Rapport social de sexe (3) : résistance féministe

image 3 Si on résume les deux articles précédents pour bien mettre en évidence ce que nous avons acquis jusqu’ici, nous constatons que les rapports sociaux de sexe peuvent prendre les formes les plus diverses tant qu’ils ne sont pas contraints par l’apparition de rapports sociaux de production forts et par des rapports de classes. Ils perdent leur autonomie quand ils sont imbriqués à ces autres rapports sociaux. Alors, la domination masculine s’installe ou s’aggrave. Les rapports sociaux de sexe évoluent au cours de l’histoire avec l’ensemble des rapports sociaux mais toujours avec un retard de telle sorte qu’il reste des traces de rapports féodaux dans les rapports de sexe quand la société capitaliste s’installe. Quand les rapports sociaux se modifient, les femmes entrent généralement dans les nouveaux rapports en situation d’infériorité et ne trouvent à s’y intégrer qu’avec retard. La sphère sociale réservée aux femmes est toujours la plus étroite. Dans les campagnes les femmes sont restées plus longtemps qu’ailleurs prisonnières de rapports sociaux précapitalistes (ne pouvant pas disposer d’elle-même ou même de leur temps). De cela découle des conséquences qu’il s’agit de développer maintenant.

L’être social des femmes est toujours marqué dans les sociétés de classe par les formes de domination les plus inégalitaires ; il accuse un retard sur celui des hommes. Le plus souvent les femmes acceptent et intériorisent leur statut social inférieur. De là vient sans doute que les femmes paraissent souvent plus conservatrices, plus attachées aux pratiques religieuses, moins tournées vers le domaine public et l’action politique. On ne peut pas dire que les femmes sont dominées parce qu’elles seraient moins enclines à s’affirmer, qu’elles sont moins agressives. La personnalité féminine est modelée par les rapports de domination plutôt qu’elle en est la cause. Le sexe féminin est sans doute moins agressif pour des raisons physiologiques mais cela ne se traduit par une situation de sujétion que pour autant que les rapports sociaux le favorisent.

Comme les autres rapports sociaux, l’organisation du rapport social de sexe est passé du religieux au juridique c’est-à-dire d’un système s’appuyant sur l’évocation d’une autorité transcendante à un système émanant d’une autorité humaine. Depuis le début du 19ème siècle, les rapports sociaux entre sexes et concrètement le statut des femmes est de plus en plus réglé par le droit. L’influence de la religion se maintient sur les mœurs (effectivement pratiqués) mais la domination cherche à s’imposer ou se maintenir par le biais du droit. Le droit est donc l’expression de la norme (des mœurs reconnus et revendiqués) qui organise le rapport social de sexe. En conséquence, comme pour les autres rapports sociaux, c’est dans la forme du droit et comme revendication du respect d’un droit fondamental, d’un droit conforme à la pleine dignité humaine, que les aspirations féminines sont invitées à s’exprimer. La discrimination est produite de manière directe ou indirecte par les lois, et c’est par des lois qu’elle demande à être levée. Cependant, le retard historique dans le développement du statut de la femme se retrouve dans l’apparition de revendications féministes. Ce n’est qu’au vingtième siècle que s’est développé un mouvement féministe véritablement organisé et susceptible de toucher les couches populaires. Encore ne s’est-il affirmé d’abord que dans les couches sociales les plus favorisées et n’atteint que très progressivement et avec beaucoup d’obstacles les femmes qui subissent le plus durement les autres rapports sociaux (de classe, de race etc.).

image 1Les mouvements féministes restent faibles. Ils concernent surtout les femmes les plus éduquées des zones urbaines des pays développés. Cela se comprend aisément : globalement, on constate empiriquement que dans un rapport social, la partie dominée est la moins consciente. C’est par le rapport social que se forge la conscience de l’appartenance à un groupe (et par extension et abstraction à l’humanité) mais les études sociologiques démontrent que cette conscience est plus vacillante dans le groupe dominé, qu’elle est marquée par les espérances et le poids de la mémoire et surtout qu’elle est travaillée par l’idéologie dominante. Dans le rapport de classe, la classe dominante est moins nombreuse mais plus organisée socialement, plus solidaire et a une conscience plus claire de sa spécificité. Cela est vrai également dans le rapport social de sexe : dans toutes les sociétés, les hommes sont solidaires dans leur domination et ne doutent pas de leur bon droit. Bien rares sont les hommes à avoir agi ou écrit contre l’oppression masculine (l’inverse remplirait des volumes). On peut citer Montaigne qui affirmait en 1588 que « les femmes n’ont pas tort du tout quand elles refusent les règles de vie qui sont introduites dans le monde, d’autant que ce sont les hommes qui les ont faites sans elles ». Au 17ème siècle le philosophe cartésien Poulain de la Barre a écrit un traité « de l’égalité des deux sexes » dans lequel il faisait ce constat : « Et dans ce qui concerne la condition présente des femmes, on aurait reconnu qu’elles n’ont été assujetties que par la Loi du plus fort ». Encore faut-il bien mesurer les limites de la solidarité féministe de Poulain de la Barre : selon Michèle Le Doeuff, elle ne vaut que pour les femmes adoptant le cartésianisme (Michèle Le Doeuff : « le sexe du savoir » Champs Flammarion – Aubier 1998). Pour le 18ème siècle et la période révolutionnaire, on ne peut citer que Condorcet. En 1790, dans son article « L’admission des femmes au droit de cité », il écrit : « … les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles susceptibles d’acquérir des idées morales, et de raisonner sur ces idées ; ainsi les femmes ayant ces mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ; et celui qui vote contre les droits d’un autre, quelle que soit sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré le sien ». Il faut attendre le 19ème siècle pour trouver quelques auteurs traitant favorablement de la condition féminine : John Stuart Mill rédige l’essai « de l’assujettissement des femmes » et, à la Chambre des Communes, défend le droit de vote des femmes. Charles Fourier met en relation la situation des femmes et celle de la liberté publique, il écrit : « En thèse générale : les progrès sociaux et changements de période s’opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté ; les décadences d’ordre social s’opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes ».  Le mouvement Saint-Simonien s’adresse aux femmes et en compte quelques-unes chargées de la propagation de la doctrine, mais il s’en sépare et les exclut de sa hiérarchie quand il opère un tournant religieux sous la direction du « Père » Enfantin. Georg Simmel écrit en 1890 un essai : « ce qu’il y a de relatif et ce qu’il y a d’absolu dans le problème des sexes ». Pour les débuts du socialisme, citons August Bebel et Engels.

image 2Du côté des femmes, celles qui ont défendu la cause de leur sexe sont encore plus rares et isolées et n’ont une réelle influence que tardivement. Pour le 17ème siècle, Michèle Le Doeuff nous fait connaitre Gabrielle Suchon (qui serait l’inspiratrice des idées du jeune J. J. Rousseau) et aurait été elle-même influencée par Christine de Pisan (15ème siècle) qui défendait l’éducation pour tous. Il y a évidemment Olympe de Gouge pour le 18ème siècle (avec les limites que nous avions notées). Citons Mary Wollstonecraft (la mère le Mary Shelley) et au 19ème siècle les Saint-simoniennes Marie-Reine Guindorf et Désirée Véret qui fondent ensemble en 1832 une petite brochure « la femme libre ». Dans l’effervescence de la période révolutionnaire, sur la base d’un rapport social fortement inégalitaire, se forge une conscience de soi féminine et s’exprime l’idée encore très isolée que « les femmes ne devront qu’à elles-mêmes leur émancipation définitive. Les hommes, pour vaincre les privilèges, ont fondé la Société des droits de l’homme ; eh bien, que les femmes fondent une société correspondante des droits de la femme […]. Elle fera sentir aux pouvoirs mâles que toute représentation nationale est incomplète tant qu’elle n’est que mâle » (Adèle de Saint-Amand). Après 1830 et jusqu’à la chute de l’Empire, les mouvements féministes restent confidentiels et sans effets. Le féminisme trouve un nouvel élan dans le socialisme et l’anarchisme avec Madeleine Pelletier, Alexandra Kollontaï, Flora Tristan et Louise Michel.

Le féminisme est certainement le seul mouvement émancipateur à ne s’être jamais exprimé que sous la forme de la revendication de droit. De ce point de vue, il vérifie notre thèse que lorsqu’un rapport social est vécu consciemment comme tel, la tension qui lui est inhérente est source de revendication sous forme d’affirmation de droits. Le féminisme a exprimé ses aspirations d’abord sous la forme d’un droit fondamental et d’une application véritable de l’universalité prétendue des droits de l’homme, puis au cours du 19ème et de plus en plus en plus au 20ème siècle sous la forme de la revendication de droits positifs et par la proposition de projets de lois. Dans ses périodes de recul, quand le conservatisme ne lui laissait aucun espoir, il a toujours maintenu la revendication du droit de vote comme étant la plus fondamentale et la clé de toutes les autres. Dans la première moitié du vingtième siècle, la question du droit de vote était la seule commune à toutes ses composantes. Il s’est heurté alors, en France au début de la troisième république, à l’obstination du parti Radical et aux préventions des syndicats corporatistes. Cela l’a obligé à être toujours concret, précis dans ses demandes et à les motiver toujours dans les termes convenus du droit, de l’idéologie républicaine et laïque et à insister toujours sur la question d’universalité des principes juridiques. Il a toujours eu à lutter contre la tendance à vouloir le ridiculiser, à l’accusation d’immoralité ; cela lui a interdit les utopies. Il a par conséquent toujours été un mouvement d’autant plus paradoxalement faible dans son audience qu’il était intellectuellement fort dans ses doctrines.

rapport social de sexe (2) : histoire d’une domination

image 1L’axe autour duquel s’organisent les mécanismes qui gouvernent les rapports entre les sexes, c’est la division sexuelle du travail (donc la forme sexuelle du rapport social le plus englobant : la division du travail). Il se caractérise par une constante universelle modulée par des variations ; la constante universelle, c’est la séparation sociale des sexes avec l’attribution aux seuls hommes des activités liées à l’exercice de la violence (guerre et chasse aux gros gibiers). La variation concerne en particulier les droits et les prérogatives économiques des femmes. Dans certaines sociétés, les femmes sont sous la coupe des hommes sur tous les plans ; dans d’autres sociétés, les femmes possèdent des positions économiques qui leur permettent de faire pièce au pouvoir masculin.

La division sexuelle du travail est une condition nécessaire de la domination masculine. C’est parce qu’ils maintiennent leur domination dans l’organisation économique et qu’ils se réservent le monopole de la force organisée, que les hommes assurent la persistance de leur autorité politique. Partout chaque sexe est plus ou moins astreint à des activités productives spécifiques et à fournir à l’autre sexe le produit de son travail. Les féministes sont donc fondées à remettre en cause cette division sexuelle du travail et à vouloir l’égalité partout mais d’abord dans ce domaine. Cette division se constate partout et dans toutes les sociétés quoique à des degrés divers. On la trouve toujours aussi loin qu’on remonte. Elle est peut-être un acquis lié à l’humanisation ou, selon certains, un acquis du paléolithique supérieur qui expliquerait le succès de l’homo sapiens sur Neandertal. Elle a aussi, au moins partiellement, une origine naturelle : maternité, musculature féminine plus faible etc. Il semble probable qu’une division des tâches s’est imposée dans les sociétés de chasseurs : aux hommes la chasse au gros gibier et la guerre, aux femmes la chasse au petit gibier, la cueillette et la cuisine quotidienne. Il est vraisemblable qu’un système de valeurs différentes se soit attaché à ces tâches. Là où les différences étaient manifestes, comment l’égalité aurait-elle pu être pensée ? C’est son contraire, l’inégalité, qui a été pensé. Ce n’est que dans les sociétés développées, où le travail requiert de moins en moins l’exercice de la force physique, que la question de l’égalité se pose avec une réelle acuité.

Les conséquences les plus originairement inscrites de la division sexuelle du travail sont partout les mêmes : le monopole des hommes sur les armes leur a donné un poids décisif sur les relations avec les groupes voisins. On ne connaît aucune découverte archéologique qui contredise l’existence d’une division sexuelle du travail ni qui infirmerait la règle selon laquelle ce sont les hommes qui détenaient la totalité ou l’essentiel des armes les plus létales. Pour Françoise Héritier, la domination masculine (qu’elle désigne comme « la valence différentielle des sexes), est l’effet « de mécanismes invariants sous-jacents… qui ordonnent le donné phénoménologique des sociétés et lui confèrent son sens », elle est donc quelque chose de structurellement fixé, destiné à toujours se répéter sous différentes formes. Pour elle, les sociétés ne peuvent être construites autrement que sur « cet ensemble d’armatures étroitement soudées les unes aux autres que sont la prohibition de l’inceste, la répartition sexuelle des tâches, une forme légale ou reconnue d’union stable et la valence différentielle des sexes ».

Partout les femmes ont eu tendance à devenir l’enjeu des stratégies masculines. Avant même que les hommes aient pu manipuler des richesses (un surplus social), ils manipulaient des droits sur les femmes. Les femmes ont ainsi toujours été en position de subir de manière défavorable les évolutions ultérieures. Lorsque la sédentarité et le stockage des productions sont devenus possibles, que les richesses ont commencé à être accumulées et utilisées, les rapports sociaux se sont diversifiés et complexifiés. L’exploitation économique s’est mêlée à l’oppression que les femmes subissaient déjà. Le modèle de société Iroquois (pris comme base d’étude par Morgan et Engels), modèle dans lequel les femmes avaient des droits économiques étendus et étaient « fort considérées », n’est ainsi sans doute pas un modèle primitif mais plutôt vraisemblablement le fruit d’une longue histoire et de circonstances favorables : la chasse et la guerre pouvaient éloigner les hommes pour de longues périodes.

image 3La vie sociale est toujours dominée par les hommes, que l’on se tourne vers les sociétés de classes de l’Antiquité occidentale (Grèce, Rome) ou orientale (Chine, Japon), vers les sociétés étatiques de l’Amérique précolombienne (Incas, Aztèques) ou les sociétés à castes de l’inde. Cependant, l’effet produit par le rapport social de production se fait sentir et influence le rapport de sexe et sa compréhension. La société grecque est essentiellement esclavagiste et aristocratique : être pleinement homme pour un grec, c’est d’abord être un homme et non une femme, être libre et non esclave, être athénien et non métèque. La femme grecque de condition « libre» est enfermée dans les liens du mariage dans la famille de son maître et époux, dont elle dirige en partie l’économie domestique. Le maître dispose à son gré de ses esclaves féminines en matière sexuelle. Sa relation à son épouse est marquée par ces autres rapports sociaux de domination. Aristote définit d’ailleurs clairement ces relations de sujétion lorsqu’il écrit dans La Politique : « Les parties primitives et indécomposables de la famille sont le maître et l’esclave, l’époux et l’épouse, le père et les enfants » et qu’il ajoute : «Hésiode a eu raison de dire que la première famille fut composée de la femme et du bœuf de labour. En effet, le bœuf tient lieu d’esclave aux pauvres ».

Ainsi, dès que s’impose un rapport social de classe, l’analogie entre structure de la famille et structure du mode de production se fait sentir. S’y fonde une double sujétion de la femme, dans la cité d’une part, dans la famille d’autre part. Il y a donc ici une particularité des rapports sociaux de sexe qui tient à ce qu’ils existent même en l’absence d’autres formes de clivage des sociétés. Ils peuvent prendre les formes les plus variées, tout en restant des formes de domination masculine, jusqu’à ce que les rapports de classe viennent leur imprimer leur marque.

La compréhension des sociétés primitives, puis des sociétés esclavagistes éclaire notre propre société : ce qui décide de la forme des rapports sociaux de sexe ou la laisse ouverte, c’est leur lien aux autres rapports sociaux ou l’absence d’un tel lien et, là où des rapports sociaux de classe existent, c’est la forme de ces rapports. Se confirme que la revendication du mouvement féministe moderne va bien au cœur du problème quand elle demande l’égalité dans tous les rapports de production comme dans tous les autres rapports. Elle se résume dans la formule : égalité des sexes. Mais peut-être faudrait-il mieux parler d’identité ou d’indifférenciation des rôles sociaux. Car, cette revendication est en fait celle que les rapports sociaux de sexe ne soient plus modulés par les autres rapports sociaux, en particulier par les rapports sociaux de classe, qu’il leur soit rendu une capacité d’évolution autonome donnant plus de droits et d’opportunités aux femmes. L’aspiration à l’égalité des sexes est un idéal dans lequel toute forme de division sexuée de la société aurait disparu. C’est une revendication totalement moderne dont on ne trouve aucun germe dans les sociétés précapitalistes. On a vu dans ces sociétés des femmes qui résistaient, qui se vengeaient des hommes en les faisant tuer, qui s’enfuyaient etc. ; on a vu des femmes agir collectivement pour se faire respecter, mais nulle part, dans aucune de ces sociétés, on a vu quiconque, homme ou femme, imaginer et revendiquer une égalité.

En Europe depuis le moyen-âge le statut des femmes a connu des évolutions contrastées liées à l’évolution générale des sociétés et des rapports sociaux. Aux 12ème et 13ème siècles, le processus d’urbanisation a créé des conditions favorables à l’intégration sociale des femmes. C’est à cette époque que s’invente le mythe de l’amour courtois, dans le midi de la France (plus urbanisé et influencé par la civilisation arabo musulmane). Selon Denis de Rougement (« l’amour en Occident »), avec « Tristan et Iseult » s’invente l’idée de l’amour absolu lié au basculement d’un ordre chrétien et féodal en un monde moderne influencé par l’orient. Alors que le monde féodal est brutal et inculte, apparaissent des seigneurs poètes. La thèse de Denis de Rougemont est que cela est lié au retour des chevaliers de la croisade. L’écrasement de l’hérésie Cathare (1209-1229) met fin à ce mouvement et rétablit les rapports sociaux féodaux.

Dès le 14ème siècle et au 15ème siècle, les femmes rencontrent de plus en plus d’obstacles à leurs activités. A la fin du 16ème, on a observé partout une détérioration du statut des femmes sous l’influence de la conjoncture démographique et économique, de certains facteurs politiques et des réformes protestantes et catholiques. Au 17ème siècle Molière ridiculise les femmes qui veulent s’émanciper. Même les Lumières restent hostiles aux droits des femmes ; l’Encyclopédie ne leur reconnaît qu’une demi citoyenneté : « On accorde ce titre [de citoyen] aux femmes, aux jeunes enfants, aux serviteurs que comme membres de la famille d’un citoyen proprement dit : mais ils ne sont pas vraiment citoyens ».

Après une nouvelle période d’amélioration progressive, la domination masculine (autorité maritale et paternelle) a été durablement renforcée par le Code Napoléon et ses imitations dans toute l’Europe. Le Code Napoléon maintien de fait pour les femmes la situation et les rapports de dépendance caractéristiques de la société féodale. Le Code Civil organise le mariage comme un contrat mais y maintient un rapport de sujétion personnelle de la femme. Son article 213 dit ou plutôt disait : « Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ». Le droit au divorce instauré par les lois de Septembre 1792, est limité par le Code Napoléon puis complètement supprimé en 1816. En 1884, il est rétabli dans ses conditions de 1804 ; il est libéralisé en 1908, restreint en 1941 pour être rétabli dans ses conditions de 1908 en 1945. Le divorce par consentement mutuel n’existe que depuis 1975. Le droit d’administrer les biens communs n’existe que depuis 1965.

image 2Jusqu’à la fin du 19ème siècle, la femme n’a ni la propriété de sa personne, ni la disposition de ses biens. L’ordre social et la hiérarchie familiale se confortent l’un par l’autre. En 1820, Guizot le dit expressément : « Le mariage prépare le gouvernement de la famille et amène l’ordre social ; il établit les premiers degrés de subordination nécessaire à le former. Le père est le chef par la force ; la mère, la médiatrice par la douceur et la persuasion ; les enfants sont les sujets et deviennent chefs à leur tour ; voilà le type de tous les gouvernements ». C’est ainsi que les femmes entrent dans les nouveaux rapports sociaux liés à l’émergence du capitalisme dans une situation d’infériorité. La domination qu’elles subissent est d’abord confortée et ne peut s’améliorer que lentement. La condition féminine demeure hors du champ d’influence des droits de l’homme. La tentative d’Olympe de Gouges est restée isolée et sans suite (elle se conjuguait d’ailleurs avec une défense du système censitaire, d’aristocratie des riches qui excluait les pauvres et donc les femmes pauvres et supprimait les assemblées primaires mixtes de 1789 dans lesquelles les femmes « chef de foyer » avaient le droit de vote).

Au vingtième siècle, on connaît l’effet qu’ont eu les guerres sur la division sociale du travail et l’ensemble des rapports sociaux et comment cela s’est traduit par de difficiles avancées dans la condition féminine. Toutefois, en France, ce n’est que le préambule de la Constitution de 1946 qui pose le principe de l’égalité de droit entre hommes et femmes. Ainsi, l’évolution des rapports sociaux de sexe au cours de l’histoire montre qu’il garde des traces de l’ancien mode de rapports de classe quand celui-ci a évolué et est passé du féodalisme au capitalisme. De là, on peut supposer que le passage à une société sans classe n’impliquerait pas une modification consécutive des rapports sociaux de sexe. Ils retrouveraient leur autonomie mais il resterait à la faire vivre.