Platon était sans doute très gêné par son affaire de Syracuse. Il a tenté dans sa lettre VII d’en faire une présentation à son avantage. Son souci principal reste cependant de préserver sa prétention à détenir une doctrine ésotérique qui lui assure la supériorité sur tous ceux qu’il n’a pas lui-même initiés. Cette prétention est manifeste dans ce passage de la lettre qui dit en substance ceci :
« Sommé par une lettre de Denys II de venir voir élevée selon mes vœux la position de Dion, sollicité par son parti, encouragé ici, je partis à Syracuse malgré le danger. Grâce à Zeus et par la magnanimité de Denys, j’échappais à ceux qui demandaient ma mort.
Inquiet de la fermeté de son zèle philosophique, je constatais immédiatement combien Denys ignorait les exigences d’une vie sage : qu’il faut peiner à étudier, rejeter la luxure et se tempérer. Je lui dis cela sans contrarier sa présomption.
J’appris qu’il prétend avoir composé un traité de sagesse mais je soutiens que ceux qui ont cet orgueil ne se connaissent ni ne comprennent cette matière ineffable destinée seulement aux plus saints. Je saurais mieux que quiconque l’enseigner cependant je n’en donnerai jamais aucun ouvrage écrit selon ma doctrine que je veux rappeler ici :
Tout objet, pour être connu exige : nom, définition et représentation. Ainsi « cercle » est un nom, « égale distance au centre » est définition, « dessin, ouvrage au tour » en sont la représentation qui n’en n’affecte pas l’essence. L’opinion vraie de cela est connaissance qui est objet originel non dans le langage mais dans l’intelligible seul. Il en va ainsi de toute figure aussi bien que du beau, du bien, du juste ou de toute chose. Qui ne saisit pas cela ne peut participer à la connaissance. Ce que le langage déficient peine à énoncer, l’intellect seul en contemple la perfection.
Comprenons que tout cercle fabriqué s’écarte du cercle en soi qui ne connait nulle contradiction, que tout nom est incertain et peut varier jusqu’à son contraire, de même la définition faite de mots, et que le sensible donné ainsi nous égare.
Mal éduqué l’on débat et cherche en vain cependant que celui qui est amené à concevoir et produire l’en soi vrai de l’objet débattu l’emporte non que les personnes soient réfutées mais les apparences dissipées. Car l’analyse rigoureuse par un esprit droit et juste produit la connaissance. L’esprit corrompu, mal disposé, échoue. Le talent sans le concours de la vertu avorte. Connaissance et sagesse jaillissent de l’échange réfléchi d’esprits droits et s’abîment dans l’écrit livré au public. Qui écrit sérieusement garde l’essentiel en son âme ou est égaré.
On comprend donc la vanité d’un écrit venant de Denys ou autre qui, inutile à la mémoire, avilirait indiscrètement notre enseignement ou le prétendrait, contre les compétents, obscur, dépassé ou frivole ».
On le voit tout Platon est dans ce passage : à la fois la valeur indéniable des idées mais aussi la prétention de les réserver à quelques-uns et d’en contrôler la diffusion pour protéger le potentiel de pouvoir que cette doctrine permet de s’octroyer ou de revendiquer.