a rien changé de positif aux rapports sociaux de sexe (RSdS) et encore moins aux autres rapports sociaux : elle n’a satisfait le plus souvent que des intérêts à courte vue et elle flatte des aspirations tout de suite déçues. C’est certainement pourquoi cette mesure, qui semble intéresser surtout la petite bourgeoisie intellectuelle, est si volontiers validée par le versant « de gauche » de l’idéologie dominante. Elle égare le processus d’émancipation plutôt qu’elle y participe. La question féminine est brouillée et même parfois occultée, quand elle est posée dans ce cadre. Elle est désintriquée des autres rapports sociaux. Elle est alors traitée sur le plan des mœurs comme une question « sociétale », comme si les problèmes d’inégalité étaient réglés ou secondaires, ce qui désarme en fait les mouvements féministes.

Il faut tout de même reconnaitre quelques aspects positifs à l’idée de « genre ». Ce qui fait sa force dans son usage courant et raisonnable c’est qu’elle met en avant la différence sexuelle dans sa dimension de construction sociale et historique. Cela lui confère un fort pouvoir mobilisateur. Elle critique la « théorie de la nature » en voulant démontrer que celle-ci étaye une stratégie politique de domination qui va de la domination des hommes sur les femmes pour s’étendre aux autres formes de dominations. Elle fait cela en lui opposant une autre stratégie politique. Elle est consciemment politique pour s’opposer à des faits politiques bien souvent non perçus comme tels jusqu’alors. Elle pense la différenciation biologique comme le support qui permet d’assigner aux deux sexes des fonctions à la fois différentes et séparées. Elle met l’accent sur les productions culturelles de significations qui viennent s’ajouter et donner sens aux différences biologiques et elle ouvre ainsi le champ de la critique des représentations, ce qui donne de nouvelles dimensions aux revendications féministes. Le féminisme exprimé en termes de « genre » peut ainsi rompre avec ses origines trop raisonnables et modérées qui considéraient que le premier devoir d’une femme est d’avoir des enfants, que la maternité comme fonction sociale était le plus sûr moyen pour les femmes de faire valoir leurs droits. Ce renversement de ce qui apparaissait comme une évidence naturelle s’est fait au détriment des luttes sociales, mais cela a permis en revanche un épanouissement des luttes spécifiquement féministes, sur des problèmes qui peuvent aller jusqu’aux anomalies grammaticales. Si ces luttes spécifiques sont, nous l’avons vu, souvent brouillées par les agitations homosexuelles ou assimilées, elles n’en sont pas moins réelles et importantes.

Mais l’aspect mobilisateur de l’idée de genre est annulé dans ses formes les plus diffusées (à la fois par les médias et l’université). Le versant négatif l’emporte. Le positif s’inverse en négatif. Ainsi, le féminin et le masculin sont vus, par les théories du genre, comme le résultat d’un processus de formation ou de déformation des personnes à travers l’éducation et les attentes d’une société organisée autour du principe du patriarcat. Dans la lignée des études de Margaret Mead, les tempéraments émotifs ou dominateurs ne sont plus vus comme les attributs naturels des sexes biologiques, féminin ou masculin, (liés au taux de testostérone), mais comme des rôles pouvant être endossés selon les cultures par l’un ou l’autre sexe. L’avantage de cette approche, même si elle est contestée dans le cas de Margaret Mead, est d’ouvrir la voie à la possibilité de penser des variations et des changements des rôles sociaux. Il parait désormais possible de faire ou de défaire le genre. Dans leur article « Doing gender », en 1977, les sociologues Candace West et Don Zimmerman, considèrent que le genre se réalise dans les interactions quotidiennes entre les individus (et c’est ici que commence le renversement idéologique et le passage à l’idéalisme et son corollaire l’agitation volontariste). La relation sociale (inter individuelle) est vue ici comme productrice du rapport social plutôt que comme la modalité d’accès à un rapport social qui en retour agit sur elle tout en étant lui-même façonné par le mode de production dominant. L’ordre des déterminations est inversé : c’est la relation sociale qui est déterminante et non plus elle qui est déterminée par les rapports sociaux eux-mêmes modelés par le mode de production. Une théorie individualiste est substituée à un modèle organisationnel. L’idée de rapport social de sexe est occultée et les luttes sociétales s’imposent au détriment des luttes politiques.

Dans « trouble dans le genre », Judith Butler va encore plus loin et soutient qu’on n’est pas homme ou femme, mais qu’on « performe son genre », qu’on joue à l’homme ou à la femme. Pour justifier cette thèse, elle est contrainte de surévaluer le rôle du langage (car l’idée de performativité vient de la théorie du langage). Dans la théorie de John R. Searle, les réalités sociales sont construites par des actes sociaux et linguistiques. Judith Butler prolonge cela et prend à son compte cette théorie sociale (constructiviste) de la réalité à travers la performativité. Mais pour légitimer cette opération, elle doit faire penser que l’identité sexuelle n’est pas une réalité naturelle mais une construction performative. Elle pose comme équivalents tous les genres, sans pouvoir identifier le bénéfice social ou personnel qui peut amener à « performer » un genre qui sera discriminé et qui peut être destructeur pour celui ou celle qui l’adopte. Comme chez Gayle Rubin, c’est la contrainte du « système sexe/genre » qui explique en final la domination masculine : l’activité répressive du « système » construit le genre en fonction d’une hiérarchie qui accorde des privilèges à certaines formes de comportements sexuels, les autres étant sanctionnées socialement d’une manière ou d’une autre (mais étant en elles-mêmes de valeur égale).

image 3Nous avons, par ailleurs, déjà critiqué l’illogisme de ce genre de théorie. Il n’est pas utile d’y revenir. Rappelons seulement que ce type de théorie renie ce sur quoi elle construit ses catégories : on ne peut concevoir une ambiguïté sexuelle qu’en reconnaissant d’abord implicitement la différence des sexes. La théorie de la performativité se révèle alors elle-même contre performative. Par ailleurs cette théorie entretient une équivoque : le choix d’un genre est présenté à la fois comme le fait d’une « performance » et comme la révélation de la nature de la personne. Le naturalisme qui est fortement critiqué, se réinstalle insidieusement pour justifier que tous les « genres » ont une égale légitimité. Les obscurs développements psychanalytiques de Judith Butler au sujet de la « mélancolie de genre » tendent même à soutenir que la sexualité originaire est d’abord homosexuelle, que le complexe d’Œdipe est d’abord l’abandon d’une sexualité primaire homosexuelle. Pour se renforcer, la théorie de la performativité s’intègre dans une théorie qui insiste sur le caractère performatif des rituels. Le rituel est alors considéré comme ce qui crée le social. Mais là encore on constate une ambiguïté (signe d’un idéalisme philosophique non assumé) qui renouvelle et répète celle déjà soulignée. Ainsi Christoph Wulf Dans « la reconstruction transculturelle de la justice », se réfère à Judith Butler quand il évoque les « rituels qui régissent les relations entre les sexes, lorsque l’enfant est désigné de façon répétée comme ‘garçon’ ou comme ‘fille ‘ et est ainsi assigné à une identité de genre ». Mais dans le même texte, il s’interroge et écrit : « le rituel naît-il de l’ordre social ou celui-ci se génère-t-il par les rituels ? ». Il ajoute « la réponse est indécidable » ce qui ne l’empêche pas de récapituler les principales fonctions des rituels en commençant par ces deux affirmations : « 1. Ils créent le social en faisant naître des communautés dont ils sont l’élément organisateur et dont ils garantissent la cohésion émotionnelle et symbolique. 2. Ils créent l’ordre en fabriquant des structures sociales qui garantissent la répartition des tâches … ». Quelques pages auparavant, il soutenait que le rituel « instaure un ordre et la hiérarchie qui lui est liée. L’ordre, en effet, traduit des rapports de pouvoir : entre les membres de différentes couches sociales, entre les générations, entre les sexes ». Le rapprochement de ces différentes affirmations fait clairement apparaître une volonté de souligner et de généraliser le caractère performatif des rituels, une tentation d’étendre ce caractère performatif et constructiviste aux rapports de classes, de générations et de sexes qui seraient « fabriqués », mais il met en évidence que cette tentation est freinée et même rendue insoutenable face à la factualité de ces rapports, face au fait que le rituel n’existe et ne peut se penser performatif que pour autant que ce qui est performé est déjà là dans l’organisation sociale (par exemple, les rites de passage à l’âge adulte ne sont concevables que parce que l’enfant devient effectivement pubère). Ainsi, l’affirmation du caractère indécidable de la théorie de la performativité des rituels paraît bien construit par la théorie elle-même, il n’est qu’un effet voulu et entretenu par la théorie.

Pour répondre à toutes ces théories, il faut et il suffit de revenir au matérialisme et commencer par rappeler le rôle anthropologique des rapports sociaux. Un seul exemple suffit : Nous avons vu que l’histoire de l’instinct maternel tel qu’il a été étudié par E. Badinter, nous a amené à prolonger l’idée venant de Marx que les rapports sociaux sont constitutifs de la personne : ils semblent pouvoir lui imprimer jusqu’à ses sentiments et par là les comportements qui s’en suivent. Les sentiments, s’ils ont une base physiologique (donc naturelle), sont aussi modelés socialement. Ce qui fait problème ce n’est pas l’observation de la variété des désirs et des sentiments, mais c’est ce qu’implique la notion de « construction » ou de « performance ». Il faut s’arrêter sur le mot « construire ». Construire n’implique pas un néant préalable, comme le voudrait Judith Butler, et ne semble pas être le mot juste. Il faut certainement mieux parler de modeler. L’idée d’un modelage ou d’un façonnage semble plus exacte (et clairement matérialiste) car, le fait se vérifie que, chaque fois que les conditions sociales ne tuent pas le sentiment d’amour maternel, les mères quasi unanimement aiment leurs enfants. Si cela n’avait pas l’allure d’une explication ad hoc, on pourrait d’ailleurs dire que les mécanismes biologiques qui favorisent ce sentiment ont été sélectionnés naturellement parce qu’ils se sont révélés favorables à la survie de l’espèce. Un sentiment ou un désir atrophié et nié n’en existe pas moins potentiellement (surtout s’il se fonde sur des processus biologiques aussi puissants que ceux de la sexualité). De la même façon, le long et difficile développement de la sexualité jusqu’à la puberté l’expose à des obstacles qui peuvent la dévier, l’atrophier ou l’exacerber. Cela ne devrait pas autoriser à nier qu’il puisse y avoir une forme de sexualité vers lequel ce processus tend et qui est, du point de vue de la société, légitimement souhaitable.

image 2Les théories du genre sont contestables dans leurs bases philosophiques. Celle de Judith Butler est clairement une construction intellectuelle idéaliste qui nie des évidences. Il n’en faut pas moins reconnaître, que les idées développées dans un article comme « doing gender » ont l’avantage d’être mobilisatrices et même volontaristes. Elles impliquent que ce qui s’est fait peut se défaire et qu’en conséquence aucune fatalité sociale ne pèse sur la condition féminine. On peut faire et défaire le genre, c’est-à-dire modifier profondément la conception qu’une société peut avoir des relations entre les sexes. Le rappel de la puissance des contraintes exercées par les rapports sociaux souligne le caractère largement illusoire de ce volontarisme et son fondement philosophiquement idéaliste. Mais ce rappel a peut-être l’inconvénient de trop de lucidité. L’insistance sur le fait que le rapport social de sexe est imbriqué dans les autres rapports sociaux peut être utilisée pour justifier de différer toute action voulant modifier ce rapport au motif qu’il faudrait d’abord instaurer une société sans classes. Nombreux sont donc les écueils à éviter. Ainsi, la philosophe Christine Delphy a opposé à cela une théorie fondée sur le concept de « mode de production domestique ». Dans « l’ennemi principal », elle veut critiquer ce qu’elle pense être la conception marxiste dominante en écrivant : « L’oppression des femmes est vue comme une conséquence secondaire à (et dérivée de) la lutte des classes telle qu’elle est définie actuellement — c’est-à-dire de la seule oppression des prolétaires par le Capital». Mais si la critique peut se justifier face à la réduction du marxisme à un économisme, elle lui oppose un autre économisme puisqu’elle fait de la relation des sexes la base d’une exploitation économique. En soutenant que la société est fondée sur deux modes d’exploitation, elle introduit une confusion qui vide les concepts de mode de production et de marchandise de tout contenu clair. Elle écrit : « On constate l’existence de deux modes de production dans notre société : la plupart des marchandises sont produites sur le mode industriel ; les services domestiques, l’élevage des enfants et un certain nombre de marchandises sont produites sur le mode familial. Le premier mode de production donne lieu à l’exploitation capitaliste. Le second donne lieu à l’exploitation familiale, ou plus exactement patriarcale ». Christine Delphy le souligne elle-même : on ne saurait identifier le travail domestique avec les seules tâches ménagères. Elle admet que l’entretien et l’éducation des enfants, qui font aussi partie de ce travail, et ces tâches, sont aussi effectués par les hommes (même si les femmes s’occupent toujours des tâches les plus répétitives, etc.). Or, ce travail effectué par les hommes n’est pas payé non plus. Cela suffit à invalider le cadre conceptuel dans lequel elle le pense. Le travail domestique ne produit rien qui soit échangé ; il n’incorpore aucun surtravail puisqu’il n’y a aucune vente d’une force de travail ; son produit n’a à aucun moment les propriétés d’une marchandise puisqu’il n’est pas échangé sur un marché. La conception développée par Pierre Bourdieu essaye échapper à cette critique en expliquant « la domination masculine » par ce qu’il appelle « l’économie des biens symboliques ». Mais il ne parait retrouver avec ce concept que ce que dit en clair l’idée de rapports sociaux imbriqués tout en l’évitant. Il écrit ainsi : « Seule une action politique prenant en compte réellement tous les effets de domination qui s’exercent à travers la complicité objective entre les structures incorporées (…) et les structures des grandes institutions où s’accomplit et se reproduit non seulement l’ordre masculin mais aussi tout l’ordre social (…) pourra, sans doute à long terme, (…)contribuer au dépérissement progressif de la domination masculine ». On retrouve en effet ici, dans l’expression « tous les effets de domination », l’idée que les rapports sociaux se conjuguent pour modeler la condition personnelle des femmes comme des hommes, qu’ils sont donc imbriqués, que les « grandes institutions » comme la famille sont le lieu de leur nouage et de leur reproduction. De la même façon la théorie de la sociologue Joan Acker rend compte de cette intrication en utilisant le vocabulaire de la théorie des organisations. Elle envisage le genre comme une structure sociale ou plus précisément comme une sous-structure au sein des organisations. Elle observe que les « organisations de travail » incorporent des « structures de genre » c’est-à-dire que la domination masculine et la domination économique se conjuguent. Les postes de pouvoir sont le plus souvent occupés par des hommes. Cela est théorisé en adaptant l’idée de genre pour y introduire l’imbrication des formes de rapports de domination. Par exemple : « le cœur de la définition du genre repose sur le lien radical entre deux propositions : le genre est un élément constitutif des relations sociales fondées sur la différence avérée entre les sexes ; et le genre est la première façon de signifier les relations de pouvoir».

Ainsi, quand elle va au-delà du travail de sape des identités et qu’elle vise une réelle amélioration de condition féminine, la notion de genre retrouve un élément essentiel de ce qui est déjà contenu dans l’idée de rapports sociaux. Elle analyse les rapports hommes/femmes comme des rapports de pouvoir seulement elle le fait, non en s’efforçant de faire évoluer un rapport social mais en contestant ce qu’elle appelle « la normativité masculine et hétérosexuelle dominante ». Elle combat une idée (une norme) et non ce qui fonde la norme. C’est sur ce dernier point qu’elle trouve sa principale faiblesse. Les théories du genre considèrent implicitement que la domination masculine est induite par la norme dominante, qu’elle est avant tout une affaire de culture ou de mentalité. Elles sont toutes en cela plus ou moins explicitement idéalistes.

image 4A l’inverse l’idée de rapport social a pour corollaire que le rapport social n’est pas produit par la norme mais qu’il est producteur de normes. Le rapport social est organisé dans les sociétés anciennes sous la forme de la religion, puis dans les sociétés complexes et développées, il se régule sous la forme du droit. Dans les sociétés anciennes, les rituels religieux constituent des dispositifs sociaux qui scandent les événements et les âges de la vie (naissance, mariage, mort). Par ces rituels se donnent à voir et s’affirment un ordre et des hiérarchies par le biais d’une action sociale commune qui fait sens. Dans les sociétés modernes, ces dispositifs prennent la forme d’institutions qui sont organisées sous une forme juridique. De ce fait, elles sont contestées dans les termes du droit et les aspirations à l’émancipation s’expriment alors sous la forme de la proclamation de droits fondamentaux. Ce lien essentiel entre rapport social et droits fondamentaux ne peut être compris que dans la théorie des rapports sociaux telle que nous l’avons pensée en partant du concept marxiste d’essence humaine comme « ensemble des rapports sociaux ». L’idée de rapports sociaux a aussi l’avantage de permettre de rendre compte des contraintes exercées par le mode de production (évoluant lui- même historiquement sur la base du développement des forces productives et des rapports sociaux correspondants). Les rapports sociaux comme le mode de production et par là l’essence humaine ne se conçoivent que pris dans un processus de développement historique et naturel. Ces concepts appartiennent à une philosophie dont la base est à la fois matérialiste et dialectique. Ce qui fait la force de cette philosophie, c’est qu’elle permet de penser le lien originel, la communauté d’essence, entre ces trois réalités que sont les rapports sociaux, l’essence humaine et les droits fondamentaux. Elle permet de fonder véritablement les droits fondamentaux et de les ramener du côté des dominés comme arme en vue de l’émancipation humaine.

RSdS (6) : l’offensive de la théorie du genre

image 1La théorie du genre est foisonnante et multiple. Il n’est possible que d’en présenter les formes les plus remarquables. Celle de Judith Butler, telle qu’elle est développée dans « Trouble dans le genre » est sans doute la plus en vue mais c’est aussi l’une des plus extrémistes. On peut l’aborder par la préface d’Eric Fassin pour l’édition française de l’ouvrage.

Cette préface présente le tableau d’une thèse centrale protégée par des couches théoriques. Il faut, en effet, dire « protégée » et non pas justifiée ou démontrée car ces couches théoriques viennent d’horizons différents et non compatibles entre eux. La couche principale est constituée par la théorie de la performativité venue de la philosophie du langage (Austin). Judith Butler reconnait que les critiques sur l’emploi qu’elle en a fait sont justifiées. C’est pourquoi sans doute viennent s’ajouter une seconde et une troisième couche. La seconde est empruntée à Althusser, c’est l’idée « d’interpellation » (notion utilisée métaphoriquement dans « Idéologie et appareils idéologiques d’État » pour expliquer la constitution du sujet c’est-à-dire de la personnalité). La troisième référence est l’idée d’habitus développée par Pierre Bourdieu. Sous ces couches protectrices le statut de la notion de genre reste dans le vague ; Eric Fassin écrit : « Ce n’est pas une proposition métaphysique, mais plutôt un postulat méthodologique ».

Quelle est donc la thèse qui est ainsi à la fois posée et masquée ? Sa formulation la plus claire est la suivante : « Le genre n’est pas notre essence, qui se révélerait dans nos pratiques ; ce sont les pratiques du corps dont la répétition institue le genre. L’identité sexuelle ne préexiste pas à nos actions ». Autrement dit ce sont nos comportements qui nous font ce que nous sommes. Cela vaut aussi bien pour le fait d’être homme ou femme que pour le fait d’avoir un comportement sexuel hétérosexuel ou d’une autre forme. Identité biologique à la naissance et comportement adopté sont mis sur la même plan.

L’affirmation du caractère construit et fondamentalement instable du genre se veut critique et en particulier critique de toute la philosophie occidentale ! Car selon ce qu’écrit Eric Fassin : « la philosophie semble proposer une théorie générale du genre, indépendamment des contextes historiques où il se déploie ». Clairement cette observation fait l’impasse, entre autres, sur le marxisme et sa théorie des rapports sociaux, des formes historiques d’individualité (voir Lucien Sève). La conséquence de l’évitement du marxisme se retrouve dans l’idée qu’il y aurait une norme sociale constituée s’adressant à tous. Par exemple : « l’hétérosexualité offre des positions sexuelles normatives qu’il est intrinsèquement impossible d’incarner ». Autrement dit la société proposerait un modèle idéal de masculinité ou de féminité impossible à réaliser. Cet a priori parait très contestable. En effet, chaque individu entre dans les rapports sociaux depuis un lieu qui lui est propre, il n’a qu’un accès nécessairement limité à l’éducation, à la culture, à l’information et plus généralement aux autres. Ce ne sont pas un modèle et encore moins un idéal qui sont proposés (par qui concrètement le serait-il d’ailleurs ?) mais c’est une multitude d’images concurrentes qui assaillent chacun et voudraient lui imposer sa conduite et surtout sa consommation à travers la publicité, le cinéma, la pression du milieu familial, professionnel et local etc.

Il y aurait selon Judith Butler une difficulté à se conformer à la norme. Il me semblerait que la difficulté soit, au contraire, de se constituer un modèle permettant de se construire et de se stabiliser. Ce qui caractérise notre société, c’est bien plus l’instabilité des représentations que l’imposition d’une norme claire. Il me semble que sur ce plan, la théorie du genre manque complétement la réalité de notre société. Son projet politique est particulièrement original. Judith Butler l’exprime ainsi : «ouvrir l’horizon des possibilités pour les configurations de genre » ou encore « inventer, subvertir ou déstabiliser de l’intérieur une identité construite ». En clair, renverser toute espèce de norme comportementale.

image 2La finalité d’un tel projet n’est pas claire. Ce qui est clair c’est que l’ennemi est désigné : c’est le féminisme. Il s’agit d’en détruire les fondements. Judith Butler lui conteste le droit de prétendre représenter les femmes ! Elle lui demande de renoncer au « sujet femme ». Cela donne dans son langage : « Peut-être la ‘représentation’ finira-t-elle paradoxalement par n’avoir de sens pour le féminisme qu’au moment où l’on aura renoncé en tout point au postulat de base : le sujet ‘femme’ ». Autrement dit : le féminisme sera représentatif quand il aura renoncé à représenter les femmes ! En cohérence avec ce projet Judith Butler emploie autant qu’elle le peut le mot « femme » en le mettant entre guillemets comme s’il existait bien une « catégorie », un mot « femme » mais que ce qu’il désigne n’était pas clair. Car n’existent pour Judith Butler que des « constructions ». Ainsi peut-on lire : « Le corps est lui-même une construction, comme l’est la myriade de corps qui constitue le domaine des sujets genrés ».

Ce qui est vraiment étonnant, dans la version extrémiste de la théorie du genre chez E.Butler dans « Trouble dans le genre », c’est qu’elle débouche sur une espèce de puritanisme. Elle nie le sexe et s’oppose à ce qu’on parle de sexe, qu’on décrive ou même qu’on désigne les attributs sexuels quels qu’ils soient. Toute la fin de l’ouvrage est sur ce thème une reprise et une longue paraphrase des thèses de Monique Witting.

Ainsi, on peut lire : « Witting considère que le « sexe » est une entité discursivement produite mise en circulation par un système de significations qui oppresse les femmes, les gais et les lesbiennes ». Mais, en quoi le fait de se désigner soi-même comme homme ou femme, ou de désigner quelqu’un comme homme ou femme peut bien oppresser qui que ce soit ? Eh bien, parce que c’est une « discrimination linguistique » ! Cette discrimination est de caractère politique car « la catégorie de sexe n’est ni invariante ni naturelle, mais qu’elle est un usage spécifiquement politique de la catégorie de nature qui sert les fins de la sexualité reproductive ». Il semble qu’il faut comprendre que désigner une femme comme femme c’est l’enjoindre à avoir une fonction reproductrice. Une prétention aussi intrusive est condamnable.

Witting, que Judith Butler paraphrase, fait de cette affaire un combat politique. On peut lire : « son objectif politique consiste … à renverser tout le discours sur le sexe, même à renverser toute la grammaire qui institue le « genre » — ou « sexe fictif » — comme attribut aussi essentiels aux humains qu’aux objets ». En clair, il s’agit de réformer la langue de telle façon qu’elle ne connaisse ni masculin, ni féminin. Rien dans la langue ne devrait évoquer une différence de sexe. Mais c’est surtout la description des corps qui pose problème. « Dans ses écrits théoriques et littéraires, [Witting] appelle à une réorganisation fondamentale de la description des corps et des sexualités sans recourir au sexe et, en conséquence, sans recourir aux différentiations pronominales qui régulent et distribuent l’accès autorisé à la parole dans la matrice du genre ». L’expression est assez alambiquée mais l’intention parait claire. Il s’agit d’éviter de dire quoi que ce soit qui permette de dire qu’on a affaire à un homme ou à une femme.

Il ne faut pas voir le sexe ! D’ailleurs le sexe est une illusion ; une illusion tenace puisque personne n’y échappe, mais une illusion tout de même. En tout cas, çà doit être traité comme une illusion dont il faut se débarrasser. En effet : « Bien qu’il semble que les individus aient une « perception directe » du sexe, telle une donnée objective de l’expérience, Witting soutient qu’un tel objet a été violemment façonné comme tel et que l’histoire ainsi que le mécanisme de façonnement violent ne sont plus visibles dans cet objet ». Pour qui ne comprendrait pas, la suite précise : « Par conséquent, le sexe est un effet de réalité produit par un processus violent ».

Ce processus violent reste énigmatique. Comment ne pas voir que c’est une chose étrange que cette violence que tout le monde subit et que tout le monde exerce. Dans cette affaire les oppresseurs et les oppressés sont les mêmes personnes si bien que personne ne ressent l’oppression et que personne n’a conscience d’exercer une oppression.

Mais, la pruderie ne parait être que l’attitude adoptée en milieu hostile. Elle s’inverse quand la théorie du genre devient un programme politique. La thèse, rappelons-le, est que « la catégorie de sexe et l’institution naturalisée de l’hétérosexualité sont des constructions, des fantasmes ou des « fétiches » socialement institués et régulés, des catégories non pas naturelles, mais politiques (des catégories qui prouvent que le recours au « naturel » est toujours politique) ». Puisque la question est politique, la riposte doit être politique. L’action va consister à renverser une construction fantasmatique universelle. Rude bataille, s’il en est ! Monique Witting ne cache pas que« seule une stratégie de guerre, qui soit de taille à rivaliser avec l’hétérosexualité obligatoire, arrivera effectivement à mettre en cause l’hégémonie épistémique de cette dernière »

image 3La théorie du genre extrémiste est en guerre! Elle mène une guerre totale ! Entrer dans cette guerre, c’est comme rejoindre le maquis. Cela se fait « en quittant définitivement les contextes hétérosexuels – à savoir en devenant lesbienne ou gai ». Car « c’est en lesbianisant le monde entier qu’on pourra vraiment détruire l’ordre obligatoire de l’hétérosexualité ». Mais attention, ce n’est pas la guérilla, c’est la guerre. Il y a une multitude de groupes de combat mais le mot d’ordre est l’unité. C’est l’unité d’action des groupes dispersés qui fait leur force. Ils doivent frapper ensemble, n’avoir qu’un seul drapeau. S’engager sous cette bannière revient « à ne plus reconnaitre son sexe, à être engagé-e dans une confusion et une prolifération des catégories faisant du sexe une catégorie d’identité impossible ». Ainsi, l’ennemi doit être submergé par le nombre et harcelé de tous les côtés à tel point qu’il ne reconnaitra plus les siens. En conséquence « Witting annule les discours dans les cultures gaies et lesbiennes en s’appropriant et en redéployant les catégories de sexes ». En clair, elle unifie sous l’étendard arc-en-ciel ce qui est dispersé, à savoir les « queen, butch, fem, girl, et même les reprises parodiques de dyke, queer, et fag ». Harcelé par toutes ces tribus confédérées, celui dont l’identité repose sur le fantasme « sexe » ne peut que s’affoler.

Parmi les assiégés se trouvent pris ceux qui se disent de sexe masculin comme celles qui se disent de sexe féminin. C’est parce qu’ils ou elles se définissent ainsi, qu’ils et elles sont dans la confusion. Pour les assaillants tout est clair. Witting le dit : « la lesbienne n’est pas une femme ». Elle peut donc « se couper de toute forme de solidarité avec les femmes hétérosexuelles et admettre implicitement que le lesbianisme est la conséquence nécessaire, logiquement et politiquement, du féminisme ». On pourrait se demander pourquoi ce fait doit être admis « implicitement ». La réponse semble être que cela ne doit pas l’être ouvertement car la guerrière du genre pratique l’entrisme. Elle investit les organisations féministes et les dynamite de l’intérieur en sommant ses membres de se faire lesbiennes. Elle fustige les tièdes qui restent aliénées à la domination masculine.

Judith Butler applaudit à cela, mais elle pense pouvoir faire mieux. Sa tactique ne parait pas aussi limpide qu’une stratégie napoléonienne. Elle la résume ainsi : « La stratégie la plus insidieuse et efficace serait de s’approprier et de redéployer entièrement les catégories mêmes de l’identité, non pas simplement pour contester le « sexe » mais aussi pour faire converger les multiples discours sexuels où est l’ « identité », afin de rendre cette catégorie sous toutes ses formes problématique ». En fait, Il s’agirait, semble-t-il, de s’attaquer non pas seulement à la catégorie de sexe (masculin/féminin) mais directement et globalement à toute espèce de catégorie et, de cette façon, de remettre en cause l’idée que c’est le social qui construit l’individu et forme son essence et non pas le « genre » qui serait construit (par qui et pourquoi, d’ailleurs ?).

On pourrait s’étonner de la place qu’occupe ce qui parait plus un instrument polémique qu’une théorie. Ce serait oublier que c’est justement son caractère polémique qui intéresse. Ce qui est visé dans cette négation de la réalité de la relation des femmes aux hommes, c’est que cette relation est la base d’un rapport social. La pensée de Judith Butler a le mérite, pour ceux qui en font la promotion, de proposer le tableau d’une société scindée, non en groupes sociaux antagonistes mais complémentaires, mais en communautés hétéroclites aux cultures, aux mœurs, et aux intérêts divergents (ce en quoi on peut la qualifier de postmoderne). Ce tableau relativise ou plutôt même ignore le rapport de classe, il oppose de supposés défenseurs de « l’hétérosexualité obligatoire » à ceux qui la vivraient comme une insupportable contrainte. La pensée de Judith Butler rend ainsi impossible d’analyser le fonctionnement social et la place des individus en terme de rapports sociaux (de sexe, de classe, de race etc.) intriqués et modelés par un rapport fondamental : le rapport de production. Son effet destructeur s’étend bien au-delà du féminisme.

Il est difficile de comprendre son influence sur des auteurs plus mesurés. Particulièrement chez un sociologue comme Pierre Bourdieu. Mais nous avons déjà traité ce sujet et nous n’y reviendrons pas puisque les articles du 7 et du 10 février 2013 sont consacrés à l’ouvrage « la domination masculine ». Le lecteur est invité à lire ces articles : il pourra y trouver la même négation de la différence des sexes sous un appareillage théorique tout aussi ambitieux et sophistique et qui vise clairement cette fois une dénaturation ou une liquidation du marxisme (qui aurait ignoré « l’économie symbolique »).

RSdS (5) : subversion du féminisme par le genre

image 1L’article précédent a montré que les débats idéologiques entre différentialistes et universalistes ou entre naturalistes et culturalistes divisent inutilement les féministes. Les conceptions qui s’opposent ont en commun de rejeter sans examen l’idée de rapport social de sexe (RSdS). Pourtant, ce concept permet de comprendre que la relation entre les sexes n’a jamais été une relation seulement exclusivement interpersonnelle. Elle est toujours prise dans un rapport social qui se traduit par la présence d’institutions, de normes et de rituels. Ce qui est premier dans l’évolution du rapport entre les sexes, n’est pas la forme des relations interpersonnelles (la forme de la vie amoureuse) mais l’évolution du rapport social. C’est le rapport social, sous la forme de la tradition, des institutions et des usages, qui commande la forme de la relation interpersonnelle, et non l’inverse. Faire évoluer les relations entre les sexes exige par conséquent de modifier les structures mêmes de la société, les institutions, les représentations, la législation en sachant que le rapport social de sexe est intriqué aux autres rapports sociaux en un système qui prend la forme d’un mode de production. Or, le féminisme dans le dernier quart du 20ème siècle est allé à l’inverse de cela en abandonnant de plus en plus les questions sociales pour se concentrer sur celles de la sexualité (contraception, avortement) comme si ces questions n’étaient pas liées étroitement aux questions sociales. Le féminisme a porté ses attaques contre les mentalités, un atemporel « patriarcat », sans poser la question de leur origine, de ce qui les entretenait. Il a fait de la libération de la femme une affaire de développement personnel plus qu’une question sociale. Cela a ouvert la voie à une nouvelle idéologie qui occupe aujourd’hui tout l’espace médiatique : l’idéologie du genre.

La question du féminisme, déjà marquée par les oppositions dommageables entre différentialistes et universalistes, naturalistes et culturalistes, est encore brouillée par celle du « genre ». Cette nouvelle notion vient obscurcir encore plus la question du rapport social de sexe. Elle vise à l’occulter complétement. C’est, en effet, une notion fortement idéologique. L’idée de « genre » vient du monde anglo-saxon et des mouvements activistes en matière de libération sexuelle. Elle se déploie dans deux directions opposées qu’elle s’emploie à concilier. Elle est à la fois « culturaliste » et « essentialiste ». Elle répète et amplifie les oppositions déjà présentes dans le féminisme. Elle va vers le culturalisme (elle fait du genre un fait culturel) quand elle conteste la naturalité de la division en masculin et en féminin en soutenant que le « genre est une performance sociale apprise, répétée et exécutée » ou, avec Simone de Beauvoir, qu’on « ne nait pas femme, on le devient » en donnant à cette affirmation un sens qui dépasse ce que voulait dire Simone de Beauvoir. Mais dans le même temps, l’idée de genre fait des « genres » qu’elle inventorie autant d’identités différentes qui définissent la personne, la différencient et la fixent dans une catégorie clairement distinguées des autres et donc, de fait, essentialisée.

image 2De cette façon l’idéologie du genre déplace complétement la question et abandonne même le terrain du féminisme. Elle passe de la libération sexuelle des femmes à celle de la place des multiples formes de sexualité. La question tourne alors autour de la place des homosexuels dans la société, de leurs droits en tant que « minorité » c’est-à-dire en tant que groupe équivalent (sauf pour le nombre) aux groupes masculin et féminin. Cette question subvertit et relativise celle du féminisme. Selon l’idéologie du genre, le groupe des homosexuels se différencie comme un groupe sexuel par le « genre ». De nouveaux concepts sont proposés pour donner à cela l’allure d’une théorie : identité sexuelle, orientation sexuelle. La question posée est alors celle de l’égalité entre « genres » et non spécifiquement celle des femmes dans la société. Chacun est sommé de se ranger dans un « genre » et de se définir, de s’y déclarer (faire son « coming out »). La question du genre recouvre ainsi la question de l’égalité des sexes. Elle donne lieu à des crispations d’autant plus fortes qu’elle s’oppose à l’évidence des faits : selon une étude récente les homosexuels représenteraient environ 6% de la population. Mais on peut lire aussi dans un ouvrage très populaire et constamment réédité (« le singe nu » de Desmond Morris, mais certainement ailleurs aussi) que chez les Américains « à l’âge de quarante-cinq ans, 13% des femelles et 37% des mâles ont eu des contacts homosexuels allant jusqu’à l’orgasme ». Le rapprochement de ces chiffres montre que l’homosexualité est plus un comportement qu’un état (ou un genre) et que ce comportement n’est pas nécessairement fixé. Il n’y a donc pas de minorités « genrées », mais des comportements divers et qui suivent une gradation et peuvent évoluer, (comme le disait déjà Freud dans les années 20 du siècle dernier) : Sigmund Freud s’insurgeait contre la prétention des homosexuels à former un « troisième sexe ». Dans son Introduction à la psychanalyse, il écrivait : « Ceux qui se nomment eux-mêmes homosexuels ne sont que des invertis conscients et manifestes, et leur nombre est minime à côté de celui des homosexuels latents ». Dans « Trois essais sur la théorie de la sexualité » (1905), il distingue trois types d’invertis : les invertis absolus, les invertis amphigènes (bisexuels), les invertis occasionnels. Il remarque « que l’inversion fut une pratique fréquente, on pourrait dire une institution importante chez les peuples de l’Antiquité » et aussi que « l’inversion est extrêmement répandue parmi les peuplades primitives et sauvages ». Il en conclut que l’homosexualité ne s’explique pas par « une dégénérescence congénitale ». Il n’accepte pas non plus la théorie d’un « hermaphrodisme psychique » car « nombre d’invertis hommes ont conservé les caractères psychiques de leur sexe » et « recherchent dans l’objet sexuel des caractères psychiques de féminité ». Cela le conduit « à dissocier, jusqu’à un certain point, la pulsion et l’objet ». Dans son analyse, l’état général des relations entre les sexes dans la société n’est pas pris en compte. Il se limite à dire, sans le justifier, que « le climat et la race ont une influence considérable ». Il ne prend pas du tout en compte l’état du rapport social de sexe (et ignore totalement l’idée de rapport social). Pourtant, on sait qu’en Grèce antique, l’âge du mariage était généralement de 30 ans pour les hommes et 14 ou 16 ans pour les femmes. Les femmes libres étaient considérées comme des moyens d’alliance et soustraites au contact des hommes (dans le « gynécée »). En conséquence, la seule sexualité libre était la sexualité dirigée sur les prostituées, les esclaves et les jeunes garçons. La relation avec les jeunes garçons avait une fonction éducative qui l’institutionnalisait. Dans cette situation, l’homosexualité « virile » peut être vue comme un aspect du rapport social de sexe. On en rend certainement mieux compte en l’analysant en termes de « rapport social de sexe » qu’en termes de genre.

Il y a donc, avec les revendications basées sur le « genre », un second essentialisme qui vient se greffer à l’essentialisme du féminisme et en perturbe la lisibilité. A un mouvement aux bases évidentes l’idéologie du genre veut adjoindre une lutte confuse. Mais c’est un mouvement très actif et qui trouve des relais politiques auprès de la gauche social-démocrate et qu’utilise aussi la politique extérieure des USA comme moyen de déstabilisation des sociétés. Les groupes activistes sont parvenus à mettre la question du « genre » au centre des débats d’idées et des différends politiques. Cette question est illustrée par une multitude de films, de séries télés, de livres et d’écrits plus ou moins polémiques. Les activistes du genre opposent leur droit, en tant que « minorité », d’être ce qu’ils sont à une société qu’ils perçoivent comme « raciste » : patriarcale et sous la domination de machos blancs hétéros. A l’image du macho, ils accolent celle du bourgeois aussi bien que celle de l’ouvrier. Ils travaillent de cette façon à subvertir la division de la société en classes au profit d’une opposition des « genres » où les « minorités » (appelées souvent « communautés ») devraient s’émanciper et ils utilisent ainsi des problèmes réels, mais qui sont transversaux aux classes sociales, pour en faire un lieu de rapprochement de la classe moyenne et des idées libérales. C’est là évidemment que la social-démocratie trouve son terrain, alors qu’elle a renoncé à s’appuyer sur les couches populaires et veut aller vers «les diplômés, les jeunes, les femmes, les minorités » (comme le dit un rapport du Think tank Terra Nova : gauche quelle majorité pour 2012). La question du genre devient alors un point d’accroche qui vise à éloigner la classe moyenne des problèmes sociaux pour la fixer sur les questions de mœurs. Elle est un terrain où la social-démocratie se sent à l’aise et peut se présenter comme un mouvement d’opposition tout en pactisant de fait avec la classe dominante.

Ainsi, la question féminine est quasiment effacée. Sexe, classe, genre sont confondus de telle manière que la définition de ce qu’est un sexe devient difficile à saisir. Par exemple, pour le Dictionnaire critique du féminisme « les sexes ne sont pas de simples catégories biosociales, mais des classes (au sens marxien) constituées par et dans le rapport de pouvoir des hommes sur les femmes, qui est l’axe même de la définition du genre (et de sa précédence sur le sexe) : le genre construit le sexe ». L’idéologie est clairement ici dans la volonté de faire du rapport de sexe un rapport de classe plutôt que de voir son intrication avec le rapport de classe et ses conséquences. Elle est aussi évidemment dans la volonté de faire du sexe une forme ou un produit du genre.

image 3Un renversement encore plus complet est effectué par Judith Lorber lorsqu’elle définit le genre de manière très large comme « un processus de construction sociale, un système de stratification sociale et une institution qui structure chaque aspect de nos vies parce qu’il est encastré dans la famille, le lieu de travail, l’État, ainsi que dans la sexualité, le langage et la culture » (dans « paradoxes of gender »). Dans cette définition, ce ne sont plus la famille, l’Etat et l’entreprise qui sont des institutions mais c’est le genre. C’est aussi le genre qui construit le social et le stratifie et non la société qui est structurée par les rapports sociaux qui mettent des groupes sociaux en tensions. Le genre est encastré dans les institutions au lieu que ce soit les institutions qui sont modelées par les rapports sociaux et qui les consolident. Le genre est présenté d’abord comme actif et structurant puis comme passif et encastré. L’être social des hommes et des femmes n’est pas modelé par les rapports sociaux, il semble être plutôt l’agent à partir duquel les structurations se font. Les rapports sociaux de classe semblent être ignorés ou englobés dans le terme de manière à neutraliser la question de leur intrication aux autres rapports sociaux et en premier lieu aux rapports sociaux de sexe.

La théorie du genre est foisonnante et multiple. Il n’est possible que d’en présenter les formes les plus remarquables. Celle de Judith Butler, telle qu’elle est développée dans « Trouble dans le genre » est sans doute la plus en vue mais c’est aussi l’une des plus extrémistes. Elle sera l’objet d’un prochain article.

RSdS (4) : division idéologique du féminisme

image 3L’article précédent a fait le constat d’une faiblesse manifeste de la conscience des femmes comme groupe social dominé. Les causes de cette faiblesse tiennent d’abord au poids du rapport social de classe dans lequel est pris le rapport social de sexe (RSdS). Les femmes des classes dominantes sont d’abord inscrites dans leur classe avant d’être solidaires de leurs sœurs des classes défavorisées. La situation défavorable des femmes est liée à l’asservissement général des travailleurs mais sa persistance est certainement due aussi à la spécificité du rapport de sexe.

Celle-ci peut se résumer ainsi : hommes et femmes ne peuvent pas vivre séparés, même dans les sociétés qui organisent une espèce d’apartheid ; pourtant la société organise dès l’enfance une séparation sexuée parfois réelle mais le plus souvent symbolique. Le rapport de sexe est le moins impersonnel, le plus chargé de sentiments : la différence sexuelle est toujours vécue d’abord dans les relations interpersonnelles très proches. Ces relations commencent dans l’intimité de la famille (que les pouvoirs politiques s’efforcent de modeler à l’image de la société politique). Le rapport de sexe est aussi le plus imprégné de codes culturels et moraux (désignés péjorativement comme stéréotypes). Enfin, il n’y a pas dans le rapport de sexe un groupe restreint et séparé qui impose sa domination à un groupe plus nombreux. Les deux groupes sont égaux en nombre. La conscience évidente d’appartenir à un sexe est immédiate. Elle ne parait pas discutable. Elle est vécue comme une différence mais qui n’implique pas d’opposition mais au contraire l’union.

Il y a ainsi des freins spécifiques à la prise de conscience dans le rapport de sexe qui se manifestent par la faiblesse du mouvement féministe laquelle est aggravée par sa division idéologique. Alors que la conscience d’appartenir à un sexe est évidente, la compréhension de la spécificité du rôle social des femmes n’est pas claire. Les revendications liées au statut de la femme, ne sont pas comprises par toutes de la même façon. De là l’âpreté des luttes idéologiques autour de l’idée même de rapport social de sexe. Les femmes se reconnaissent immédiatement comme telles. Elles le font le plus souvent dans des termes qui désignent un rapport social et pourtant elles ont une difficulté à voir celui-ci comme tel.

Ainsi, Simone de Beauvoir écrit dès les premières pages du « Deuxième sexe » : « Si je veux me définir, je suis obligée d’abord de déclarer : je suis une femme ; cette vérité constitue le fond sur lequel s’enlèvera toute autre affirmation ». Elle exprime très clairement que sa qualité et son statut de femme lui sont imposés tout autant par la société (elle dit « je suis obligée ») que par sa réalité physique et physiologique mais que ce statut et cette qualité, elle les reconnait en même temps les siennes, qu’ils sont essences (« constitue de fond ») et qu’il y a donc là une « vérité ». Elle exprime ainsi bien clairement la réalité d’un rapport social et son caractère structurant et fondateur de la personne (de l’identité) mais ne le désigne pas comme tel. Cette omission s’explique aisément car la « vérité » de la féminité n’est pas seulement sociale (ce qu’on devient) mais elle est d’abord naturelle (de ce fait non seulement incontestable mais aussi objet de fierté). Contrairement à ce qu’on voudrait parfois lui faire dire, Simone de Beauvoir ne nie pas le fondement naturel de la différence des sexes. Elle se moque de ces « américaines » qui voudraient remettre en cause cette évidence. Son souci est que cette évidence naturelle n’efface celle du caractère social des formes de la féminité. Ce n’est que dans les formes postmodernes les plus extrêmes du féminisme (ou ce qui voudrait se désigner comme tel), qu’on assiste au renversement contraire où la réalité des formes sociales de la féminité voudrait faire effacer l’évidence et la vérité de la différence des sexes. Ces formes très idéologiques sont propres à la société capitaliste ultra libérale, comme chez Judith Butler dans « Trouble dans le genre ». On peut lire dans ce texte des choses comme : « le corps apparaît comme un simple véhicule sur lequel sont inscrites des significations culturelles » et « on ne peut pas dire que les corps ont une existence signifiante avant la marque du genre » – phrases qui, à défaut d’avoir un sens très clair, manifestent une claire intention d’ignorer la différence des sexes pour laisser place à la diversité des pratiques sexuelles. Ce qui s’exprime encore plus nettement dans la préface d’Eric Fassin à l’édition française : « L’identité sexuelle ne préexiste pas à nos actions » autrement dit notre corps ne dit rien de notre réalité sexuelle.

La difficulté à reconnaitre que la relation des femmes aux hommes est inscrite dans un rapport social (avec tout ce qu’implique cette idée) est à la base de la faiblesse du féminisme et de sa division. La fracture est bien visible en France autour de la question de la parité c’est-à-dire de l’accès équivalent des femmes aux responsabilités. Du fait de la personnalité de celles qui s’opposent, elle est très politisée. Deux courants s’affrontent. Le premier est mené par Elisabeth Badinter qui est mariée à l’ancien garde des sceaux, Robert Badinter. Le camp adverse suit Sylviane Agacinski, professeur à EHESS, mariée à l’ancien premier ministre Lionel Jospin. La polémique a commencé en 1990. E. Batinder pense qu’une loi de « parité » qui applique le principe américain des quotas est humiliante et surtout qu’elle viole le principe républicain d’égalité (qui ignore la race et le genre). S. Agacinski répond qu’il est juste que les femmes soient traitées différemment car elles sont effectivement différentes. La féminité et ses contraintes sont bien une réalité qui doit être prise en compte. L’égalité effective, l’équivalence des situations, passe par une différence de traitement car elle doit être fondée sur la reconnaissance d’une différence essentielle dont on ne peut nier les incidences sociales. Le courant différentialiste ou essentialiste rejette de facto l’égalité formelle. Ses représentantes (S. Agacinski, Luce Irigaray, Julia Kristeva, Hélène Cixous ou encore Antoinette Fouque) considèrent que l’égalité formelle se réduit à un alignement indifférencié sur le « masculin » et, qu’ainsi comprise, elle constitue une mutilation par rapport à l’essence du féminin. Elles s’appuient sur de très forts arguments mais font de la question des droits des femmes une question spécifique qui fait exception aux principes universalistes. Elles ne mènent pas le combat féministe au nom d’un universalisme des droits fondamentaux ce qui l’écarte des autres mouvements d’émancipation.

image 1Dans les faits la position de S. Agacinski l’a emporté en 1999 quand la parité a été introduite dans la Loi. Mais le débat a été relancé avec la proposition de la ministre Nadine Morano de revenir sur la loi de 2004 interdisant les mères porteuses. La ministre a déclaré que si ses filles étaient stériles et voulaient tout de même avoir un enfant, elle serait heureuse qu’elles puissent faire appel à une mère porteuse. E. Badinter s’est ralliée à cette idée en invoquant la thèse de Simone de Beauvoir selon laquelle on ne nait pas mère (ou femme), on le devient. La célèbre thèse de Simone de Beauvoir, encore invoquée ici mais déformée, mérite qu’on s’y arrête à nouveau pour rappeler le sens que lui donnait son auteur : Simone de Beauvoir commence le tome II de son livre « le deuxième sexe » par cette affirmation « On ne nait pas femme : on le devient » mais les lignes qui suivent font apparaitre la difficulté qu’elle a à conceptualiser cette idée. Elle recourt à des abstractions vagues comme « l’ensemble de la civilisation » ou « la médiation d’autrui ». Puis elle s’appuie pour leur donner un contenu d’abord sur la psychanalyse puis sur l’existentialisme (où « le nourrisson vit le drame originel de tout existant qui est le drame de son rapport à l’Autre »). Cela est suivi de descriptions et d’interprétations de comportements éducatifs dont il avait été dit dès l’introduction qu’ils valent « dans l’état actuel de l’éducation et de mœurs ». Ces comportements paraissent effectivement très datés et presque caricaturaux. Curieusement, elle accorde une place primordiale à la façon d’uriner des filles et des garçons tout en reconnaissant qu’elle doit autant, sinon plus, à l’anatomie qu’aux conventions sociales. C’est sans doute l’imprécision de l’appareil théorique qui l’accompagne qui fait que cette thèse est si souvent récupérée, alors que la notion de « rapport social de sexe » est ignorée (ce qui dispense de la discuter).

L’usage de la thèse de Simone de Beauvoir fait par E. Badinter la rapproche des conceptions de Judith Butler. Selon E. Badinter, la maternité comme la féminité seraient des constructions et non des « différences essentielles ». Les femmes ne devraient pas être considérées comme les femelles animales dont les hormones gouvernent le comportement ; car « L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait» (selon ce qu’a écrit J.P. Sartre). Cette thèse qui se présente donc comme une reprise de celle de Simone de Beauvoir, en prend en fait le contrepied. Rappelons-le une fois de plus, Simone de Beauvoir explique effectivement comment l’éducation des fillettes en fait des femmes à l’image de ce qui est attendu par la société et l’état des mœurs, mais elle n’en nie pas pour autant le socle biologique de ce développement. Au contraire, elle en fait la base sur laquelle se fait l’éducation : un « premier plan ». Elle écrit : « Ces données biologiques sont d’une extrême importance : elles jouent dans l’histoire de la femme un rôle de premier plan, elles sont un élément essentiel de sa situation ». Pour Simone de Beauvoir « on devient femme » socialement parce qu’on l’est physiologiquement.

image 2S. Agacinski a répliqué aux thèses d’E. Badinter dans son livre « Corps en miettes ». Elle dénonce l’ «androcentrisme » de notre démocratie. Elle défend une position « différentialiste » qui dit que la différence entre les sexes est une donnée irréductible qui n’implique aucune supériorité mais qu’on ne peut pas se permettre d’ignorer, avec laquelle on ne peut pas « jouer ». Elle considère qu’on ne doit pas instrumentaliser le corps humain et vouloir palier ses imperfections par la technologie. L’autorisation des mères porteuses nous engagerait dans une évolution périlleuse. Créer un droit à la maternité et à l’enfant, ignorant les limites naturelles, c’est ouvrir la voie à un commerce de la gestation et faire des enfants des biens négociables. Elle voit dans la pratique de la gestation pour autrui une nouvelle forme d’exploitation. Elle ne peut s’empêcher alors d’être virulente : «Devant l’indifférence à l’égard de ces femmes, dont on fait aujourd’hui des couveuses « indemnisées », on ne peut s’empêcher de reconnaître la froideur égoïste et le vieux mépris de classe de ceux qui estiment normal de mettre la vie des autres à leur service. Serait-on prêt, sous couvert de modernité, à revenir au temps des valets, des « bonnes à tout faire » et des nourrices ? »

L’androcentrisme que S. Agacinski dénonce a, selon elle, sa source dans le christianisme. Dans « Métaphysique des sexes », elle analyse les mythes bibliques et les grands textes fondateurs du christianisme. Ces textes et la théologie développés autour d’eux font le récit d’une vision masculine des origines où l’universel et le masculin se confondent. L’affirmation de Saint Paul (Galates 3,28) : « Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni mâle ni femelle, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus », n’implique aucune égalité. Il n’est pas dit que l’homme et la femme sont égaux ou devraient l’être, bien au contraire. Les femmes sont invitées à l’obéissance et à la soumission. La parole de saint Paul se situe sur deux plans : il établit « une différence de registres entre le spirituel et le temporel, c’est-à-dire un double rapport au temps ». Il appelle « le temps présent » celui qui succède à la venue du Christ où seule importe la question du salut et où hommes et femmes doivent rester dans les liens qui sont les leurs et dans leur situation inégale. Et il appelle « fin des temps » le moment du salut où hommes et femmes « échangeront leur corps mortel et sexué contre un corps glorieux, éthéré » et où, selon la lecture de S. Agacinski se fera la dissolution de la différence des sexes « dans l’unité d’un être moralement et spirituellement angélique, et masculin ». Le dualisme des temps aboutit donc à la fois à pérenniser la soumission des femmes et à effacer la féminité comme une déchéance corrigée à la fin des temps.

A l’opposition virulente entre universalistes et différentialistes, s’ajoute un débat entre culturalisme et naturalisme. Là aussi, c’est le radicalisme des positions d’Elisabeth Badinter qui a initié la polémique. En 1980, elle fait paraître un livre « l’amour en plus » dans lequel elle montre qu’au 17ème siècle l’amour maternel n’existait quasiment pas dans les familles françaises. Alors que la mortalité infantile était extrêmement importante et que le lait de la mère offrait une grande chance de survie, on constate que, principalement dans la classe aisée des villes, les mères refusaient de nourrir leurs enfants et les abandonnaient à des nourrices. Puis, s’ils avaient survécu, elles les confiaient à des précepteurs, les mettaient en pension ou au couvent (selon leur sexe). L’idée que les femmes devraient naturellement aimer leurs enfants, ne se serait répandue en Europe qu’à la fin du 18ème siècle. E. Badinter conclut de cela que l’amour maternel n’aurait pas de fondement naturel et biologique et qu’il n’y aurait, par conséquent, pas d’instinct maternel. Elle démontre, en multipliant les exemples : « qu’il n’y a pas de comportement maternel suffisamment unifié pour que l’on puisse parler d’instinct maternel ou d’attitude maternelle « en soi » ». Loin d’être une donnée naturelle, un instinct inscrit dans les gènes des femmes, l’amour maternel serait profondément modelé par le poids des cultures. Ce serait une erreur de postuler une nature féminine caractérisée par l’instinct maternel. Cette erreur caractériserait l’idéologie naturaliste. Toutefois, il faut le souligner, la thèse d’Elisabeth Badinter n’est pas aussi claire et unilatérale qu’il y parait. Non seulement elle reconnait que l’amour maternel se constate dans toutes les sociétés et avait existé en France par le passé, mais que, pour disparaitre, il a dû être vigoureusement combattu (alors qu’elle ne mentionne aucun effort social équivalent pour le promouvoir). Ainsi, selon elle, la théologie « proteste contre une tendresse réellement existante que de nombreuses mères sembleront ignorer un siècle plus tard ». Il aurait donc fallu un siècle pour détruire ce qui apparaît comme un penchant de la mère qui se manifeste très largement chaque fois qu’il est favorisé (dont il importe peu alors qu’il soit une affaire de gêne ou d’autre chose) et qui ne s’affaiblit que lorsqu’il est vigoureusement combattu.

E. Badinter s’oppose à nouveau au « naturalisme » en publiant un essai en 2010 : « Le conflit, la femme et la mère». Elle y dénonce les pressions exercée par cette idéologie sur les femmes pour les contraindre à être des « mères parfaites » c’est-à-dire des mères qui allaitent leur bébé et lui sacrifient leurs ambitions professionnelles et sociales. Plus fondamentalement, elle condamne l’idéologie passéiste qui fait pression sur les femmes en parant le « naturel » de toutes les vertus. Elle répond aussi à l’anthropologue et primatologue américaine Sarah Blaffer Hrdy qui lui avait opposé que l’instinct maternel existe et qu’il est le produit de mécanismes hormonaux qui se mettent en place au cours de la grossesse. Selon cette théorie, non seulement, il y aurait des bases physiologiques à l’instinct maternel, mais cet instinct serait renforcé par les stratégies naturelles de séduction du bébé : ses pleurs, ses sourires, ses cris et son apparence. Cependant, on voit que dans ce débat, personne ne défend véritablement la position idéologique du « naturalisme » telle que le combat E. Badinter. Dans « les instincts maternels», S. Blaffer Hrdy défend une thèse qui se démarque d’un naturalisme qui postulerait un déterminisme équivalent à celui observé chez les animaux : elle emprunte aussi au culturalisme. Ses études démontrent qu’il existe des mécanismes biologiques qui attachent la mère à l’enfant ; mais ces mécanismes ne sont pas des pulsions aussi implacables que la nécessité de manger et de dormir. Ils ne pourraient s’exprimer qu’en étant secondés par un environnement social favorable. Les enfants auraient besoin de toute façon pour grandir d’être entourés d’un groupe familier accueillant.

On voit bien ici que l’opposition entre nature et culture n’est pas féconde. E. Badinter ne peut rien opposer aux observations physiologiques de S.Blaffer Hrdy et celle-ci ne soutient nullement que la nature fait tout et que l’instinct maternel, dont elle met en évidence les mécanismes physiologiques, serait infaillible. L’idée de « rapports sociaux » comme fondement de « l’essence humaine » parait plus explicative. On voit alors que la maternité et la famille sont au carrefour des rapports sociaux qui déterminent le plus profondément l’être social : les rapports de sexe, de génération et de classe. Les soins aux enfants ne sont pas les mêmes à la ville et à la campagne (où vivaient plus de 80% de la population au 17ème siècle), dans les familles nobles et dans les familles pauvres. Les causes d’abandon des enfants ne sont pas les mêmes. Les familles et leur logement ne sont pas les mêmes mais sans doute la vie de Cour est-elle aussi destructrice du lien familial que l’est d’une autre manière la vie errante des journaliers agricoles. Les cultures ne sont certes pas les mêmes, mais elles sont aussi un produit des rapports sociaux et sont modelées par le mode de production. La culture n’est donc pas l’explication première. Enfin, nous ne pouvons pas affirmer que nous savons quelque chose des sentiments intimes des femmes au 17ème siècle et nous n’avons d’ailleurs rien qui puisse nous autoriser à postuler qu’ils étaient partout les mêmes. Nous ne pouvons que constater que nous sommes beaucoup moins maîtres de nos sentiments que nous serions enclin à l’estimer et que les rapports sociaux dans lesquels nous sommes pris nous modèlent beaucoup plus profondément que nous voudrions le penser. Ils n’influencent pas seulement notre vision du monde, notre culture et nos idées. Ils ne décident pas seulement des moyens dont nous disposons pour mener nos vies. Ils modèlent notre personnalité, nos goûts et jusqu’aux sentiments qui nous semblent les plus naturels.

Le débat entre culturalisme et ce qui est taxé de « naturalisme » est relancé aujourd’hui autour des notions de « naturalisation et dénaturalisation ». Ainsi, le 16 mars 2013, sur France Culture, Sylviane Agacinski précise sa position face à Eric Fassin (professeur à Paris 8). Notre article du 17 mars 2013 a été consacré à ce débat, le lecteur est invité à le relire. Notons seulement que ce débat ne pourra pas se clore, selon nous, tant que la notion de rapport social ne sera prise en compte car c’est en fait l’ignorance de cette notion qui rend si difficile la compréhension des tensions entre hommes et femmes.