Philosophie et métaphore

image 1Le discours scientifique est le discours du vrai. Il ne souffre ni ambiguïté ni incertitude de sens. En science le mot désigne un objet précis, clairement identifié et souvent mesurable. Mais la philosophie aussi se veut discours du vrai. Elle a pour ambition d’exprimer, sous la forme de théories interprétatives, des vérités qui, à défaut d’être démontrables par l’expérience comme celles de la science, sont argumentables (1).

S’il est une philosophie qui se veut rationnelle, c’est bien celle de Descartes. Or, si nous lisons un court passage de la 6ème méditation, caractéristique du style de Descartes, nous constatons que le style n’est pas celui de la science. Nous lisons : « La nature m’enseigne aussi par ces sentiments de douleur, de faim, de soif etc., que je ne suis pas seulement logé dans mon corps ainsi qu’un pilote en son navire, mais en outre cela que je lui suis conjoint très étroitement et tellement confondu et mêlé que je compose comme un seul tout avec lui ».

Le style n’est manifestement pas celui de la science. Descartes s’efforce d’exprimer quelque chose qu’il saisit intuitivement et qu’il veut suggérer à son lecteur. Il en appelle au témoignage des sentiments et des sensations qui sont communs à tous les hommes. Or, le langage des sentiments et de la sensation est le lieu de la métaphore.

En effet, l’usage abstrait des mots est une conquête de l’esprit dont on peut suivre la lente progression avec l’apparition de la philosophie dans la Grèce antique. Le grec archaïque avait une pensée visuelle ; sa pensée était concrète. S’il méditait sur les composants ultimes du réel, c’était pour savoir s’il fallait placer au fondement l’eau, l’air ou le feu ou un mélange de ces éléments. Les notations psychologiques, même dans un chef d’œuvre comme l’Iliade, sont très frustres. Le héros grec ne pense pas aux dieux, il les voit. Ils sont plus puissants, plus violents que lui mais ils ont les mêmes appétits (2).

La philosophie s’est donc construite à partir d’un langage concret par l’effort d’en sortir. Ainsi on voit Socrate interroger Hippias sur ce qu’est le beau et se heurter à l’incapacité de son interlocuteur, pourtant spécialiste de la question, à dire le beau autrement que sous la forme de la belle chose : de la belle jeune fille au beau chaudron. Hippias dit la chose pour dire l’idée. Il ne fait pas de métaphore, il exemplifie. Il ne suggère pas, il donne à voir. Il veut prendre Socrate à témoin que le beau est là mais il se heurte à un interlocuteur obtus qui feint de ne voir que ce qu’on lui montre : une jeune fille, un chaudron et non le beau en lui-même.

Or, la métaphore, pour fonctionner, a besoin d’un terrain commun aux locuteurs. Pour qu’une expression comme « l’homme est un loup pour l’homme » ait un sens, il faut que les locuteurs partagent les mêmes préjugés au sujet des loups. Alors le mot « loup » est employé métaphoriquement et il exprime la méchanceté sous l’espèce du loup.

Hippias et Socrate partagent les mêmes références culturelles et sauraient reconnaitre une belle jeune fille d’une laide ou un chaudron aux formes agréables d’un objet difforme. Ce qu’ils n’ont pas en commun, c’est la capacité d’aller au-delà de ce qui expressément désigné pour saisir ce qui veut se dire. Il leur manque, il manque surtout à Hippias, la capacité à aller au-delà de ce qui est montré. Leurs mots ne sont pas assez chargés d’idées. Ils ne savent pas revenir sur leurs sentiments en un mouvement réflexif qui leur permettrait de savoir pourquoi telle jeune fille est belle et l’autre moins belle. Ils ressentent mais n’analysent pas. Socrate ne se risque pas à dire ce qu’est le beau en lui-même et révèle ainsi sa propre insuffisance.

image 2Descartes vient deux millénaires plus tard. Il appartient à une humanité affinée par les exercices spirituels et l’introspection. Alors que le grec archaïque n’avait pas de mot pour dire le corps ou l’âme, Descartes partage avec ses lecteurs l’évidence de ces deux entités. Il n’a aucun effort à faire pour se penser en termes universels ; il est même incapable de se penser autrement. On pourrait dire que son langage est totalement imprégné de métaphores. C’est ce que disait Nietzsche. Pour Nietzsche un concept est une métaphore morte. Tout concept provient d’une métaphore qui se serait comme asséchée, durcie, pour ne garder que la structure de ce qui lui a donné vie.

Mais nous avons vu avec la conversation de Hippias et de Socrate qu’il ne s’agit pas de cela. Le concept de beau n’a pas pour base l’expression poétique du beau mais son expérience concrète. C’est l’expérience du désir de posséder les belles choses (belle jeune fille, beau chaudron) qui est à l’origine de l’idée de beau.

Le langage qu’emploie Descartes n’est donc pas métaphorique par nature. Il est plutôt abstrait. Il désigne des genres de choses qui elles-mêmes s’exemplifient en types. Il y a un genre de ressenti qui s’appelle « sentiments » et dont on peut donner comme exemples la « douleur », la « faim », la « soif ». Le « etc. » qui suit montre bien qu’il s’agit d’exemples du genre « sentiments » qui n’épuisent pas le genre et n’en donnent qu’un aperçu. Le sentiment est une notion abstraite. Elle est construite à partir d’analyses qui ont vidé le mot de sa charge concrète pour lui permettre de valoir aussi bien pour la faim que pour la colère. Pour Descartes la colère d’Achille est un sentiment. Elle peut s’analyser et elle a quelque chose de commun, qui est abstrait, avec la faim, l’amour, la joie etc.

Pour Descartes dire « je fus pris de la colère d’Achille » serait une métaphore. C’est une métaphore dans le sens qu’Aristote donne à ce mot en ce sens que l’espèce est dite pour le genre. Une colère mémorable est dite pour suggérer une colère analogue, qui pourrait se comparer.

Descartes aurait donc su dire quand il utilisait des concepts et quand il utilisait des métaphores. Il n’y a certainement pas un seul mot de son texte dont il n’aurait pu rendre compte en analysant l’idée exprimée. Il aurait certainement pu dire ce qui est commun et ce qui diffère dans l’idée de « conjoint » et celle de « confondre » ou ce que c’est qu’un « tout » et une « partie ». La pensée de Descartes est suffisamment précise pour qu’il puisse distinguer toutes les modalités d’inclusion d’une chose dans une autre. Il aurait sans doute pu disserter sur ce sujet sans quitter le domaine de l’abstraction, en se passant de tout exemple comme un géomètre peut réfléchir sur des figures sans en tracer une seule. L’idée de beau, qui embarrassait tant Hippias et même Socrate, lui était accessible : il est l’auteur d’un traité d’esthétique musicale !

Seulement ces analyses, à partir desquelles on pourrait exempter Descartes du recours à la métaphore, prennent pour unité de base le mot. Le mot est extrait du texte pour être analysé. L’opération est la même que celle que nous faisons quand nous refermons un livre pour aller au dictionnaire voir le sens d’un mot. Mais si nous faisons cela avec le texte de Descartes nous nous heurtons à un mystère. Le même mot peut avoir plusieurs définitions. Ce n’est que le texte qui dira laquelle est la bonne. Pour lire un texte, il ne faut pas prendre le mot pour unité de sens, mais la phrase. C’est la phrase qui fixe le sens du mot. L’unité de sens n’est donc pas le mot mais la phrase. Pour voir les métaphores, il faut donc considérer les phrases.

Or, si on considère la phrase entière, on voit que Descartes nous convie à penser deux choses en même temps : l’expérience intime de nos sentiments et la conduite d’un navire. Les deux choses sont si éloignées l’une de l’autre qu’elles ne devraient pas se rencontrer.

Et l’expérience intime des sentiments n’est d’ailleurs nullement dite pour ce qu’elle est. Descartes ne parle pas d’une expérience mais se situe dans le cadre, là aussi, de quelque chose d’autre : il parle de la situation où on reçoit un enseignement. Il efface de la situation où on reçoit un enseignement tout ce qui en fait l’expérience concrète pour n’en garder que l’idée nue. De même, il efface de la conduite du navire tout ce qui en fait la réalité pour n’en garder que l’idée nue.

Alors que dans l’expression « l’homme est un loup pour l’homme » l’idée est seulement conventionnelle, dans l’image du navire ou celle de l’enseignement, elle est réduite à son schéma idéel. Elle n’est plus que l’abstraction de deux situations. Faire un retour réflexif sur son expérience intime du sentiment c’est comme être un pilote qui réagit aux forces qui s’exercent sur le navire. Chacune de ces situations dit quelque chose de l’autre et ce qu’elles disent symétriquement l’une de l’autre c’est ce que Descartes veut dire ou plus exactement ce qu’il vise comme un au-delà de ces deux situations, comme quelque chose de plus intime, de plus profond. Descartes emploie donc tout de même un langage métaphorique dans le sens où il dit quelque chose pour dire ou viser autre chose. Il dit deux choses pour en dire une troisième qui n’est ni l’une ni l’autre et pourtant qui a à voir avec l’une comme avec l’autre. Il manie des abstractions (de pures idées) mais les agence de façon imparfaitement rationnelle.

On peut soutenir qu’il pense avoir une « idée claire et distincte » de ce qu’il veut dire mais cette idée n’en reste pas moins seulement intuitive. Il peut défendre cette idée, il peut la communiquer et en tirer toutes les conséquences mais il ne peut pas la dire dans sa vérité toute simple avec les mots adéquats comme le fait le scientifique qui ne crée aucun contexte étranger à son propos. Ici les références pour dire ce qui veut se dire sont étrangères à ce qu’il y a à dire. Descartes reviendra dans le langage de la science (mais d’une science imaginée) quand il parlera du rôle de la glande pinéale.

image 3Dans le texte cité, il est dans la philosophie et donc dans un langage qui est celui de l’intuition intellectualisée. Ce langage emploie inévitablement des métaphores puisqu’il parle d’un ordre de réalité qui n’est ni celui de l’expérience pratique ni celui de l’expérience scientifique. Il se situe à un niveau où les mots sont toujours en décalage par rapport à ce qu’il a à dire. La philosophie s’efforce d’atteindre le vrai là où rien ne permet de l’établir objectivement. Elle est un effort pour dire le vrai là où le réel ne peut pas répondre au questionnement. Si on peut faire parler le réel, on est dans le langage de la science ; si on peut montrer, on est dans le monde de la pratique. Mais si on est dans un ordre de réalité où ni l’un ni l’autre ne sont possibles, on est dans le domaine où le langage est hors de ses sources et où donc la métaphore est inévitable.

Ce n’est donc pas critiquer la philosophie que de dire qu’elle a besoin de la métaphore et qu’elle ne peut pas s’en passer. C’est simplement la voir lucidement pour ce qu’elle est et qu’elle ne peut pas cesser d’être.

On voit bien que les philosophes modernes qui voudraient échapper à cette fatalité ne font en fait que déplacer le problème. La philosophie analytique qui voudrait ne pas tomber dans les travers qu’elle dénonce dans la philosophie « continentale » use d’expériences de pensée. Or une expérience de pensée est une expérience impossible dont on ne maitrise pas les paramètres. C’est une espèce de métaphore posée comme un réel. Une expérience de pensée est par définition une expérience impossible, c’est une construction imaginaire. On peut soutenir qu’elle ne démontre pas plus que les métaphores de Descartes. Elle en fait des objets qui se donnent pour réels. Fait-elle d’ailleurs fondamentalement quelque chose de tellement différent de ce que fait la philosophie classique quand elle use de fictions rationnelles du type « contrat social », « état de nature » etc. ? ou même de ce qu’a fait Descartes quand il a imaginé son doute méthodique ?

Si le discours philosophiques peut échapper à l’expression métaphorique, il ne peut pas échapper à la pensée métaphorique.

1- il s’agit ici principalement de la philosophie en tant qu’elle se présente sous forme de théorie interprétative : voir mon article du 30 septembre 2014 – la philosophie comme rapport au monde : https://lemoine001.com/2014/09/30/la-philosophie-comme-rapport-au-monde/

2 – le mouvement d’affinement de la pensée s’est poursuivi avec le développement au cours des siècles de la philosophie et de la science :

d’abord en rompant rationnellement avec l’égocentrisme de la pensée (le subjectivisme et le relativisme) – on voit ce mouvement s’affirmer chez Platon dans ses polémiques contre les sophistes (quelque soit l’injustice de certaines attaques et la résurgence récente de ce travers).

Ensuite, dans le développement du rationalisme par l’exclusion de la projection intentionnalisante à quoi se réduit la pensée finaliste. Ce mouvement est toujours en cours.

Qu’est-ce que le temps ?

image 1Cet article sera court car son sujet est d’une difficulté inépuisable. Il me vient à l’esprit alors que je tente de lire ce que Hegel dit au sujet du temps. Je dois, (mais je reconnais être un peu obtus), relire plusieurs fois la même phrase pour qu’elle cesse de m’apparaitre autrement que comme un infâme galimatias.

Entre deux tentatives mon cerveau vagabonde. Je m’imagine à la terrasse d’un café. Je regarde passer les gens et je photographie toutes les belles personnes qui charment mes yeux. Quand j’aurai développé mes photos, j’aurais une succession de clichés. Cela correspond bien à la définition que donne Aristote du temps : « le nombre du mouvement selon l’antérieur et le postérieur ». Chacune de mes photos est une étape d’un mouvement (celui des passants) et leur succession permet de dire comment chacune succède à l’autre.

Seulement ce temps-là ne me satisfait pas. Il n’a pas de mesure. Je sais qu’il n’a pas été le même entre chaque photo mais mon « nombre » ne permet pas de remplir ce vide.

Je reviens à Hegel qui ne m’aide pas du tout. Et mon esprit repart. Supposons qu’il y avait dans le champ de mes photos un objet qui a connu lui aussi un mouvement : l’ombre d’un arbre sur le sol. Cette fois, en observant bien mes clichés, je remarque qu’entre certains l’ombre a à peine bougé. Entre d’autres elle a parcouru un angle large. Ma succession s’enrichit d’une nouvelle qualité. Elle fait apparaitre un rapport entre deux mouvements.

image 2Ce rapport est-il le temps ? Je dois répondre « non pas encore ». Ce que j’ai c’est un rythme et non le temps en lui-même. J’ai tout de même l’ombre du temps car je ne peux concevoir que deux formes de rythme : un rythme dans l’espace et un autre qui se passe d’espace. Une frise décorant une corniche de l’image de feuilles et de fruits donnera un rythme dans l’espace (par exemple trois fruits cinq feuilles puis cinq fruits et trois feuilles etc.). Mais si je répète « fruit-fruit-feuille-feuille-fruit-fruit » dans quoi se déploie mon rythme, sinon dans le temps ?

Voilà que j’ai une première définition du temps : le temps est ce qui apparait quand un rythme est créé par le rapport entre deux mouvements.

Nouveau retour à Hegel et rien de neuf de ce côté ! Je reviens à ma rêverie. Je dois reconnaitre que j’ai postulé que le mouvement de l’ombre auquel j’ai rapporté celui des clichés était régulier. J’ai eu raison sans doute. Mais si j’abandonne ce postulat, je suis à nouveau en difficulté. Comment puis-je savoir qu’un mouvement est régulier ?

Je le sais parce que je ne suis jamais confronté à deux mouvements mais que je fais, avec mes semblables, l’expérience d’une multitude de mouvements simultanés. Un de ces mouvements est celui que je ressens. J’ai l’intuition d’un temps passé plus ou moins long qui est fluide dans des circonstances où je ne ressens ni impatience ni ennui. Ce temps est en relation avec le nombre d’images par seconde que transmet mon œil. Or, un œil à facettes d’abeille transmet 200 images par seconde, alors que l’œil humain transmet au cerveau environ 24 images seconde. Le temps ne s’écoule pas de la même façon pour l’abeille et l’homme ou plutôt ce qui est rapide pour l’homme est lent pour l’abeille qui voit les choses, de notre point de vue, au ralenti.

Cette fois je crois que je tiens le temps. En voici la définition : le temps est la réalité qui apparait lorsque le rapport entre tous les mouvements est rapporté à un observateur (réel ou fictif) dans un univers unifié en perpétuel mouvement.

Cette définition n’est pas en contradiction avec ce que nous dit la théorie d’Einstein puisque celle-ci nous dit qu’il n’y a pas de temps absolu, il n’y a pas de temps universel, mais qu’il est universel que tout observateur a son temps propre (sa durée) dans un univers unique où les mêmes lois s’appliquent partout. Ce « temps propre » sera sa ligne d’univers dans l’espace temps. Je dirais, pour ma part, que tout observateur peut et ne peut que, depuis son mouvement propre, faire le rapport des mouvements qu’il observe. Il n’y a de rapport que si on se place du point de vue d’un mouvement particulier auquel on ramène, ou plutôt on imagine pouvoir ramener, tous les autres mouvements. La possibilité de ce rapport généralisé étant rendue imaginable du fait de l’unité de l’univers dans sa nature et dans les lois qui s’y appliquent (même principe de causalité). Mais ce rapport généralisé bien qu’imaginable n’est jamais réalisable même sous forme d’expérience de pensée car, bien que l’univers soit unique, il ne peut pas être saisi dans son ensemble car cela supposerait une simultanéité universelle, alors qu’Einstein a démontré que l’idée même de simultanéité n’était pas tenable en physique. La saisie du temps est donc toujours plus ou moins illusoire.

(Il ne faudrait pas en conclure que le temps n’est qu’un effet de la conscience car le mouvement existe indépendamment de toute conscience. Il est le mode d’être de la matière — il n’y a pas de matière sans mouvement. Le rapport entre les mouvements est donc là potentiel (mais toujours illusoirement réalisable) indépendamment de toute conscience comme le nombre 12 est là potentiellement dès d’un cube se présente — sous la forme par exemple des arêtes d’un cristal. Ce qui ne peut pas être en revanche c’est un temps sans matière, un temps vide et « pur » car il n’y a dans le rien aucun moyen de saisir quelque chose, que ce soit du temps ou de l’espace).

Je me garderais bien de juger la théorie d’Einstein car je n’ai pas l’ombre d’un début de compétence pour cela. J’observe seulement qu’elle établit une relation réciproque entre l’espace/temps (par sa « courbure ») et les objets qui s’y trouvent en mouvement. Cela fait de l’espace/temps une chose à la fois substantielle (car autrement comment un objet métaphysique pourrait-il agir sur les mouvements des objets physiques?). Il reste donc, il me semble, une obscurité non résolue dans cette théorie dont l’efficacité a été démontrée amplement : Tout autant que ma modeste définition du temps, elle fait du temps (de l’espace/temps)  une « réalité », un objet de pensée, dont la nature fait problème. Mais pour être plus clair, je dois dire ce que j’entends par « être une réalité ».

J’ai dit que le temps est une réalité et non qu’il existe. Je dis qu’une chose existe lorsque je peux la situer dans l’espace et le temps. Si je dis que je possède une Rolex (comme tout homme de plus cinquante ans qui a réussi sa vie), on va me demander de la montrer – c’est-à-dire de la situer dans l’espace et le temps. Toute chose qui existe a nécessairement une certaine substance car autrement il ne serait pas possible de la faire se manifester dans un espace et un temps. A l’inverse, ce qui n’a pas de substance n’existe pas, ce qui n’en fait pas rien mais en fait ce que j’appelle une « réalité ».

image 3Mais il découle de ce que j’ai dit que le temps ne peut pas être situé dans un espace et un temps puisqu’il est lui-même un cadre de la parution. Le temps n’existe donc pas (pas plus que l’espace d’ailleurs). Il n’est pas rien pourtant, ne serait-ce que parce que j’essaie d’en saisir la nature. Comme tout ce qui ne peut pas être situé dans un espace et un temps mais peut faire l’objet ne serait que d’une pensée, il a une réalité. Alors qu’il n’y a pas de degré dans l’existence du point de vue du temps sinon celui d’avoir été ou d’être présentement, et du point de vue de l’espace d’être ici ou ailleurs, il y a une infinité de degrés dans la réalité (comme être imaginaire ou être une idéité rationnelle). Le temps est de ces choses qui ont un fort degré de réalité puisqu’il apparait au moins potentiellement dès qu’il y a un mouvement dans un univers unifié. Sa réalité s’impose à nous à tel point que nous lui attribuons couramment des effets.  Il prend forme quand deux mouvements peuvent être rapportés l’un à l’autre et il est pleinement présent pour une conscience dès qu’elle perçoit une multitude de mouvements. Le temps est toujours lié à l’espace (par le mouvement), c’est pourquoi on ne peut pas le penser hors de lui ou plutôt on ne peut penser qu’un complexe d’espace-temps. (Je laisse à mon collègue Einstein le soin de développer cette notion !). Je m’en tiens pour ma part à dire que le temps est une réalité car un rapport est une réalité. Désigner le quart, la moitié ou de double de quelque chose c’est désigner un objet, certes dans l’immédiat idéel, qui peut devenir effectif par le découpage ou la duplication. Donc quelque chose de bien réel. Mais, j’en conviens, cela laisse en suspens tout autant que la théorie d’Einstein la nature de l’action réciproque (tout en laissant supposer qu’elle n’est que l’effet pour notre intellect de l’unité de l’univers dont l’observateur est toujours lui-même une partie).

Je n’en ferai pas plus pour aujourd’hui puisque je viens de résoudre une des plus grande difficulté de la science et de la philosophie. Un tel effort mérite d’être suivi d’une bonne pause.