Ce film « IDA », que j’ai vu hier, me permettra d’illustrer un peu quelques aspects de « la question de la religion » dont j’ai parlé dans mon dernier article.
Commençons par un rapide rappel : Ida est une jeune novice dans un couvent catholique quelque part au fin fond de la Pologne au début des années soixante. Elle doit prononcer ses vœux mais la mère supérieure lui demande de voir d’abord la seule survivante connue de sa famille, une tante dont elle ne sait rien. Ida apprend ainsi qu’elle a été recueillie, qu’elle est d’origine juive et que sa famille toute entière a disparu (à l’exception de cette tante). Nous pouvons découvrir par ses yeux l’état d’une Pologne fraichement socialiste : un socialisme importé par l’armée rouge comme la république le fut par les armées napoléoniennes. Cette Pologne est le pays d’une impossible épuration. La tante d’Ida a été procureur dans les années cinquante. Elle dit en « avoir envoyé plus d’un à la potence ». Un rapide flash-back suggère une affaire de platebande saccagée. Cette ridicule caricature affaiblit le film. On imagine «Wanda la rouge », comme est surnommée cette tante, fulminant après « ces vipères lubriques qui souillent de leur bave les fleurs les plus parfumées de notre jardin socialiste ! ». Comme si il n’y avait pas assez à faire avec les génocidaires, les anciens gardiens de camp de concentration, les saboteurs et autres traitres dont pullulaient un pays viscéralement antisémite et qui avait connu des décennies de dictature fasciste ! Ici, je suis obligé de le dire, le film falsifie grossièrement l’histoire.
En à peine quelques jours, Ida est mise face à cette sombre réalité. Elle voit de ses yeux celui qui a massacré sa famille pour lui voler une misérable masure. Elle constate l’impuissance de sa tante, à présent déchue de ses pouvoirs et qui sombre dans l’alcoolisme. Cette tante avait un petit garçon qu’elle avait confié à sa sœur avant de rejoindre le maquis. Tout ce qu’elle retrouve en ces quelques jours d’enquête c’est son crâne que l’assassin déterre en échange de son impunité. Toutes deux vont ensevelir ce pauvre reste dans ce que la tante appelle le « caveau familial » mais qui n’est qu’un misérable carré dans un cimetière juif à l’abandon et qui aura bientôt totalement disparu.
Ida rentre au couvent mais elle est tourmentée. Elle a aperçu une autre vie : un jeune saxophoniste, des gens qui s’amusent et qui dansent. Le beau saxophoniste lui a dit « tu n’as pas conscience de l’effet que du fais ». C’est vrai, Ida le sent bien, mais cela l’inquiète plus que de la flatter. Elle retarde encore ses vœux. Elle ne se sent pas prête. Elle ne sait plus si elle doit tenter de vivre ou s’ensevelir à jamais dans la quiétude de son couvent.
Mais voilà que « Wanda la rouge » s’est suicidée. Elle ne supportait plus son impuissance et sa vie qui allait à vau-l’eau. Ida doit repartir, quitter à nouveau son couvent. Elle tente de vivre, retrouve son beau saxophoniste, se donne à lui. Doit-elle le suivre, l’écouter ? Il lui dit « tu verras la mer », mais elle demande « et après », « nous nous marierons» elle demande encore : « et après », « nous aurons des enfants » mais, à nouveau, elle demande « et après ». Il n’a pas de réponse à une telle question. Il appartient à peine à cette société. Il le dit : il est à demi gitan. Quelle promesse aurait-il pu faire ?
Il aurait dû dire : tu auras à élever et à éduquer tes enfants, à mener une âpre lutte pour leur assurer un avenir plus juste et plus radieux. Mais il n’a rien à dire de tout cela : comment aurait-il pu fléchir cette attente que la religion a implantée dans le cœur juvénile d’Ida ? L’attente d’une « vie éternelle » ! Ida retourne, cette fois sans regret, vers son couvent et sa promesse « de vie éternelle ». Elle va prononcer ses vœux.
C’est ici, que je peux revenir à ce qu’est la religion. C’est la haine religieuse, attisée par les intérêts les plus vils, qui a été le ciment et le moteur des régimes fascistes de la Pologne d’avant-guerre. C’est pour leur religion que les parents d’Ida ont été tués. La religion est l’auxiliaire des pouvoirs les plus réactionnaires et les plus meurtriers. Elle divise les hommes. Mais c’est aussi un prêtre qui a recueilli Ida et l’a confiée au couvent le plus proche. C’est un prêtre qui la reçoit et l’héberge dans ce village hostile où ses parents ont péris. La religion est aussi le support et le véhicule d’une morale et d’une humanisation des rapports sociaux. Enfin, c’est la religion que choisit Ida comme un baume et un havre dans un monde violent. C’est aussi la religion qui répond à ses interrogations les plus profondes et les plus existentielles mais c’est aussi elle qui les a implantées dans son cœur. La religion se propose comme remède pour le mal qu’elle répand.
Le film montre ainsi les divers aspects du phénomène religieux. Ce qu’on peut lui reprocher c’est d’avoir caricaturé Wanda la rouge et de ne pas avoir donné suffisamment à voir ses propres raisons et ses propres espoirs. C’est le suicide de Wanda qui ramène Ida au couvent. Les Wanda, les vraies, ne doivent pas se suicider mais affronter l’âpreté d’un combat qui ne peut être que sans fin. Dans cette période que nous vivons, de basses eaux du mouvement social et progressiste, c’est le seul message qui vaut : le combat continue !
Sur le plan cinématographie « ida » est un assez bon film (qui me fait penser à Mère Jeanne des Anges – Matka Joanna od aniolów – de Jerzy Kawalerowicz lui ressemblant de plusieurs poins de vues mais infiniment meilleur).
« Ida » montre une jeune fille orpheline, élevée dans un couvent, vouée à être nonne – ce qu’elle devient réellement après avoir découvert, en quelques jours, son passé, la mort de ses parents assassinés à cause de leur religion juive (à l’époque – celle de nazis – on disait « race »), le monde profane qu’elle quitte même si elle s’essaie (un peu) à l’amour avec un garçon séduisant. On peut comprendre que ce monde – qui l’assaille brutalement – la panique mais de là à prétendre qu’elle retourne au couvent par sa libre décision…
Ce qui me révolte est que ce film montre la puissance de la propagande sans même insinuer que Ida ne retourne pas au couvent par sa décision, mais parce que depuis son enfance elle a été formatée par une idéologie. Ici, il s’agit de l’idéologie religieuse, mais cela aurait pu être, comme pour sa tante, celle des communistes, ou n’importe quelle autre. A aucun moment,la force écrasante de cette idéologie n’est dénoncée.
Tout cela m’a agacé d’autant plus que l’année dernière « Ida » a connu un étonnant succès en France où le film a été vu par 500000 personnes – score très inattendu pour un film polonais d’un réalisateur inconnu. Ce n’est pas pour rien: une juive qui préfère l’église catholique et qui abandonne la vie banale de tout un chacun qu’elle pourrait vivre pour devenir une « fiancée de Christ »! Le bonheur pour cette France qui a longtemps été « la fille ainée de l »Église »…
Je doute qu’il ait été nécessaire que le Parlement européen assure la promotion supplémentaire d' »Ida ».
Un détail:
Vous écrivez: « Elle voit de ses yeux celui qui a massacré sa famille pour lui voler une misérable masure. » Je ne crois pas que cela ait été la motivation du paysan. Il a d’abord protégé les parents juifs d’Ida. Il les a sans doute tués par peur d’être dénoncé ou découvert car il a épargné Ida – qui d’après ses mots, n’avait pas l’air juif.