Qu’est-ce que la monnaie ? (4)

image 3La monnaie apparaît comme une chose « vivante », c’est-à-dire comme quelque chose qui ne se maintient que par une activité incessante et de constantes interactions entre divers opérateurs. On peut dire qu’elle partage avec le travail cette particularité d’être la seule chose vivante dans l’économie. Les marchandises, les moyens de productions matériels, les richesses accumulées, ne sont que du travail mort. Ils s’échangent en empruntant la forme de la vie sous la forme de la monnaie. Par la monnaie le travail vivant imprègne les choses qui s’échangent pour leur insuffler une nouvelle vie et une nouvelle valeur. C’est de cette façon qu’un objet produit dans un passé lointain peut avoir une valeur au présent. La monnaie supplée à l’impossibilité de réanimer un travail passé en lui substituant l’idée d’un travail présent. Par la monnaie, l’ensemble des choses échangées est imprégné d’une valeur dont la source se trouve dans le travail présent. Des choses, dont la valeur travail ne peut plus être mesurée, ont ainsi un prix. Ce sont les échanges des productions nouvelles, fruit d’un travail actuel, qui permettent que des choses dont les conditions de production sont oubliées ou ne sont pas reproductibles peuvent avoir une valeur et un prix au présent. Cela ne fonctionne que pour autant que l’échange de ces choses (comme des œuvres d’art par exemple) ne constitue qu’une très faible part des échanges globaux. Cette logique se perturbe quand la finance domine l’économie et que les échanges financiers l’emportent sur les autres. Ainsi dans le cadre du capitalisme contemporain, le volume des échanges financiers est complètement déconnecté du volume des échanges de marchandises et prend une ampleur démesurée. Une spéculation financière effrénée perturbe le fonctionnement de l’économie et provoque l’apparition de « bulles spéculatives » qui frappent les domaines les plus divers.

Rappelons ce que nous ont appris les articles précédents : la monnaie apparaît comme un phénomène économique qui ne peut se saisir qu’au présent, où dans un moment déterminé du développement de l’économie. On ne peut en parler abstraitement que de façon très générale et superficielle. Cependant, le caractère lui aussi incomplet, de la présentation qui nous avons faite, pose des questions. La première est celle des limites de sa validité. La conception qui a été proposée ne constitue pas une critique et encore moins une réfutation des conceptions qui ont pu être développées au sujet d’autres formes de la monnaie, fonctionnant selon d’autres modalités. Celles de Ricardo et de Marx restent, en fait, parfaitement valables pourvu qu’on accepte qu’elles s’appliquent à des monnaies fondées sur l’étalon or et s’appuyant sur des réserves en or ou en métaux précieux. Elles sont liées à la période du développement industriel du capitalisme et à la généralisation des rapports sociaux du capitalisme. Nous avons vu qu’on trouve chez Ricardo l’une des premières utilisations d’une approche de la monnaie. Mais pour Ricardo, la monnaie avait la forme de l’or et de l’argent. Or l’or et l’argent ont une valeur intrinsèque, qu’il pouvait dire : « non arbitraire, dépendant de leur rareté, de la quantité de travail nécessaire pour les produire, et de la valeur du capital employé dans les mines qui les produisent ». Cette valeur est celle d’une marchandise. Pourtant, la monnaie n’est pas une marchandise comme les autres. D’emblée la valeur de la monnaie et celle des autres marchandises se distinguent. Selon Ricardo, la valeur de la monnaie tient, dans le cours terme, à sa rareté et ne dépend de ses coûts de production que sur le long terme. La valeur de la monnaie qui est émise est soumise à des déterminations complexes où jouent la rareté et le court terme, le travail et le long terme, et où le mécanisme d’attribution du crédit (que nous avons considéré comme le déterminant essentiel) n’intervient pas. Ricardo explique la différence de valeur entre l’or et l’argent par la différence de la quantité de travail nécessaire pour les produire, mais il corrige ou redouble cette différence en invoquant la rareté de la monnaie en général. Il introduit le paramètre de l’évolution de la masse monétaire pour expliquer l’évolution des prix. La masse monétaire en circulation détermine selon lui le niveau des prix, mais elle est elle-même modulée par la valeur intrinsèque de l’or et de l’argent qui dépend de la quantité de travail nécessaire à leur production. La valeur travail de l’or et de l’argent joue pour Ricardo le rôle que nous avons attribué au marché monétaire. Il assure un ajustement de la masse monétaire à la valeur des marchandises échangées. Si l’or est abondant et que sa valeur libératoire baisse, la production d’or va diminuer. Pour nous, une banque qui prête inconsidérément a une trésorerie déficitaire et va être sanctionnée par le marché. Elle devra réajuster son offre de crédit. Chez Ricardo, la quantité de monnaie en circulation peut aussi devenir excédentaire si la valeur des marchandises diminue (sous l’effet de l’innovation ou d’une meilleure organisation du travail). Alors, l’abondance relative de monnaie fait qu’elle se dévalorise. Les valeurs des marchandises et de la monnaie croissent et décroissent jusqu’à ce qu’ils s’ajustent. Les prix s’ajustent selon un mécanisme complexe où le travail joue le rôle du déterminant en dernier ressort en agissant à la fois sur la valeur des marchandises proposées sur le marché et sur la valeur propre de l’or et de l’argent qui en assurent l’échange.

image 1Pour Ricardo, l’économie est indifférente à la quantité de monnaie papier émise. Si trop de papier est émis, les prix nominaux vont monter. Il faudra une quantité supérieure de monnaie papier pour exprimer le prix de l’or, la quantité d’or restant inchangée. L’équilibre se rétablit par une égalisation des prix de l’or marchandise, de la valeur de l’or monnaie et de la valeur libératoire des billets de banque en circulation. La régulation se fait par le marché de la monnaie qui imite ou retrouve la détermination par les coûts de production. Ainsi, la production conserve toujours sa primauté, en particulier dans la détermination des taux d’intérêts, qui dépendent du taux de profit pouvant être réalisé. Ces dernières considérations nous autorisent à estimer que globalement les théories économiques initiées par Ricardo valident notre approche de la monnaie à partir du crédit. Elles en font apparaître les prémisses sous la forme de systèmes de validation des valeurs par des mécanismes de rétroaction sur les marchés. Cette approche se retrouve dans les théories monétaristes. Elle est largement admise par l’économie considérée comme scientifique. Rappelons toutefois que chacune de ces théories s’applique à la monnaie à un moment de son évolution et qu’aucune n’est définitive.

Cependant la description de Ricardo aboutit à un équilibre que l’histoire ne valide pas (ce point est corrigé par Marx dans un cadre plus large). Si on regarde l’histoire des émissions de monnaie fiduciaire, on constate une série récurrente de crises en 1848, 1870, 1914, 1926 et 1936 qui aboutissent à la non-convertibilité des billets en or. Les crise monétaires sont dues souvent au fait que la quantité de monnaie émise dépend de l’action d’un organisme émetteur extérieur aux relations économiques. En 1848, par exemple, la crise économique et politique contraint le gouvernement à proclamer le cours forcé des billets de banque et l’obligation de les accepter en paiement à l’égal des pièces métalliques. Le même mécanisme se répète en 1870. Il apparaît que les émissions monétaires pour financer les dépenses publiques ajoutent aux aléas des marchés monétaires. Ils sont un type d’émission qui ne correspond ni au schéma théorisé par Ricardo ni au schéma dont nous sommes partis. La nature de la monnaie est perturbée par des émissions de monnaie qui ne s’appuient pas sur le constat d’une valeur déjà là. Les déficits publics en sont un exemple. Nous avons constaté aussi qu’une émission monétaire peut se faire sans avoir à se valider sur le marché monétaire. C’est le cas des émissions qui ont abouties à la crise de 2007 qui, par le mécanisme de titrisation, trouvaient à se valider sur le marché financier et se présentaient sous la forme de « produits dérivés » qui ne permettaient plus d’évaluer les risques de non remboursement.

image 2Dans le fonctionnement de la monnaie, l’État et les marchés financiers interviennent d’une autre manière que les acteurs économiques. Ils sont des agents économiques qui, par leur action, brouillent la nature de la monnaie et influent fortement sur son pouvoir libératoire. L’État a le monopole d’émission de la monnaie et il est en charge de sa gestion. Il augmente ou diminue l’offre de monnaie en agissant sur les taux d’intérêt. Mais il est aussi demandeur de monnaie. En France un circuit monétaire spécifique gère la trésorerie de l’État et des collectivités locales : c’est le circuit du Trésor. Il fait les avances nécessaires aux dépenses continues de l’État comme le paiement du salaire des fonctionnaires ; ce faisant il crée de la monnaie. Dans cette opération, la monnaie créée n’a pas encore une nature essentiellement différente de celle émise par les banques commerciales. Mais l’État peut aussi recourir volontairement au déficit et choisir de financer ce déficit par la création monétaire. Il fait alors un pari sur l’avenir dont la rationalité est différente de celle de la création monétaire pour le financement de l’économie. Dans la zone euro, ce type de financement est en principe interdit par les statuts de la banque centrale. On a vu que l’ampleur de la crise l’a contrainte à passer outre à ses propres règles.

Mais la monnaie est surtout politique par les choix politiques fondamentaux opérés : dévaluation, accords monétaires, organisation des marchés et même création d’une nouvelle monnaie comme l’Euro. Toutes ces politiques ont une rationalité qui leur est propre mais qui n’est pas celle mise en œuvre dans les crédits à l’économie. Elles sont l’effet des tentatives plus ou moins conscientes d’adapter la monnaie aux nécessités du stade de développement du capitalisme. Elles font de la monnaie un instrument politique par le lequel un groupe politique assure sa domination sur les autres. Ainsi les politiques de dérèglementation des marchés de capitaux ont permis de renforcement la domination du secteur financier sur le reste de l’économie et sur l’ensemble des sociétés. Elles ont modifié profondément les rapports sociaux. Dans ces fonctions, la monnaie prend la forme du capital. Elle est ce en quoi s’exprime la puissance du capital. Elle est l’expression d’un rapport de domination de classe.

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Concluons : la nature de la monnaie est complexe. Elle est à la fois la constatation d’une valeur et le moyen par lequel les marchandises expriment leur valeur relative. Mais elle est aussi le support d’un rapport social entre créancier et débiteur et plus généralement d’un rapport de domination. Elle irrigue l’ensemble du corps social et peut devenir un support pour les relations sociales les plus diverses et les plus éloignées des relations économiques. Enfin, la monnaie est le vecteur et le moyen d’expression du capital et donc d’un rapport de domination de classe qui est au centre de toute l’organisation sociale. La monnaie est plus ou moins à la fois tout cela dans toutes ses formes. Mais ses formes (ses avatars) sont suffisamment diverses pour qu’on ne puisse pas la caractériser autrement que dans un moment de son histoire, dans une configuration économique spécifique. Elle n’est pas aujourd’hui ce qu’elle était il y a un siècle et ne sera sans doute pas dans un siècle ce qu’elle est aujourd’hui.

Qu’est-ce que la monnaie ? (3)

image 1Lorsqu’une banque accorde un crédit, elle créée la monnaie correspondante en inscrivant sa créance à l’actif de son bilan. La contrepartie de cette écriture conventionnellement débitrice est l’inscription du même montant au crédit du compte de l’emprunteur dans les livres de la banque (au passif de son bilan). Les paiements que l’emprunteur effectuera débiteront son compte pour créditer le compte d’un fournisseur. Si ce compte est tenu dans un autre établissement, cette opération s’effectuera entre les banques par un virement entre leurs comptes auprès de la banque centrale. (Nous avons vu qu’en fait c’est le solde des opérations croisées qui est viré).

Parmi les fournisseurs, il s’en trouve un qui livre une marchandise particulière : sa force de travail. Il reçoit un salaire en échange duquel, il a le devoir d’exécuter le travail demandé. Dans le fonctionnement du mécanisme de crédit, deux relations de pouvoir se mettent en place. La monnaie qui lui a été prêtée donne à l’emprunteur un pouvoir sur le salarié mais aussi dans une moindre mesure sur quiconque se trouve dans la situation de fournisseur. Mais l’emprunteur subit le pouvoir de la banque qui peut faire valoir ses garanties en cas de non remboursement.

La monnaie a l’apparence d’un bien, mais elle est l’instrument d’un rapport social. Elle est selon Marx la forme réifiée d’un rapport social. Nous avons déjà développé cette idée dans l’article du 21 mars intitulé « rapports sociaux ». Rappelons ce qui été dit :

« L’échange des marchandises ne peut se faire que sur le marché car la valeur d’échange ne se réalise que sur le marché. Pour qu’il y ait marché, dit Marx, les individus qui y amènent leurs marchandises « doivent se reconnaître réciproquement comme propriétaires privés ». Dans cette seule remarque nous retrouvons tous les éléments par quoi Danièle Kergoat définit un rapport social.

1) Il y a un enjeu et une tension. Deux volontés se confrontent et cherchent à tirer le meilleur avantage de l’échange. Autour de cet enjeu se constituent deux groupes sociaux : les vendeurs et les acheteurs. Dans cette situation s’invente, ou plutôt est en œuvre, une façon spécifique de penser. Les protagonistes se constituent en groupes antagonistes. Ils se voient et se pensent « comme propriétaires privés », comme acheteurs et comme vendeurs, c’est-à-dire selon des déterminations à la fois institutionnelles et abstraites.

2) Les groupes antagonistes « ne sont pas donnés au départ » puisqu’il faut le marché pour qu’ils puissent se reconnaître. Être propriétaire privé et reconnu comme tel n’est pas une donnée liée à la personne humaine en tant qu’être naturel (voir à ce sujet l’article : « la question de la propriété ») non plus qu’être acheteur ou vendeur.

3) Dans la transaction commerciale, l’acheteur et le vendeur sont indifférents à la personne de leur protagoniste. Les acheteurs viennent avec leur besoin que la marchandise comme valeur d’usage peut satisfaire, mais ils n’ont pas nécessité de connaître les besoins de l’autre. Chacun contracte « sans s’inquiéter si sa propre marchandise a pour le possesseur de l’autre une valeur utile ou non ». Dans ce sens, dit Marx : « l’échange est pour lui un acte social général » c’est-à-dire que c’est une forme interaction sociale codée, qui se déroule selon des normes que chacun a intégrées sans en avoir conscience.

image 2C’est à l’aboutissement de ce raisonnement, ici résumé, que Marx introduit la monnaie comme « équivalent général ». Il reconstruit succinctement le processus historique de son apparition. L’argent ou la monnaie dont la marchandise « équivalent général » est le signe, se forme dans les échanges. Elle est un produit des rapports marchands, produit issu d’un développement historique. L’argent se forme dans un processus de scission de ce qui deviendra l’équivalent général : par « le dédoublement de la marchandise en marchandise et en argent ». Ce qui amène Marx à cette conclusion : ce dédoublement est possible parce que « sous l’apparence d’un objet extérieur, la monnaie déguise en réalité un rapport social ». »

Notre analyse de la création monétaire dans les économies modernes a montré que ce n’est pas « dans les échanges » mais par le prêt que se crée la monnaie. Cette évolution n’invalide pas la conception de Marx mais l’élargit au contraire. La forme moderne de la monnaie met potentiellement l’ensemble des interactions sociales sous le sceau de l’intérêt égoïste.

Par le prêt le prêteur a un pouvoir sur les biens du débiteur. Il peut, s’il s’est correctement couvert, s’en emparer en cas de non remboursement (d’où les garanties prises par la banque). La monnaie est aussi la matière du salaire du travailleur et l’instrument du pouvoir de l’employeur. Dans le contrat de travail, le temps de travail contre de la monnaie permet au détenteur du capital, possesseur des moyens de production, de garder l’entière propriété du produit du travail. Avec la généralisation de la monnaie scripturale, le rapport de domination que permet la possession ou l’émission de la monnaie, devient invisible. Les paiements se font sans rencontre et uniquement sous la forme d’inscriptions dans des livres comptables. C’est ainsi que les salariés peuvent ne jamais rencontrer les actionnaires de la société qui les emploient. Ils peuvent ne rien savoir de ceux qui exercent une domination sur eux et ils ne connaissent de cette domination que les effets qui leur sont le plus proche (sous la forme d’un contremaître, par exemple).

La monnaie est à la fois constatation d’une valeur et instrument d’une relation sociale. Elle est plus qu’un instrument économique. Elle est plutôt, dans une société comme la nôtre, le liant des relations sociales, ce sous quoi toutes les relations sociales peuvent se fondre et ce par quoi elles peuvent se faire voir. Ainsi, un dommage causé à autrui, volontairement ou non, peut donner lieu à un dédommagement dont le montant n’a pas de relation objective avec le dommage (lequel ne peut généralement pas être mesuré en temps de travail social et n’a donc en lui-même pas de valeur économique estimable). L’offre de monnaie (sous forme de don) peut aussi devenir une marque d’affection ou elle peut se considérer comme l’expression d’un sentiment. Elle déborde alors sa fonction économique pour se charger d’affects.

Dans la société capitaliste contemporaine, le rapport social fondamental (celui dont l’action sur le devenir social est le plus puissant) est celui exercé par le capital sous la forme des institutions financières et le crédit est la source première de la création monétaire. Il est donc logique que nous ayons abordé la monnaie en commençant par analyser les conditions de l’octroi d’un crédit. Si l’économie classique (et Marx en particulier) commence son analyse par l’étude de la relation d’achat de marchandise et plus spécifiquement d’achat de la force de travail, c’est sans doute le reflet de la domination du capital industriel sur la société du 19ème siècle, c’est qu’au moment de la révolution industrielle ce phénomène était celui qui modifiait le plus directement la société. C’est la forme de l’économie (le rapport social de production dominant) qui détermine la forme de la monnaie et dicte le moyen de son étude.

image 3La monnaie a une histoire puisque sa forme est liée à ce qui, à un moment, est le ferment des évolutions sociales. Ses changements de forme suivent l’évolution de l’ensemble de la société, elles en sont une composante essentielle qui marque le passage à un nouveau stade. Il n’est donc pas possible de traiter de la monnaie en général, dans un absolu qui ne tient pas compte de son histoire. Un discours sur la monnaie « en général » sans autre précision ne pourrait être que très superficiel. La monnaie n’a cessé d’évoluer pour des raisons impératives, indépendantes de l’intelligence ou de la sensibilité des opérateurs. Ces déterminations ont justifié des choix politiques (ces choix politiques ont eux-mêmes leur rationalité propre). En phase avec le développement de l’économie capitaliste et à travers ses crises, nous sommes passés d’une monnaie or, au bimétallisme, pour revenir à l’étalon or (gold exchange standard). Celui-ci a eu un cours forcé qui a été abandonné de 1914 à 1926 puis repris avec des aménagements. Un étalon devise, s’est alors imposé. Le lingot d’or comme étalon est devenu ensuite la norme. Les institutions monétaires ont été réorganisées à Bretton Woods et se sont maintenues de 1944 à 1971. Ce système a été remis en cause et remplacé par divers systèmes de cours flottants. Le dollar s’est finalement imposé comme monnaie de réserve mais cela n’a rien de définitif. En fait la monnaie évoluent sans cesse à la fois dans ce qu’elle représente, dans ses formes et ses avatars. On ne peut donc pas considérer qu’il y a une unité d’essence de la monnaie à travers l’histoire et d’un système économique à l’autre.

La monnaie est de part en part une réalité historique. Ses différents avatars sont autant de réalités différentes. A chacune des époques, les composants de la masse monétaire et les contreparties de la masse monétaire en circulation ne sont pas les mêmes, les rationalités mises en œuvre diffèrent et les institutions qui émettent la monnaie ne sont pas les mêmes. Cela signifie que la monnaie n’est, en fait, pas la même. Elle n’a de commun, sous ses différents avatars, que d’être le médium par lequel les valeurs s’expriment et les échanges se réalisent. Les comparaisons du pouvoir libératoire de la monnaie dans le temps n’ont pas véritablement de signification. Les prix mêmes, exprimés en monnaie d’une époque à l’autre, ne se comparent de très théoriquement et assez grossièrement. On peut estimer des valeurs de 1914 en monnaie actualisée mais cela n’a qu’une signification indicative. La comparaison des valeurs n’a un fondement réel que là où des échanges ont effectivement lieu, et même seulement là où il existe un marché suffisamment actif. La monnaie n’a donc de sens que dans le présent. Il n’y a pas d’échange entre un opérateur en 1914 et un opérateur de 2014. La comparaison du pouvoir libératoire des monnaies à des périodes si éloignées n’est pas vérifiable car à aucun moment n’est à l’œuvre cette validation par la pratique continue qui dans le présent valide toute création monétaire. Cela confirme qu’il n’y a pas de valeur de la monnaie en elle-même mais un pouvoir libératoire, au présent qui se fait et se défait à chaque instant et plus particulièrement au moment de chaque émission de crédit. Le rôle de la compensation et des marchés monétaires est, à chaque instant, de construire de maintenir et de faire évoluer cette valeur. Cela se fait sous la direction des banques centrales et sous la contrainte du marché des changes. Le marché monétaire sanctionne et harmonise les émissions monétaires de chaque banque pour assurer la stabilité du pouvoir libératoire de la monnaie ayant cours légal à un moment. Hors de ce mécanisme à tous instants en œuvre, il n’y a ni monnaie ni pouvoir libératoire de la monnaie, quelque forme qu’elle revête. Une crise généralisée des institutions de crédit ou des mécanismes de compensation interbancaire aurait pour conséquence l’effondrement de toute monnaie et le blocage des échanges marchands.

Si des pièces anciennes gardent un pouvoir libératoire apparent, ce n’est que par leur qualité de marchandise (en particulier du fait leur teneur en métal précieux et à cause l’intérêt qu’elles suscitent). Ce n’est pas la croyance de celui qui la détient qui fait le pouvoir libératoire de la monnaie mais l’activité incessante de l’économie et des marchés monétaires. En dernier ressort, c’est l’activité de production et d’échange qui est créatrice de valeur puisque ce n’est que par le travail productif que se créent des richesses et qu’il est possible que les crédits soient remboursés. Le marché financier ne crée pas de valeur. Il contribue à l’allocation de la rente, c’est-à-dire au partage des excédents de valeur (des plus-values) qui sont mobiles du fait de l’inégalité des producteurs en concurrence.

Qu’est-ce que la monnaie ? (2)

image 1Nous avons vu dans l’article précédent que de la monnaie est créée au moment où un crédit est consenti. La monnaie nouvelle constate une valeur future par rapport à des valeurs actuelles, elle en précède la création effective par le travail productif. C’est pourquoi toute monnaie créée a besoin d’être validée. Nous devons voir maintenant ce que sont les mécanismes de validation de la création monétaire.

Le bénéficiaire du crédit utilise la monnaie qui lui a été prêtée par la banque pour effectuer des paiements. La banque exécute ses ordres des virements ou règle les chèques qu’il a émis. Le solde des opérations de paiement et de réception de dépôts ou de virements d’autres établissements constituent la trésorerie de la banque – celle-ci doit toujours rester suffisante pour que la banque puisse honorer ses engagements. Comment se gère la trésorerie d’une banque ?

Les banques se retrouvent sur un marché secondaire où se fait la compensation de leur trésorerie. Sur ce marché les chèques présentés vont se compenser, les billets d’escompte vont être réescomptés. Un solde est dégagé qui donnera lieu à une livraison de monnaie banque centrale entre banques sous la forme de virements entre leurs comptes auprès de la banque centrale car les banques se paient entre elles en monnaie banque centrale, c’est-à-dire par le débit de leur compte auprès d’une banque centrale. La banque centrale fait obligation à chaque banque commerciale de déposer un pourcentage, fixé légalement, du crédit qu’elle a émis. La banque ne peut le faire que si elle dispose de fonds propres suffisants. Elle doit également respecter une série de ratios entre ses fonds propres et l’encours de ses crédits.

Le mécanisme quotidien de compensation et de réescompte vérifie en permanence, par le maintien de leur capacité à disposer d’une trésorerie positive, la validité des crédits qu’émettent les banques commerciales. C’est par ce mécanisme que les monnaies nouvelles émises par les divers établissements se fondent effectivement en une monnaie unique et que s’efface en continu la distinction qu’on fait parfois entre monnaie bancaire et monnaie banque centrale. Ces monnaies se fondent et acquièrent la qualité de monnaie commune qu’elles n’avaient qu’en puissance de l’émission d’un crédit. Lors de l’octroi d’un crédit, la monnaie offerte n’est que nominalement la monnaie commune. Elle le devient effectivement par le mécanisme des compensations interbancaires. La nécessité pour les banques qui créent de la monnaie de la faire valider sur le marché monétaire est le fondement de l’existence effective de la monnaie. Dans une économie moderne, il n’y a de monnaie que validée par ce mécanisme. La tentative récente de passer outre à cette contrainte par l’invention de la titrisation a échoué comme on sait et a été un des éléments déclencheur de la crise financière. Les banques avaient émis massivement des crédits immobiliers qui se sont révélés irrécouvrables. Elles ne s’étaient pas refinancées auprès de la banque centrale mais sur un marché obligataire ad hoc (celui des subprimes). Elles n’avaient pas non plus les fonds propres pour faire face aux sinistres qui se sont multipliés plus que prévu. Leur déconfiture n’a été évitée que par l’émission massive de monnaie banque centrale. Cette monnaie ne constatait pas une valeur mais une destruction de valeur ! Elle aurait été considérée comme de la fausse monnaie si elle n’émanait pas de puissances économiques dominantes. Cette crise a révélé que la monnaie est aussi un fait politique. Nous reviendrons sur cette question ultérieurement.

Hors ce cas historiquement exceptionnel, revenons à la monnaie validée économiquement pour en situer l’importance : l’ensemble de la monnaie créée et de toutes les formes de monnaies en circulation ou en dépôt est comptabilisé par la banque centrale dans le tableau de la masse monétaire. Ce tableau fait apparaître que les banques commerciales créent plus de 90% de la masse monétaire. Cela confirme que le mécanisme que nous avons décrit schématiquement est bien celui par lequel la monnaie est générée.

Quand on observe les opérations de validation dans une salle de marché, on voit des gens occupés à acheter et vendre en permanence, l’œil rivé sur des écrans où des tableaux chiffrés évoluent sans cesse. On se rend compte alors que ce qui est échangé, c’est de la monnaie à vue, à un jour, huit jours, un mois, trois mois etc. La trésorerie d’une banque n’est pas une trésorerie instantanée mais une trésorerie à terme. Les opérations ne se font pas à cours fixe mais selon des cours qui varient sans cesse. Ces cours se déclinent selon une multitude de taux de chaque banque contre chacune des autres banques prises séparément et selon les durées traitées. Les banques ne négocient pas à égalité mais selon l’estimation qu’elles ont de la trésorerie de leur contrepartie et selon l’estimation de sa solidité commerciale. Le cours unique publié dans la presse économique n’est finalement qu’un cours indicatif qui sert de base aux opérations de prêt ou d’emprunt mais qui n’est appliqué à aucune opération interbancaire en particulier. On voit aussi que les opérateurs sur le marché sont parfois masqués. Les opérateurs sont des banques de la place, connues du public, mais se sont aussi des courtiers et des sociétés de réescompte. Une banque qui veut cacher sa situation de trésorerie véritable peut passer certains de ses ordres par l’intermédiaire de courtiers et d’autres ordres, éventuellement inverses, directement. Il n’y a dans ces opérations, aucune relation qui soit fondée sur une confiance ou même une connaissance directe du marché (qui reste opaque). L’ensemble du marché fonctionne selon une rationalité qui lui est propre et dont le principe de base est le repérage de situations permettant des arbitrages favorables et la limitation du risque en soldant chaque jour les positions. En ces matières, l’idée d’une confiance n’a pas véritablement de sens. La psychologie ne joue aucun rôle. La personnalité du trader, souvent critiqué pour son affairisme et sa capacité à céder à des impulsions collectives, n’est qu’une personnalité empruntée. Elle peut certes « déteindre » sur la personnalité « civile » et surtout l’idéologie de celui qui opère, mais elle lui reste en fait le plus souvent étrangère. Cette personnalité est tout aussi empruntée et externe que l’est celle de quelqu’un qui travaille dans l’hôtellerie et sera prévenant, courtois et respectueux par métier, mais pourra n’en être pas moins tout à fait différent dans les moments où il emprunte les transports en commun ou dans tout autre moment de sa vie sociale.

image 2Il faut donc exclure autant que possible toute considération de psychologie si on veut comprendre, ce qu’est la monnaie, d’où elle vient, ce qui en assure le pouvoir libératoire. Il ne faut considérer que des rapports entre des institutions, entre des opérateurs endossant un rôle économique. L’image du bourgeois se promenant sur un boulevard quelques billets en poches, prêt à les dépenser, telle qu’on la trouve chez Simmel, n’aide en rien à comprendre ce dont on parle. Il se peut que ce bourgeois ignore tout du fonctionnement de l’économie et que son point de vue se résume en la croyance naïve qu’il exerce une liberté et que ses billets ont une valeur intrinsèque, mais cela ne dit rien de ce qu’est effectivement la monnaie. Le même bourgeois peut bien aller au restaurant et choisir des mets sur un menu, cela ne nous dira rien des denrées qui sont proposées. Nous ne pouvons pas croire comme lui que le poisson arrive tout pêché et préparé, et les légumes servis sans avoir été plantés, cueillis et apprêtés. En économie, il n’y a pas de sens à parler de relations entre des « individus » ou d’une relation à « autrui ». Il n’y a que des agents économiques qui occupent une position spécifique tout à fait indépendante de leur personnalité. Les agents économiques sont d’ailleurs plus souvent des personnes morales que des personnes physiques. Il y a certes généralement un consensus social autour de la valeur reconnue de la monnaie, et plus particulièrement sous sa forme de monnaie fiduciaire, mais ce fait ne fonde pas le pouvoir libératoire de la monnaie, il n’en n’est pas le ressort, mais est plutôt une conséquence de la stabilité effective du système monétaire. Ce consensus peut s’effondrer et on assiste alors à des retraits massifs ou à une fuite des liquidités quand cette stabilité est compromise.

A tout cela on peut certes objecter que les relations commerciales existent bien et que chacun d’entre nous en est l’acteur et qu’il semble bien que nous sommes aussi acteurs d’une « valeur » de la monnaie. Nous achetons tout ce que nous consommons et nous utilisons de la monnaie pour payer, souvent sous forme de billets et de pièces. Nous sommes donc dans la position du bourgeois qui exerce une préférence et satisfait un besoin. Nous utilisons de l’ « argent » qui est alors la forme visible de la monnaie. Cette forme visible peut susciter des représentations fausses et des croyances erronées : celle que le billet a une valeur intrinsèque est sans doute la plus tenace. Cette erreur est aussi constamment corrigée, pour la plupart d’entre nous, par le fait que l’argent dont nous disposons résulte d’un travail que nous avons accompli. Il nous échoit, presque exclusivement sous forme de rémunération, et seulement marginalement sous forme de profit. Nous oscillons entre l’idée, que les médias nous répètent, selon laquelle la valeur que nous attribuons à nos billets est conventionnelle et quasiment magique ou celle que nous dicte notre vécu selon laquelle notre argent représente un travail (soit le nôtre directement soit celui de l’ensemble des travailleurs). La valeur du billet n’est en fait rien de cela car le billet n’a n’en lui-même aucune valeur propre. Il n’est qu’un signe monétaire. Il représente de la monnaie et, comme nous l’avons vu, la monnaie elle-même n’est pas une valeur mais le constat d’une valeur. Elle n’a qu’un pouvoir libératoire. Le billet, qui est vécu comme la forme première de la monnaie, n’en est, dans les économies modernes, qu’une forme dérivée. Son pouvoir libératoire est dérivé du pouvoir libératoire de la monnaie qui lui-même n’est soutenu que par la capacité des agents économiques à honorer leurs dettes auprès de l’organisme qui leur a fait une avance, et par la capacité de ces organismes eux-mêmes à solder leur trésorerie auprès de la banque centrale. Cette capacité collective est au cœur de la rationalité qui est à l’œuvre au moment de l’émission de chacun des crédits. Elle n’en dépend pas uniquement mais y trouve tout de même sa première source. C’est donc la rationalité qui préside à la gestion monétaire, et plus particulièrement celle en œuvre au moment de sa création, qui lui assure son pouvoir libératoire et lui permet d’exprimer les valeurs relatives des marchandises produites et échangées. Le bon déroulement des opérations bancaires et le fonctionnement correct des marchés la valident pratiquement en continu et valident du même coup le pouvoir libératoire de la monnaie. Pour comprendre ce qu’est véritablement la monnaie, il faut introduire un nouveau paramètre qui nous ramène au thème traité par ce blog depuis plusieurs mois : la question des rapports sociaux. Cela sera l’objet d’un prochain article.

Qu’est-ce que la monnaie ? (1)

Si on veut décrire une chose circulante et mouvante comme la monnaie, il faut commencer par la saisir à un moment de ses cycles. Le moment qui s’impose d’emblée est celui où de la monnaie nouvelle est créée, c’est-à-dire lorsqu’un crédit est consenti. Cela se passe généralement ainsi : un entrepreneur souhaite lancer une nouvelle affaire, il s’adresse à une banque pour demander un crédit. La banque va lui demander de préciser son projet et de produire une étude de marché, un plan de financement, éventuellement les bilans des affaires qu’il a en cours. Elle va prendre des garanties comme une hypothèque sur la résidence principale du demandeur ou elle va exiger le nantissement de son fonds de commerce ou d’un portefeuille de valeurs mobilières. A la banque, c’est le comité de crédit qui va autoriser, en dernier ressort, le crédit. Ce comité est au siège et ne rencontre pas le client, aucun de ses membres n’a de relation personnelle avec lui. La relation qui s’établit n’est donc à aucun moment une relation de confiance. On pourrait plutôt dire qu’elle a pour principe la méfiance. Mais avant tout chose, elle est organisée de manière à assurer une décision rationnelle. La rationalité dont il s’agit ici est une rationalité instrumentale et stratégique. Elle évalue un risque à partir de ratios et sur la base d’expériences similaires. Elle exige des agents de la banque qu’ils se défassent de leurs traits de personnalité et qu’ils congédient toute préférence ou inclination personnelle. Ils agissent en agents de la banque, comme incarnations de sa puissance économique et non comme personnes singulières.

 La création de monnaie, en quoi consiste le crédit, n’est pas une création de valeur : c’est la constatation d’une valeur. Le plan de financement présenté par le client prévoit un certain nombre d’investissements comme des achats de machines, de matière première, l’embauche de travailleurs. Toutes ces opérations sont valorisées en monnaie. Les membres du comité de crédit doivent avoir suffisamment d’expérience du secteur et des affaires pour estimer que cette valorisation est réaliste. Il en va de même de la partie recette du plan de financement qui devra faire apparaître un coût de revient des articles produits tel qu’ils puissent être effectivement vendus et qui doit  prouver qu’il est possible de générer des profits suffisants pour assurer le remboursement du crédit.

 Puisque la création de monnaie n’est pas une création de valeur, la monnaie créée n’a pas une valeur en elle-même, elle ne crée pas non plus  de la valeur, elle constate une valeur : celle des biens qui seront acquis et des biens qui seront produits. La valeur des marchandises, comme leur prix (car ici les deux se confondent), sont déjà là quand la monnaie est créée (ils ont une réalité, dans le sens où ils peuvent être estimés objectivement). Les prix des marchandises qui seront produites sont estimés selon ce qui est constaté pour des marchandises équivalentes. La valeur trouve sa source dans la production et non dans la monnaie. Elle dépend du temps de travail social incorporé dans les marchandises, à la fois sous la forme du travail effectué pour la production et sous la forme de travail « mort » c’est-à-dire déjà incorporé dans les matières et le matériel utilisé.  Cette conception de la valeur est commune à toute l’économie classique. On la trouve chez Ricardo et chez Marx. Le point de départ de Ricardo est la détermination de la valeur d’échange des marchandises, par la quantité de travail nécessaire à leur production. Et comme au moment où Ricardo écrit, la monnaie a principalement la forme de l’or ou de l’argent, il constate que l’or et l’argent ne font pas exception et sont le produit du travail humain et tiennent de lui leur valeur propre. Pour lui la valeur de la monnaie est celle qu’elle aurait comme marchandise, c’est-à-dire comme or ou comme argent.

 Les choses sont plus compliquées dans le cas du prêt bancaire que nous avons imaginé. Ce qui est créé, c’est de la monnaie scripturale. Elle est le constat, dans la comptabilité de la banque, sous forme monétaire de la créance que détient la banque sur l’entrepreneur. Elle sera inscrite comme telle à l’actif du bilan de la banque. La banque aura donc à l’actif de son bilan une créance exprimée en monnaie et elle devra livrer de la monnaie, c’est-à-dire créditer le compte de l’emprunteur du montant correspondant puis exécuter par le débit de ce compte les règlements qu’il demandera. De l’ensemble de toutes les opérations similaires de la banque, vont se dégager dans ses comptes une situation de trésorerie qu’elle devra gérer. Elle a émis des crédits, reçu des dépôts, exécuté des virements, les comptes de ses clients ont été crédités ou débités. La banque a des fonds propres et fait des opérations pour ses clients et pour son compte. Elle achète et vend sur des marchés, elle vire des fonds dans d’autres établissements et dans d’autres monnaies. C’est l’ensemble de ces opérations qui déterminent sa situation de trésorerie (et non le seul crédit). Néanmoins, pour simplifier, nous pouvons considérer que l’émission d’un crédit crée pour la banque un besoin de trésorerie qu’elle devra compenser.  Mais avant d’en arriver à ce point, il faut d’abord voir ce que fait l’entrepreneur : il émet des chèques, fait des virements, pour payer ses matières premières, acheter les machines dont il a besoin. Il dépense et donne à ceux qui lui vendent de la monnaie scripturale qui n’a d’existence qu’inscrite au bilan d’une banque. Lorsque l’entrepreneur fait ces opérations et que ses fournisseurs acceptent de lui livrer les marchandises au prix auxquels il les avait estimées, la valeur de ses marchandises est vérifiée pratiquement et la capacité de la monnaie émise à exprimer cette valeur se trouve confirmée. La monnaie émise a donc constaté valablement une valeur. Elle en a validé la mesure monétaire qui était supposée.

 Les fournisseurs qui reçoivent cette monnaie la possèdent sous la forme du solde créditeur de leur compte en banque. Le prêt accordé initialement par la banque de l’entrepreneur, a donc permis l’apparition de soldes créditeurs au bilan de la banque des fournisseurs ; ce qui s’exprime par l’adage : « les crédits font les dépôts ». Il apparaît donc que ce sont les banques commerciales qui créent la monnaie nouvelle par les crédits qu’elles accordent. En témoigne le tableau des contreparties de la masse monétaire que les banques centrales publient. Ce tableau permet de savoir à quelle occasion la monnaie a été créée. Les créances sur l’économie y sont le poste principal, suivi généralement des créances sur l’État qui sont également du crédit mais d’une autre nature (et dont nous parlerons ultérieurement). Figurent aussi des créances nettes sur l’extérieur dont le montant est généralement faible et sur lesquelles nous ferons l’impasse pour simplifier le propos.

 Concluons ici ce premier point : le crédit sous ses différentes formes est l’acte générateur de la monnaie dans une société dotée d’une monnaie scripturale. Il l’est  du fait de la logique de fonctionnement du système monétaire (mais cela ne prouve pas que le crédit est, du point de vue historique, à l’origine de la monnaie). Cela nous permet d’ores et déjà d’affirmer que ce qui se présente comme une monnaie mais ne résulte pas d’opérations de crédits n’a pas véritablement la nature d’une monnaie. Ainsi les monnaies locales ou même les bitcoins qui sont émis en échange d’autres monnaies n’en sont que des avatars plus ou moins sophistiqués. Leur valeur ne résulte pas d’une production qui assure le remboursement des crédits mais de la valeur des monnaies contre lesquelles elles ont été échangées et dans lesquelles elles peuvent à nouveau être converties.

 Mais nous avons vu que ce sont les banques qui créent la monnaie. Comment se fait-il alors qu’il n’y ait pas autant de monnaies qu’il y a de banques ? C’est ce que nous verrons dans un prochain article.