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Jeff Koons : artiste et philosophe

image 1Je vous fais ici bénéficier des idées philosophiques du plus grand artiste vivant (Jeff Koons) telles que j’ai pu m’en imprégner en regardant la chaîne culturelle ARTE – écoutez, buvez-les et allez en paix :

Jeff Koons nous dit que son art est « sexy et que c’est ce qui fait sa force ». (Il omet de préciser la nature de cette force mais qu’importe une force est toujours positive puisqu’elle est le contraire d’une faiblesse). Alors donc pas de problème pour lui. S’il y a problème ce ne peut être que de votre fait, « ce qui pose problème c’est la résistance qu’on oppose à ses œuvres » (autrement dit : si vous n’aimez pas cela c’est votre affaire, c’est que vous avez un problème, vous êtes un refoulé : allez donc voir ailleurs et laissez le faire ses affaires comme il l’entend).

Il a fait de sa sexualité une œuvre d’art. Si cela vous scandalise c’est que vous n’êtes pas à la hauteur : «en s’affranchissant de la honte et de la peur on peut accéder à un plus haut niveau de spiritualité ». L’invocation de la « spiritualité » est ici symptomatique. Elle révèle un transgresseur qui la joue petits bras et s’abrite derrière de hautes visées. Tout cela est bien inutile aujourd’hui à Paris. Nous avons l’exposition sur Sade qui déjà répétait à la fin de 18ème siècle les atteintes aux bonnes mœurs avec l’application d’un ouvrier à la chaîne. Nous avons eu la grotesque affaire du plug anal déguisé en sapin, avec tout son cortège d’art pipi-caca (1). Cela n’intéresse plus grand monde dans un pays abreuvé de pornographie. Ce qui distingue Koons ici, c’est son insistance à s’excuser. Par l’exhibition, il s’agit tient-il à dire, de faire passer une idée fondamentale : «L’idée de fond était l’acceptation de soi ».

Cette acceptation de soi est un peu la négation des autres mais Jeff Koons ne semble pas le voir. Dans son atelier/entreprise il emploie des travailleurs salariés qu’il traite comme des instruments. Ils sont ses outils et il l’avoue sans la moindre gêne. Le produit de leur travail ne leur appartient pas plus que n’appartient à l’ouvrier ce que son usine produit. Ils exécutent des tâches parcellaires dont le moindre détail leur est commandé par leur artiste de patron. Toute ressemblance avec l’organisation capitaliste du travail serait-elle fortuite ? Comme serait fortuite la ressemblance de la désinvolture avec laquelle Koons s’empare des œuvres du passé pour les mettre à son service avec le pillage colonial. S’enrichir au dépend d’autrui ne pose pas de problème quand seul compte l’égo : «On peut créer des liens avec Manet, avec Vélasquez et par là même changer notre être». C’est vrai, on s’enrichit au contact des œuvres du passé, mais diront les mauvaises langues la petite nuance est que Koons s’enrichit capitalistement plus que culturellement.

Mais venons-en au cœur de cette philosophie et écoutons le maître : « Voilà le message philosophique que je souhaite faire passer : … tout va bien dans ce monde, tout est là et tout va bien ».

On peut dire du monde ce qu’il dit de ses œuvres : « C’est parfait, tout est parfait ».

Renonçons à tout conditionnement, ne nous laissons pas définir, vive la subjectivité inconditionnée ! car : « Il n’y a pas de règles. Tout ce qui nous arrive dans la vie, nous l’abordons chacun à notre façon ». Chômeurs, précaires, exploités de tous les pays, prenez donc la vie du bon côté.

Mais ne croyez pas que monsieur Koons n’a pas de culture, bien au contraire : Mickey, Donald, Popeye, la panthère rose, voilà sa culture. Voilà ce qui l’a formé. D’ailleurs « c’est notre histoire culturelle à tous ». Nous devons l’accepter et même nous y complaire car « Quand les gens ne sont pas connectés à leur passé, ils n’ont pas d’histoire sur laquelle se construire». Là je dis : c’est pas faux !

Vous êtes scandalisés par cette suffisance toute américaine et bien on vous dit : merde !

Cela est dit par un client, milliardaire grec (pas du tout gêné d’étaler sa fortune acquise aux dépens d’un peuple ruiné). Ecoutons-le : « si les gens trouvent cela provocateur alors tant pis… Derrière cette œuvre il y a tout un processus et beaucoup d’argent… Koons a compris qu’être commercial, c’est être populaire ».

Écoutons aussi l’opulent marchand d’art qui valorise les œuvres de l’artiste : «Les gens qui ne font pas partie du monde de l’art, qui ne sont pas impliqués dans le marché de l’art, trouvent peut-être cela (ces prix exorbitants) bizarre ou extravagant mais après tout qu’importe : leur opinion ne m’intéresse pas vraiment au fond ».

Et le mot de la fin : «C’est comme cela que la société fonctionne »

*

1 – Ce qui m’a choqué dans cette affaire de plug anal ce n’est pas la transgression (plus minable que choquante) ni la violence qui y a répondu. Non, c’est l’empressement servile de nos édiles et princes des médias (qui avaient jugé utile l’édification de ce machin) à assurer  « l’art » bafoué de leur soutien. La violence de la situation des sans abris semble moins les émouvoir. On a même vu, dans ce monde parfait, un vieux curé de 90 ans être condamné pour avoir hébergé des sans-papiers sans que cela les trouble le moins du monde.

Nous sommes dans le monde du « Tout est permis ». Les artistes lui donnent un vernis culturel, les intellectuels en font une idée nouvelle, les publicitaires l’exploitent de façon éhontée.

On va peut-être me dire que je suis un pauvre refoulé, qu’il ne faut pas être «coincé » comme ça. Qu’importe ! Oui, je l’avoue j’en ai marre parfois de toutes ces invites à la débauche dont la ficelle est tellement grosse qu’on se sent offensé non pas par ce qui est dit ou présenté mais par le fait qu’on puisse nous croire assez niais pour mordre à l’hameçon. Face à tout cela je ne peux que répéter ce que j’avais écrit il y a longtemps déjà à propos d’une publicité qui fleurissait sur nos murs. Je me permets de me citer

image 1« Vous avez peut-être vu comme moi ces affiches dans le métro qui proclament « tout est permis ». Il s’agit de vendre des maillots de bain très bon marché et de jolies petites robes qui sont présentées par des filles mignonnes et toutes simples. Je me suis demandé, en voyant cela, qui pouvait bien avoir eu l’idée accoler une proclamation amorale et l’image d’une jeune femme saine et gaie. S’agit-il d’aider à négliger le fait que des prix si bas ne sont possibles qu’avec des salaires de misère ? Ce serait très maladroit.

S’agit-il de faire moderne, dans le style « femme actuelle » ? Cela pourrait-il aller jusqu’à vouloir flatter celles qui ne voudraient surtout pas qu’on pense qu’elles sont rigides ou vieux-jeu et qui se donnent des airs d’affranchies. Ce serait vraiment excessif car on peut bien être moderne et tolérant sans être amoral. Reste l’hypothèse, que je retiens finalement, que cela ne fait que refléter l’idéologie des faiseurs de publicité. On aurait affaire à un Nietzschéisme de beaux parleurs.

image 3Nietzsche se réclamait de Voltaire et des Lumières. Mais Voltaire attaquait le christianisme en tant qu’il était le soutien de la féodalité alors que Nietzsche l’attaque parce, qu’à ses yeux, il est, par sa morale, le précurseur du socialisme et l’expression du « ressentiment des esclaves ». Les « secondes Lumières » qu’il voudrait incarner sont l’expression d’une élite décadente et réactionnaire. Elles doivent « montrer la voie aux natures dominantes », auxquelles « tout est permis ». Ce Nietzschéisme est la version libertarienne du « jouissons sans entrave » des anarchistes soixante-huitards, l’expression d’un égoïsme et d’un cynisme fascisants : une idéologie qui sied très bien aux faiseurs de mode».

3 réflexions sur “Jeff Koons : artiste et philosophe

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