Le mythe dit la vérité ; non pas la vérité d’un fait qui se serait passé dans une époque lointaine, comme il pourrait d’abord le laisser croire, mais la vérité cachée du monde présent. Ainsi Star wars, que l’on évoque volontiers pour le comparer à Gravity, révèle la face cachée de l’Amérique de Nixon et Reagan. C’est l’Amérique qui veut ramener le Vietnam à l’âge de pierre. Elle est ultra libérale, au service des puissants et dure pour les pauvres, agressive à l’extérieur. Avec Star wars, les représentants de la civilisation la plus avancée sont des princes et des princesses, des chevaliers à la manière médiévale. Leur noblesse est héréditaire et fondée sur leur supériorité raciale, sur ce pouvoir qu’ils ont, qui fait des autres (qui sont hommes singes ou robots) leurs serviteurs naturels. Ils luttent contre l’empire du mal. S’ils sont rebelles ou résistants c’est en référence à la rébellion sudiste. Leur monde est en guerre. C’est l’Amérique du « consensus de Washington », agressive économiquement et militairement et qui veut vaincre l’empire adverse en le réduisant par la force.
Mais l’ennemi d’hier s’est converti au libéralisme et sur bien des points l’élève dépasse le maître. Et voilà l’Amérique d’Obama en panne de mythe. C’est ce que nous dit Gravity. Quand le film commence, on découvre les deux protagonistes, Matt et Ryan, flottant dans le vide. Ils sont occupés à une tâche nécessaire mais sans gloire : détecter la panne qui rend aveugle le satellite Hubble. Rien d’exaltant là-dedans. D’ailleurs ils n’ont rien de héros. Matt drague gentiment sa collègue, juste pour la soutenir puisque c’est sur elle que repose toute la mission et qu’elle peine à résoudre le problème. Il l’interroge sur sa vie sentimentale mais la sienne ne semble guère plus brillante. Nous apprenons que Ryan est seule. Elle a eu une petite fille mais qui est morte à l’âge de quatre ans en faisant une chute dans la cour de récréation. Nous avons donc là deux personnages que le scénario va ramener à ce qui apparemment fait selon lui l’essence humaine : des homo-economicus. L’un satisfait, l’autre tourmenté.
Voilà, en effet, que la crise survient où plutôt que les russes ont détruit un de leur satellite dont les débris ont provoqué une réaction en chaîne. Il faut se mettre à l’abri. Un petit problème technique retarde Ryan, elle est emportée dans l’espace, où qu’elle se tourne elle ne voit qu’une immensité vide et glacée. Son collègue la soutient, la calme et entreprend de la ramener au vaisseau. Elle y parvient, s’y accroche mais à ce moment, il est lui-même emporté loin dans le vide. Il va l’entrainer dans la mort. Malgré ses protestations, il fait un choix héroïque : il se détache et s’enfonce dans la nuit glacée. Mais sur quoi se fonde son héroïsme ? Il le dit clairement : sur un calcul utilitaire, celui du moindre mal. Il vaut mieux qu’un seul meure plutôt que les deux, voilà tout ! On peut voir là l’expression d’une espèce d’éthique de l’économie : les premières scènes montraient Matt dilapidant inutilement le gaz de propulsion de son scaphandre pour distraire sa collègue. Celle-ci au contraire a su se maîtriser et ménager sa réserve d’oxygène. Pour survivre en temps de crise, il faut savoir rester rationnel dans ses choix ! Matt a enseigné les bons préceptes mais il ne les a pas appliqués !
Matt meurt, Ryan va survivre mais pour cela, elle doit suivre les recommandations de son collègue. Je ne raconterai pas plus le film, ça ne se fait pas, mais il faut juste savoir que Ryan va se trouver à nouveau face à un choix comme les aime l’utilitarisme. Si elle utilise le module où elle se trouve pour retourner sur terre, elle risque fort d’échouer et de trouver la mort dans les flammes. Si elle reste, elle mourra doucement d’inanition faute d’oxygène. Elle renonce car entre dans son calcul l’idée qu’elle va retrouver sa petite fille au paradis. Elle ferme l’alimentation du vaisseau et attend la mort. Quelque chose que je ne dirai pas, (ceux qui ont vu le film savent de quoi il s’agit), quelque chose donc ou plutôt quelqu’un la détourne de ce choix. Elle va tenter de rejoindre la station spatiale chinoise. Elle y parvient et peut envisager de se risquer à rejoindre la terre.
La croyance religieuse entre dans son calcul. Mais ce n’est pas une croyance exaltée à la façon de Pascal. Son calcul ne comprend pas de grandeur infinie comme le pari Pascalien. Sa croyance a plutôt l’allure d’un placement sans risque. Comme tout bon épargnant diversifie son portefeuille et garde en réserve des valeurs qui ne rapportent rien mais peuvent sauver la mise en cas d’effondrement, son dieu n’est d’aucune utilité immédiate. Elle ne le prie pas car elle sait très bien qu’il ne peut rien pour elle. Il n’est au fond que le très libéral gardien du paradis. Sur ces bases, le calcul est simple et pratique. Ryan postule que Matt est en chemin pour le paradis mais il est encore suffisamment près pour qu’il l’entende. Elle le charge d’aller voir sa petite fille et lui dire combien elle l’aime. La balance penche ainsi de nouveau du côté de la survie puisque le plus fort argument qui pesait pour la mort vient de tomber. Ryan sera sauvée. Il n’y a rien de grand dans ses raisons de vivre. C’est juste le plaisir immédiat de sentir un sol sous ses pieds, un ciel bleu au-dessus de soi, d’avoir un corps qui pèse mais qui est vivant.
Voilà donc un film pour les temps difficiles. Comme nous sommes loin de l’optimisme de Star Trek par exemple. Star Trek dépeignait un futur optimiste, utopique, dans lequel l’humanité avait éradiqué la maladie, le racisme, la pauvreté, l’intolérance et la guerre sur Terre. C’était une humanité unie à d’autres espèces intelligentes de la galaxie dans une sorte d’ONU. Les personnages exploraient l’espace, à la recherche de nouveaux mondes et de nouvelles civilisations et s’aventuraient « là où aucun homme, là où personne, n’est jamais allé ». Le problème de Gravity, c’est seulement de rentrer à la maison et c’est un problème dans la mesure où on ne sait pas pourquoi rentrer à la maison, il n’y a pour cela aucun mythe mobilisateur, aucun avenir radieux, pas de lendemains qui chantent. C’est jusque mieux que le vide intersidéral où il fait noir dans quelque direction qu’on se tourne : pas plus d’avenir que de présent, rien qu’un froid de 125 degrés en dessous de zéro.
Il n’y a guère de chance de voir les enfants jouer à Gravity dans les cours de récréation, comme ils ont pu jouer à la guerre des étoiles. Les héros mobilisateurs, même inspirés par le néo libéralisme, ont des attributs : l’épée laser, un costume noir ou blanc avec une cape. Tandis que l’héroïne de Gravity n’a que des problèmes qu’elle tente de résoudre par le calcul du moindre mal. Elle va de refuge en refuge comme l’américain pris dans la crise, qui n’ayant pu sauver sa maison, tente d’en trouver une autre moins couteuse. Rien d’exaltant pour la jeunesse donc !
Mais vous pouvez tout de même aller voir Gravity pour le spectacle. Pour le contenu préférez-lui « les jours heureux » !
Ta dernière phrase résume tout : Gravity vaut pour son spectacle et peu pour son contenu, symbolisme gonflant des codes hollywoodiens. Mon article va dans ton sens http://bit.ly/17BMjMQ il pointe du doigt le manque de profondeur des enjeux en dépit d’une démonstration technique époustouflante. J’attends plus du cinéma.