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Dialectique

image 1La forme de pensée à l’œuvre chez Marx peut être qualifiée de dialectique. Il n’en a jamais exposé les principes, non pas faute de temps comme on le lit souvent, mais parce c’est une méthode ouverte, en création continue. Il est tout de même possible d’en présenter les bases en partant du plus simple : le monde est fait de multiples choses en relations dynamiques entre elles. La pensée s’efforce d’y découvrir un ordre.

Dans sa forme classique la pensée est métaphysique. Cela signifie qu’elle privilégie ce qui parait fixe sur ce qui est mouvant. Elle appelle «essence » ce qui demeure invariable dans les choses  et  « rapports » les relations des choses entre elles. Elle considère que l’essence est première, qu’elle est ce par quoi la chose est la mieux définie abstraitement, tandis que le rapport est second. Elle pense sous la catégorie abstraite de « rapports » les différents modes de relation des choses entre elles.

La pensée dialectique  rompt avec cette illusion d’une fixité et d’une autonomie des choses et considère que penser une chose hors de ses relations, c’est la réduire à une abstraction et s’empêcher de la comprendre complètement. En conséquence, elle renverse l’ordre de la pensée et considère que ce qu’est véritablement une chose ne se révèle que par ses rapports aux autres choses et dans les processus auxquels elle participe : penser une chose hors des processus auxquels elle participe, c’est manquer sa véritable essence.image 2

Ce qui fait la difficulté de la pensée dialectique, c’est que pour comprendre l’essence d’une chose, elle doit connaître les rapports dans lesquels cette chose est prise et la logique des processus dans lesquels elle se réalise. Or, les rapports dans lesquels la chose est prise ne sont pas fixes, ils évoluent dans le cadre des processus dans lesquels elle est engagée. Ils sont eux-mêmes en relation les uns avec les autres pour former des structures éventuellement travaillées par des contradictions (des tensions). Ces structures forment des systèmes animés d’une logique propre. En conséquence, une chose est toujours saisie dans un moment de son développement et du développement de la structure dans laquelle elle est prise et elle ne se comprend réellement que dans son devenir et dans le devenir de cette structure. La pensée dialectique saisit donc les choses dans leur environnement global et dans leur évolution. Elle cherche à dégager la loi de leur changement,de leur développement, c’est-à-dire la loi de leur passage d’une forme à une autre. Elle met en œuvre « La grande idée fondamentale selon laquelle le monde ne doit pas être considéré comme un complexe de choses achevées, mais comme un complexe de processus où les choses, en apparence stables, – tout autant que leurs reflets intellectuels dans notre cerveau, les concepts, se développent et meurent en passant par un changement ininterrompu au cours duquel, finalement, malgré tous les hasards apparents et tous les retours en arrière momentanés, un développement progressif finit par se faire jour » [Engels].

Ainsi, pour la dialectique, les choses sont prises dans une totalité mais cette totalité n’est pas simple, son développement n’est pas linéaire. Un tout dialectique est ensemble instable, en équilibre dynamique parce qu’animé de processus contradictoires. Comprendre dialectiquement c’est donc comprendre comment agit la contradiction, comment elle est facteur de mouvement et de mutation, comment elle fait émerger des réalités nouvelles et comment elle se résout dans une nouvelle unité. Un tout dialectique n’est pas un chaos anarchique. Il se développe selon des lois que la dialectique comme méthode doit dégager et connaitre pour les retrouver dans le tout étudié (1).

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Cette conception implique que l’essence d’une chose n’est pas une abstraction par laquelle on dégagerait ce qui, dans la chose, la définit le mieux. Elle est encore moins une définition étendue. Dire ce qu’est une chose dans son essence, c’est exposer la logique des rapports fondamentaux qui la fondent. L’essence n’est pleinement développée (et exposée) que quand sont mis ainsi en lumière à la fois la genèse de la chose et son devenir. L’essence  est ce qu’est ou ce que sera la chose dans son plein accomplissement, au terme de son développement naturel si l’on parle d’un objet de la nature ou au terme de son développement historique si l’on parle d’une institution humaine ou de l’homme lui-même. L’essence est ce que la chose n’est d’abord qu’en germe mais qu’elle sera effectivement quand elle sera pleinement accomplie.

La dialectique matérialiste de Marx s’appuie sur un monisme (2) : Marx considère que matière et esprit forment une seule réalité à laquelle l’homme accède, non par l’intuition sensible (d’un sujet passif et anhistorique)  mais par l’activité perceptive et cognitive et toujours dans le cadre d’une praxis, c’est-à-dire toujours dans le cadre d’une activité d’appropriation ou de transformation (trans-individuelle) dans laquelle il est lui-même engagé (et dont le niveau d’organisation de complexité dépend du niveau de développement de l’activité perceptive et cognitive humaine). Ainsi, les hommes ne sont pas seulement « des produits des circonstances et de l’éducation », leur activité transforme « les circonstances » — lesquelles les font évoluer dans la mesure où elles évoluent : les hommes sont producteurs d’eux-mêmes mais selon une logique circulaire. L’essence humaine n’est pas donnée et invariante : elle est le produit d’un développement (de processus historiques concrets).

Alors que la pensée métaphysique est adaptée à une science comme la botanique lorsqu’elle inventorie, qu’elle classe et qu’elle hiérarchise le vivant, elle ne permet pas d’en penser la logique. Pour comprendre cette logique, l’écologie et la biologie doivent mobiliser d’autres méthodes. Comme la sociologie et l’histoire, ces sciences pensent en termes de devenir, de rapports et de système, c’est-à-dire selon la méthode dialectique. Cependant, quel que soit le mode de pensée qu’on déploie, le principe de non contradiction, tel que l’a formulé Aristote, reste valable. Il est la base de toute pensée cohérente.

 La dialectique n’invalide pas la pensée métaphysique. Celle-ci lui cède le pas dans les sciences modernes mais reste valable dans ses domaines d’application. Certaines sciences vont même au-delà de la dialectique telle qu’elle est mise en œuvre chez Marx : elles sont le domaine de la pensée complexe décrite par Edgard Morin. Chaque science découvre et met au point ses propres modes de pensée. Ni la dialectique, ni la pensée complexe n’achèvent l’histoire des formes de la pensée.

1- La capacité des raisonnements hypothético-déductifs des mathématiques à anticiper ce que l’observation empirique finira par confirmer prouvent que le réel n’est pas chaotique mais qu’il obéit à des lois. Ce sont ces lois, dans leur forme très générale, que dégage la dialectique et qu’elle met en œuvre.

 1- un monisme ontologique doublé d’un dualisme gnoséologique

6 réflexions sur “Dialectique

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  3. La logique formelle dit « il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée ». La dialectique répond : tu as raison camarade mais tu penses la porte immobile. Pense-la comme un objet mobile : tu vois alors qu’elle est tantôt ouverte, tantôt fermée. Si elle se ferme c’est pour s’ouvrir et si elle s’ouvre c’est pour se fermer. Une porte toujours fermée, c’est un mur…. Une porte toujours ouverte, c’est une ouverture. Ainsi, fermée comme ouverte, elle n’est plus une porte. Il faut qu’une porte s’ouvre et se ferme !

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